55~ La lettre
Deuxième jour. 18h00. Porte nord.
C.
Mes yeux parcourent pour la dixième fois la lettre avant de se lever en l'air.
Quatre foutus mots, quatre foutus chiffres et une lettre plus merdique que toutes celles de l'alphabet. Voilà, voilà ce que Kav m'a donné ! Putain mais tout que ça représente...
C'est une lettre des Loups-Gris, j'en suis sûre et certaine.
Qui d'autre pourrait écrire ça ? Qu'est-ce pourrait être cette sorte de rendez-vous à part une opération infiltration ou je ne sais quoi d'autre d'ultra dangereux ?
Merde, j'ai dans les mains la lettre qu'a sans doute écrit le traître ! Une lettre pour prévoir d'envahir le Palais, une lettre de la rébellion !
Une lettre... une lettre qui aurait pu nous coûter la vie à tous.
... mais je suis au courant.
Oui, je suis au courant !
Je sais comment exploiter ces informations. Je sais qui prévenir, je sais quoi faire. Que Kav ait trouvé ce message avant ou après les révolutionnaires, peu importe ! Grâce à ça, nous allons empêcher cet attentat !
Mais alors pourquoi est-ce que je tremble autant putain !
Parce que cette écriture me dit quelque chose ? Parce que quelqu'un que je connais a écrit ces mots ? Parce qu'on m'a encore trahie ? Oh, je devrais avoir l'habitude pourtant...
Je ne reconnais pas l'auteur à son écriture. Mais il a signé par C.
C.
C comme...
Non, je ne veux pas y penser !
C'est impossible, pas Corentin !
Et pourtant en y réfléchissant... il ferait un si bon traître ! Souriant, amicale, conciliant... insoupçonnable. Et puis c'est un Nuit.
Oh, pourquoi aie-je été assez bête pour négliger ce détail ?!
Et puis pourquoi mon cœur espère encore que ce soit une erreur, merde ?! Pourquoi je ne me fait pas à cette idée, pourquoi je me dis encore qu'une foutue lettre, ça ne veut strictement rien dire ?
Ça veut tout dire ! Putain, tout !
Pourquoi je lui cherche encore des excuses ?!
Je secoue rageusement la tête.
Non, ce ne doit pas être ma principale source inquiétude. J'ai le droit de ne pas penser à ça pour l'instant. Dans l'immédiat, la seule chose qui importe est de désamorcer l'attaque. Et après... après on verra.
ღ ღ ღ
— J'ai besoin de toi.
Je lâche mon plateau devant celui d'Eliam, l'avisant d'un regard brûlant.
Après le dîner d'hier qu'il a passé en compagnie d'Anthony et d'Adama, il s'est enfermé dans sa chambre. Il me fuit, je n'ai pu lui parler ni hier soir, ni ce matin. Alors j'ai dû composer seule.
J'ai passé la matinée en ville avec Corentin, à guetter le moindre signe suspect de sa part et à me ronger les sangs parce que rien en lui n'est suspect justement. Et maintenant, me voilà face à un Eliam entêté qui ne veut toujours pas croiser mon regard !
Je sais que je l'ai froissé avec mon câlin et mon attention. Si il a peur de s'engager avec moi, je veux bien lui laisser plus de temps. Qu'il me fasse la tête si ça lui dit ! Mais je dois supporter le malaise pour un moment, quelque chose d'autrement plus important doit être abordé.
Nous devons mettre en déroute l'attaque de ce soir. Parce que le deuxième jour de la manche, c'est aujourd'hui !
— Je suis désolée de te faire subir ma présence, déclaré-je en tapant du poing sur la table pour attirer son attention. Je sais que c'est vraiment déplaisant pour toi mais peu importe, c'est pas de ça que je veux parler.
Eliam lève les yeux sur moi.
Ils sont ternes, d'une mélancolie à me couper le souffle.
— Ce n'est pas déplaisant, fait-il doucement.
Ah oui ? Eh bien on dirait pas !
C'est quoi cette histoire ? Il m'embrasse et quand il reçoit un peu d'amour en retour il fuit ? Quel genre de lâche c'est, ça ?
Je ne veux pas entendre d'autres conneries sortir de sa bouche. Pourtant, je donnerais tout pour pouvoir le laisser continuer. Pour qu'il m'explique ce qui ne va pas, pour que nous réglions vraiment cette affaire.
Mais ce n'est pas de ça qu'on doit parler.
— C'est que je...
— Je t'ai dit que je m'en foutais, tonné-je.
C'est tellement faux !
Je ferme les yeux, prends une longue inspiration avant de déballer, sous le regard abasourdi du prince :
— Henry-Louis n'était pas le Loup-Gris. Ce n'était qu'un assassin, le véritable traître est toujours au Palais. Il ne peut pas être parti avec les autres, on m'a donné ça hier.
Je lui tends la lettre tout en poursuivant :
— Je suis sûre que c'est lui qui l'a écrite. Ça dit qu'ils prévoient une attaque pour ce soir, 18 heure. Il faut qu'on se prépare.
Et je m'effondre sur ma chaise, essoufflée par tout ce que je viens de dire.
Les yeux d'Eliam se sont agrandis, ronds comme des soucoupes. Ses mains tremblent quand il porte la lettre devant ses yeux pour la parcourir anxieusement.
Il la lit une fois, deux fois, trois fois. Sous le choc. Puis il laisse retomber ses bras sur la table et ferme les paupières.
— C'est impossible... chuchote-t-il, les sourcils froncés.
Il est abasourdi. Subitement, j'en viens à m'en vouloir de lui infliger ça.
On a tenté de l'assassiner, je ne devrais pas lui jeter un autre complot à la tête. Je devrais l'épargner pour cette fois.
Seulement, j'ai besoin de son aide...
— Désolée, fais-je tristement.
Ses poings se serrent, ses muscles se tendent.
— Qui t'as donnée ça ? s'enquit-il.
— Kav.
— Lui ! Oh non... il t'a dit où il l'a trouvé ?
— Non il... il ne me l'a pas dit...
Je comprends son agitation, mais il doit se reconcentrer. Cette lettre est là, c'est tout ce qu'on a besoin de savoir.
Le visage d'Eliam se ferme plus encore.
Il ouvre la bouche pour parler, mais reste muet. Les mots ne veulent pas sortir de sa gorge. Alors il pousse un long soupire, passe une main sur son visage et finit par se calmer.
— On va s'occuper de ça, adjuge-t-il. Je vais avertir la garde, ils assureront notre sécurité.
— Je t'accompagne ! décrété-je en me levant de ma chaise.
Le garçon monte les yeux sur mon visage déterminé. Il dévale ma silhouette jusqu'à mes poings serrés et finit par hocher gravement la tête.
— Ça marche, accepte-t-il en se levant à son tour. Allez viens, on y va.
Il part et je le suis, décidée à agir.
L'après midi s'égraine sans que je ne la vois passer. J'ai beau essayer de me concentrer sur le cours —histoire pour aujourd'hui— c'est peine perdue.
Je me sens en sursit, comme allongée sur une plage alors qu'une immense vague guette au large. Je vais me la prendre en pleine poire, il ne me reste plus qu'à espérer que je sais assez bien nager pour pouvoir m'en sortir en vie.
Inspirée, cette comparaison...
Les soldats sont au courant. Ils ont pris notre avertissement au sérieux, qu'Eliam en personne vienne leur donner des ordres concernant notre sécurité n'était pas à négliger. Alors ils se préparent, tout devrait être prêt pour ce soir. Seulement, moi, j'ai quand même l'impression de perdre mon temps.
Le cours fini, je vais en stand de tire. Il me reste une heure devant moi avant l'attaque, je compte bien m'en servir. Alors je tire avec toute la force dont je suis capable, plus concentrée que jamais. Et quand je repars, un poignard à la ceinture, je suis prête à me battre.
... sauf qu'il n'y a rien à la porte Nord.
Je rejoins Eliam et les gardes pour attendre. Une demi-heure, une heure. Rien ne se passe.
La frustration me gagne, je bous sur place.
À vingt heure, les gardes nous demandent de rentrer. L'attaque ne va visiblement pas avoir lieu aujourd'hui.
Ça devrait être une bonne nouvelle, peut-être que nous avons interceptée la lettre avant que ses informations soient transmises aux révolutionnaires. Mais il n'empêche, je garde un mauvais pressentiment.
Eliam m'abandonne dès qu'on regagne le Palais. Abandonnée sur le seuil de la porte, je dois retenir mes larmes. Il ne veut vraiment plus de moi.
... non ! Je refuse de pleurer pour quelque chose d'aussi futil. J'ai pas le temps pour ça !
Je vais donc rapidement me changer pour dîner seule avec Corentin, me rendant compte au dernier moment que j'ai oublié de confier au prince mes soupçons concernant mon ami. Et quand je retrouve Eliam au réfectoire, assis entre Adama et Anthony, je comprends que c'est trop tard pour lui reparler.
La trêve est terminée.
Rien de ce que dit Corentin n'arrive à me changer les idées. Je pense beaucoup trop au prince, à m'en écœurer toute seule. Mais j'ai besoin de savoir ! Qu'est-ce qui a bien pu se passer entre nous ?
Il n'a pas l'habitude des marques d'affections, il a pris peur ? C'est l'amour qui le met dans cet état ? J'aimerais tant que ce soit le cas !
Il faut que je lui laisse plus de temps... mais j'ai vraiment envie de lui en parler. Je ne peux pas le laisser me déconcentrer plus longtemps, il faut qu'on s'explique !
On dirait que le ciel a entendu ma prière.
Après le dîner, Eliam me rappelle. Seul, il attend que Corentin parte se coucher pour m'attirer à l'écart dans les couloirs.
Pouvoir parler avec lui, c'est ce que je voulais. Pourtant, devant lui, me voilà à court de mots.
Lui aussi est mal à l'aise, il fuit encore mon regard.
À quoi ça rime, ça ?
— Désolé... finit-il par souffler. Je suis stupide de te fuir sans te donner d'explications, tu ne mérite pas ça. En fait, je suis un boulet.
Tiens, il s'excuse ?
Il a finit de bouder ?
— Qu'est-ce que tu...
— Je suis un imbécile, répète-t-il. Mais c'est pas ma faute, tu comprends ? C'est mon cœur qui... oh Ielle, tu me mets dans un tel état !
Il se frappe la tête en soupirant. Je devrais fuir pour lui rendre la pareil mais au lieu de ça, je me rapproche de lui.
Je suis prise d'un soulagement indescriptible devant son aveux. Je ne voulais pas m'inquiéter pour notre relation, mais savoir qu'elle n'est pas perdue me fait un bien intense.
Alors ce n'est pas qu'il ne m'aime plus, c'est juste que je l'ai chamboulé ? Si c'est le cas, je veux bien lui laisser plus de temps.
— C'est pas gr...
Eliam m'interrompt soudain en posant ses lèvres sur les miennes. Ma question se meurt dans frisson de surprise. Les yeux écarquillés, je n'arrive plus à faire le point.
Mais... mais qu'est-ce qu'il lui prend !
Il se dégage aussi rapidement qu'il s'est avancé, me laissant encore plus perplexe.
— Eliam !
Je m'essuie les lèvres. Franchement, il est pas croyable avec ses baisés surprise !
Le garçon rive son regard dans le mien, tiraillé par ses émotions. Peur, douceur, tristesse. Tout traverse son regard.
Curieusement, il est tout aussi désemparé que moi. Nous sommes aussi perdus l'un que l'autre face à son comportement.
Il lui manque une case... mais en fait, je l'aime bien comme ça.
— Excuse-moi pour ça aussi, je n'ai pas pu m'en empêcher.
Il se frotte la tête, embarrassé. Je souris doucement. Avec lui, je n'ai pas le même répondant, je suis plus sincère. J'ai aimé son baisé, alors je n'arrive juste pas à lui en vouloir.
Les explications viendront, j'y tiens. Mais pour ce soir, je peux lui accorder du répis.
— Je te pardonne pour tout, soufflé-je, hypnotisée par son regard.
Ses lèvres se mettent à trembler. Mi-sourire, mi-moue attristée. Mon pardon le chamboule plus puissamment que je ne pouvais le penser.
De la tendresse s'invite dans son regard.
— Merci.
C'est sincère, il en avait besoin.
— Bonne nuit, murmure-t-il alors.
— Toi aussi, bonne nuit, répondé-je en y mettant le plus de douceur possible.
Si on m'avait dit que je m'abaisserais un jour à ça...
Enfin, peu importe.
Eliam sourit, j'ai au moins gagné ça. Puis il se détourne et regagne sa chambre.
Si son odeur quitte mes lèvres, sa présence ne quitte toujours pas mon cœur. Je ne suis pas patiente mais pour une fois, j'accepte d'attendre le temps qu'il faudra.
Oh ! Je crois bien que moi aussi, je suis tombée amoureuse !
ღ ღ ღ
Qu'est-ce qu'il se passe ?
J'entrouvre les paupières, éblouie par un éclat de lumière à l'autre bout de ma chambre.
Là-bas... c'est... la porte ?
Une silhouette sombre s'y découpe. Une ombre qui referme doucement derrière elle et replonge la pièce dans l'obscurité.
La lumière de la lune me suffit pour l'observer. Mais dans la pénombre, je ne distingue pas ses traits. Sa tenue est aussi trop ample pour que je le reconnaisse.
Je m'enfonce dans mes draps, contemplant cette forme qui avance silencieusement sans arriver à réfléchir.
Oh mais... je connais cette démarche. Comme la lienne d'avant, c'est celle d'un voleur.
... ou celle d'un assassin.
L'autre s'approche de la large forme du lit.
Il reste là un instant, penché sur les draps roulés en boule.
... et il les poignarde froidement.
J'étouffe un crie d'effroi.
C'est... on vient vraiment de m'assassiner ? Juste sous mes yeux ? Mais...
Le dos du traître se raidit.
Il contemple les draps, le corps raide. Son poignard luit dans sa main droite.
Il a compris qu'il a raté son coup.
— Corentin ? soufflé-je, incapable de retenir ce murmure étouffé qui ne demandait qu'à franchir mes lèvres.
Un silence pèse avant que l'assassin n'éclate de rire.
Il se retourne, droit vers moi.
Oh merde, pourquoi j'ai parlé ! Maintenant il va... il va...
La panique me saisit.
Non ! Je refuse de mourir ce soir !
J'attrape le pommeau du poignard que j'ai glissé dans mes draps avant d'aller dormir —mauvais pressentiment obligeait— et détaille la silhouette qui commence à se rapprocher.
Sans plus réfléchir, je lui lance l'arme droit dessus.
Mais je manque de volonté, le poignard ne fait que l'effleurer. Merde, pourquoi doit-il être un ami !
... et pourquoi suis-je débile au point de lancer mon unique arme dans le vide !
Le traître regarde mon poignard s'enfoncer dans le mur derrière lui. Il se retourne à nouveau vers moi en pouffant de rire.
— Raté, observe-t-il.
Sa voix... sa voix... sa voix...
... je la connais.
Mais je n'ai pas le temps de placer de nom dessus que l'assassin se jette sur moi.
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