50~L'absent
— Tu n'as pas mis de robe aujourd'hui ?
Je me force à ne pas regarder le garçon qui s'asseoit à côté de moi.
Non, je n'ai pas envie de lui répondre. Je fait plutôt tourner un stylo entre mes doigts pour calmer mes nerfs.
Oh, c'est pas comme si celui qui ne quitte pas mes pensées depuis deux jours était juste là. Pas comme si j'avais dansé avec lui toute la soirée d'hier, pas comme si je vais aussi passer la matinée avec lui. Pas comme si son regard profond m'est rivé dessus et que sa réflexion me donne une inexplicable envie de sourire !
Non, rien de tout ça...
— Pourtant ça t'allait bien, insiste-t-il, coupant court à ma réflexion.
— Hum... un peu trop encombrant pour moi.
Et c'est vrai. Même si les robes sont légères, elles n'en demeurent pas moins absolument encombrantes. Je suis mieux en pantalon, qu'il le comprenne !
— Dommage, j'aimais bien.
Je hausse les épaules, indifférente. Mais lui non plus n'est pas dupe, le compliment me touche plus qu'il ne le faudrait. Et comme il cherche toujours à faire plus, il se penche pour chuchoter dans mon oreille :
— Tu étais magnifique.
Je me sens rougir.
Nerveuse, je range une mèche de cheveux derrière mon oreille sans quitter des yeux la feuille que j'ai sortie sur le bureau. À la fixer comme ça, je risque sérieusement de la transpercer avant d'avoir écrit la moindre chose dessus.
— C'est du passé ?
— Du futur aussi si tu veux, détourne-t-il. J'ai hâte de te revoir en robe !
Et je m'apprête à répliquer qu'il peut toujours rêver quand la prof d'histoire nous interrompt.
Ah oui, c'est vrai. On a un cours à suivre...
Mais c'est difficile avec Eliam à côté de moi !
Le pire, c'est que sa simple présence me déconcentre plus formidablement que ses bêtises ou ses commentaires stupides.
Ce n'était pas une bonne idée d'accepter ce voisin perturbateur...
— Martin est absent.
La voix du garçon est plus grave quand il prononce ces mots.
Prise de court, je sens un souffle glacial balayer mes pensées. Les lèvres serrées, je fais le tour de la salle des yeux pour constater qu'Eliam a raison : il y a tous les participants restants... sauf Martin.
Ça n'annonce rien de bon.
Si le Crépuscule n'est pas là, c'est qu'il a quelque chose d'assez important à faire pour condamner ses chances de gagner la compétition. Et si ça a un rapport avec son "projet"...
Oh merde !
Il prépare son coup, c'est sûr ! Et avec l'élimination de ce soir, le risque qu'il a d'être chassé avant d'avoir mis son plan à exécution est grand. Ça ne lui laisse donc qu'une seule solution : agir aujourd'hui.
— Tremble pas, fait doucement Eliam en posant une main sur mon poignet.
Je ravale ma salive en contrôlant mes gestes. Il n'aime pas la faiblesse, je ne dois pas lui en montrer.
Sauf que...
— On ira le chercher après le cours, rajoute-t-il en caressant la peau de mon poignet avec son pouce.
Le geste suffit à m'apaiser.
Oui, on ira le chercher. On agira. On le trouvera et l'interrogera une bonne fois pour toute, que cette histoire soit réglée !
J'hoche la tête, souffle un bon coup puis me tourne vers le prince, le front plissé.
— Il faudra faire vite, chuchoté-je gravement. Quoi qu'il prépare, c'est pour aujourd'hui.
ღ ღ ღ
— C'est pas trop tôt ! m'exclamé-je en voyant une silhouette débouler au bout du couloir.
Eliam s'arrête juste devant moi et sourit.
Sa poitrine se soulève plus rapidement que la normal. Malgré la main qu'il passe nonchalamment dans ses cheveux et sa posture détendue, je vois bien qu'il est essoufflé. Et je n'ai pas besoin de lui en demander la raison qu'il me répond déjà :
— Pour toi.
Puis il tire ma main vers lui et pose un poignard d'entraînement dans ma paume.
— Hésite pas à t'en servir.
Bonne idée, tiens !
Je hoche gravement la tête en rabattant les doigts sur le pommeau de l'arme. Sa prudence me contamine, il a raison d'être sur ses gardes. Nous courrons droit vers le danger.
Je me décolle du mur où j'étais adossée pour tourner la tête vers la porte de la chambre de Louise.
Il n'y a bientôt plus de retour en arrière possible...
— Prêt ? soufflé-je à Eliam.
Je ne le vois pas hocher la tête à côté de moi, mais je sais qu'il acquiesce.
Toujours aussi décidé, lui...
Mue d'une idée nouvelle, je me retourne, agrippe son T-shirt et me hisse à sa hauteur pour poser un baisé furtif sur ses lèvres. Rassurée par ce bref instant de fraîcheur, je laisse mon regard se perdre un instant dans le bleu du sien —mi-amusé, mi-doux— et carre résolument les épaules.
— Prête aussi.
Il sourit.
Gonflée à bloc, je m'avance alors vers la porte et la pousse violemment.
— Louise ! m'exclamé-je en débarquant dans la chambre.
La jeune fille se lève de son bureau, effrayée. Je ne m'en occupe pas. J'enfonce mon regard dans le sien pour exiger tempétueusement :
— Où est Martin ?
— Je ne...
Elle n'a pas le temps d'en dire plus que je file la rejoindre.
— Où. Est. Martin ? répété-je glacialement, plus qu'à quelques centimètres d'elle.
Qu'elle ne nous fasse pas perdre notre temps !
— Je sais pas... répète-t-elle, apeurée.
— Ne me fais pas croire que tu n'as jamais fait attention à lui ! tonné-je. Tu ne l'as pas quitté d'une semelle depuis le début de la compétition !
Elle ravale difficilement sa surprise.
Ah ! J'ai donc visé juste !
— Alors, où il est ?
— Qu'est-ce que tu lui veux ?
N'y tenant plus, j'agrippe le col de sa robe pour la secouer.
— On s'en fou ! Il est où ?!
— ... sais pas...
— Tu ferais bien de nous le dire, conseille posément Eliam en s'avançant derrière moi. Vaut mieux qu'on le trouve avant qu'il fasse des bêtises.
— Je ne... gémit Louise en portant les main à son cou.
— Dis-leur !
Cet ordre impérieux vient de l'entrée de la chambre. Surprise, je tourne la tête dans cette direction pour aviser son expéditrice.
C'est Juliette qui vient de parler, essoufflée comme si elle venait de parcourir tout le Palais en courant.
— Dis-leur où il est, répète-t-elle, entièrement concentrée sur Louise.
Hébétée, la jeune fille cesse de se débattre dans mes bras. Je la libère, puis je recule de quelques pas pour lui laisser de l'air. Je continue de la dévisager, prudente, et manque de sursauter quand je percute le torse d'Eliam.
Le garçon pose les mains sur mes épaules pour me soutenir. Je sais que lui aussi brûle d'entendre la Crépuscule, nous sommes tous deux tendus à bloc.
Qu'elle crache le morceau !
Mais Louise ne semble pas se décider aussi facilement. Elle inspecte Juliette, les yeux écarquillés. Enfin, elle finit par baisser la tête. Sans doute un bon signe...
Y a intérêt à ce que ce soit un bon signe !
— Il est au départ du sentier que nous avons emprunté pour la course, finit-elle par avouer.
Ses yeux se rivent dans les miens. Ils brillent de peur, Louise est effrayée. Et si c'est peut-être en partie à cause de la violence que je lui ai infligée, c'est surtout qu'elle doit savoir pourquoi son ami est là-bas.
Ça n'augure vraiment rien de bon !
— Ne lui fais pas de mal, supplie-t-elle.
J'acquiesce.
Non, j'espère vraiment que je n'aurai pas à lui faire du mal. Mais si c'est un danger...
— Garde-le ici, chuchoté-je en retour à la jeune fille, avec un léger signe de tête en arrière.
Ses sourcils se froncent quand elle comprend. Elle acquiesce imperceptiblement, je prends ça pour signal et démarre au quart de tour.
Je me dégage de l'étreinte d'Eliam pour filer dans le parc. Des cris éclatent derrière moi, Louise accomplit sa mission. Quand j'entends la voix indignée du prince exiger qu'on le relâche, j'ai déjà quitté la chambre.
Hors de question d'amener Eliam tout droit dans les bras d'un potentiel meurtrier ! Elles sont deux pour le retenir, j'ai suffisamment de temps devant moi pour écarter le danger.
Je cours à en perdre haleine, sentant la pointe du poignard effleurer ma cuisse à chaque enjambées. Le prince a eu le nez fin, ça me sera particulièrement utile pour ce qui m'attend.
J'arrive rapidement à l'endroit indiqué. Et quand je ne trouve pas Martin, je sens ma colère affluer.
Elle n'aurait pas osé me mentir !
— Ça doit être manié avec précaution...
Je réprime un soupir en reconnaissant la voix du jeune homme, partagée entre soulagement et méfiance. Les poings serrés, je m'avance dans sa direction, me faufilant discrètement entre les broussailles pour atteindre une petite clairière illuminée de soleil.
— Une goutte dans son verre et...
Martin se coupe net quand il m'aperçoit débouler devant lui.
Le garçon est penché en avant, tenant dans les mains une fiole dont je n'arrive pas à identifier le contenu. Ses yeux écarquillés par la peur m'inspectent de bas en haut.
Il est livide, effrayé. Et moi, je m'efforce d'analyser tous les détails de la scène avant qu'il n'ait la bêtise de m'attaquer.
Parce que ce que je vois, je ne m'y attendais pas.
Martin n'est pas seul. Et quand le garçon qu'il conseillait relève la tête et se tourne dans ma direction pour me dévisager, je sens mes poings trembler.
Parce que le Martin que j'étais prête à affronter n'est qu'un pion. Le véritable assassin, c'est celui qui me fait face.
Je suis exposée, je risque ma vie. Je n'ai aucune idée de sa force qu'il a soigneusement gardée secrète.
C'est pas un adversaire pour une voleuse, ça !
— Henry-Louis...
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