49~ Mener la danse
J'étais une Nuit. Une Nuit qui n'a jamais connu le luxe, une Nuit qui s'est retrouvée propulsé dans ce monde d'opulence du jour au lendemain sans jamais avoir pensé ça possible. Je crois que je remercierai jamais assez le ciel de m'avoir offert cette chance.
Nora finit d'ajuster ma tenue. Elle pique et repique le tissu, je la sens s'agiter autour de moi.
Je ne vois que du noir, elle tient à ce que je garde un bandeau sur les yeux. Elle veut me faire la surprise, et je suis sûre que je ne serai pas déçue.
Oui, ici, j'ai pu voir à quoi servait le travail que je fournissais. J'œuvrais à l'usine, je confectionnais toutes ces choses dont vous avez besoin pour vivre. Désormais, je vois que ça sert !
Les dernières retouches faites, la camériste attrape doucement mon poignet. Elle m'avance de quelques pas et passe la main dans mes cheveux pour dénouer le bandeau.
Je vous donnais ma vie. Nous vous donnons tous notre vie. C'est grâce à nous, grâce à des Nuits que notre beau pays vit. Et ça, je peux vous dire que j'en suis fière !
La lumière caresse le miroir devant moi, j'y contemple mon reflet.
Lumineuse, je suis parée d'une longue robe blanche dentelée. Tout s'accorde. La coupe, la couleur, les motifs, les froufrous, les dorures. On dirait un ange...
Ou une princesse.
Je suis fière du travail que j'ai toujours accompli. Oui, je suis fière d'avoir aidé notre pays à se lever, à prospérer. Fière de cette grande réussite, parce que c'est le fruit du labeur que je fournis depuis mon plus jeune âge.
Je fais quelques pas en avant. La robe épouse mes mouvement, gonfle et glisse sur mes jambes comme un petit nuage vaporeux.
L'or et l'argent brillent de milles teintes sous la lumière, toute la robe scintille.
Inspirée, j'essaie quelques pas de danse, entraînant le long tissu dans mes écarts.
C'est juste... sublime.
Alors me voilà, une modeste Nuit qui a eu la chance de participer à cette compétition. Avant, j'avais pour mission de servir mon pays de mes petites mains. Désormais, je suis prête à le servir de ma vie. J'appartiens à Marath, je vous appartiens à tous.
Je pose la main sur le miroir, inspecte mon regard.
Mon visage démaquillé et mes cheveux décoiffés jurent, ils ne sont pas en accord avec la majesté de ma robe. Peu importe, Nora va bientôt arranger ça.
Je suis grande, je suis belle. Pour la première fois depuis le début de la compétition, je ressemble à une Aurore. Mais ce feu qui brûle dans mes prunelles, c'est celui qui annonce une nouvelle ère.
Le poids de ce que j'ai à assumer aura beau s'écraser sur mes épaules, je ne m'effondrerai pas. J'ai changé, je n'ai plus à fuir.
Je serai la première Nuit à entrer au conseil. Et je ferai enfin respecter ma caste comme il se doit.
Alors faites-moi gagner.
ღ ღ ღ
- Gabrielle !
Juliette ne prend pas la peine de m'appeler par mon surnom quand elle m'approche, impressionnée par le spectacle.
Elle s'arrête devant moi, drapée d'une de ces robes bleues qui lui vont à ravir, et passe doucement une main sur l'étoffe blanche de la mienne.
- Tu es magnifique !
Je hoche doucement la tête, contente du compliment. Même si notre dernière entrevue remonte à hier soir, j'ai l'impression que ça fait des siècles que je ne lui ai pas parlé.
Ses traits sont décidés, elle a retrouvé sa hargne. C'est sans doute qu'elle a réussi à convaincre Louise.
Bonne nouvelle alors !
- Et toi, resplendissante, la complimenté-je en clignant de l'œil.
Nous nous regardons un instant en silence, à la fois amicales et conspiratrices.
Je crois que j'ai retrouvée cette Juliette qui me soutient depuis quelques semaines, et ça me réchauffe cœur.
La jeune fille ouvre la bouche pour répondre, c'est sans compter une exclamation surexcitée qui raisonne dans le couloir et qui la coupe dans son élan :
- Ielle !
Une tornade jaune déboule devant moi, sautillante de joie.
- Une robe ! Une vraie robe ! s'extasie-t-elle. Tu devrais en mettre plus souvent, c'est juste sublime !
Je souris aimablement à Capucine, refusant de lui asséner que la dernière que j'ai mise a été gâchée sous ses yeux sans qu'elle ne trouve à y redire.
Sa bonne humeur et l'entrain qu'elle met dans nos échanges depuis ce matin sont éloquents : elle me considère à nouveau comme une amie. Pourquoi gâcher ça ?
Peut-être que ma relation avec Eliam a quelque chose à voir avec son état. Après tout, elle le vénère au point d'adorer tout ce qu'il touche.
Et moi... il...
Une bouffée de chaleur me monte aux joues.
Avec ce qu'il s'est passé hier soir puis ce matin et avec cette robe... il a intérêt à m'inviter à danser celui-là !
- Tu vas faire des étincelles, prédit une troisième fille en s'approchant de nous.
C'est Louise, toujours derrière Capucine. Dans sa belle robe violette, la jeune fille vient tranquillement se placer à coté de Juliette.
Les yeux de la rouquine se mettent à briller.
Elles se sont réconciliées, semble-t-il. C'est une bonne chose, ça veut dire que Louise est hors de danger.
- Merci, soufflé-je à la Crépuscule.
Elle hoche la tête, appréciatrice. C'est donc à quatre que nous gagnons la salle de bal, dans notre cortège de paillettes, de froufrous et de rires quelque peu hystériques.
Nous sommes ridicules. Mais c'est agréable d'être ridicule parfois.
Corentin est déjà présent en bas. Quand il nous aperçoit, son sourire s'agrandit plus largement que jamais.
- Vous êtes magnifiques ! contemple-t-il -non sans appuyer son regard sur moi.
Je lui souris timidement. C'est vrai que ce n'est pas souvent que je suis apprêtée de la sorte.
Lui aussi est beau dans son costume beige, avec ses cheveux bien peignés tirés en arrière. Quand je le regarde sourire comme ça, je vois le formidable garçon qu'il est au fond. C'est bien lui, le candidat parfait. Dommage que c'est moi qui doive gagner...
- Toi aussi, t'es à craquer ! affirme Juliette au nom de nous quatre.
Le garçon hoche la tête, rayonnant. Puis nous entreprenons de tisser une conversation légère pour passer le temps.
Je ne vois pas les minutes s'égrainer. Je ne regarde ni l'entrée éparse des participants, ni les musiciens qui s'agitent devant l'estrade. J'aperçois seulement passagèrement l'immense robe rouge d'Adama défiler dans mon champs de vision. La jeune fille se pavane dans toute la salle, décidé à afficher ses couleurs. Elle a l'étoffe d'une reine... Oh, non pas que ça m'importe maintenant.
Thomson fait son habituel discours, ça passe comme dans un rêve. À la fois bref et interminable. Puis il invite les participants à danser, et c'est à ce moment que je me réveille.
Comme d'habitude, je me retourne vers Corentin... qui ne me regarde pas.
- Tu m'accordes cette danse, Capucine, fait-il doucement en tendant la main à sa voisine.
Mon enthousiasme se fait froidement balayer.
Il ne m'invite pas ? Mais... pourquoi ?
Je... je n'ai pas de cavalier ?
Louise et Juliette sourient discrètement à côté, seule Capucine affiche sa surprise. Et si elle accepte distraitement la proposition du garçon, son regard reste rivé sur moi.
Ou plutôt... derrière moi.
- Eh bien, tu laisses Ielle libre ce soir ? ricane une voix chaude dans mon dos.
Mon cœur manque un battement. Non en fait, je crois qu'il s'arrête totalement.
Je fixe Corentin avec de grands yeux, rejouant dans ma tête la voix qui vient de faire vibrer mes tympans.
C'est...
Je me retourne lentement, tremblante, pour trouver dans mon dos un magnifique garçon au sourire rieur.
- Je me demandais quand t'allais te décider à me regarder, souffle-t-il moqueusement.
Je me sens rougir.
- Je...
Ma voix me lâche.
Eh bien bravo ! Quelle force, Gabrielle ! Même pas capable de faire face à un garçon...
Eliam sourit de plus belle en se rapprochant.
- Une belle robe, des cheveux bien coiffés, des bonnes manières... c'est pas habituel. Qu'avez-vous fait de notre Ielle, douce jeune fille ?
Mes poings se serrent.
- Exagère pas trop non plus, maudis-je à voix basse.
Sa mâchoire s'agite d'un rire étouffé.
- D'accord, pas de bonne manières, remarque-t-il en s'inclinant. M'accorderiez-vous tout de même cette danse ?
Le cœur au bord des lèvres, je sonde furieusement ses yeux bleus.
Cette danse... la première danse de la soirée... avec le prince...
Oh mon dieu !
Tremblante, je finis par poser la main dans celle que me tend Eliam.
Il enroule ses doigts autour en souriant, tire doucement sur mon bras et m'amène au centre de la piste de danse.
Oh, heureusement que j'ai gardé des chaussures sans talons ! songé-je distraitement. Même comme ça, mes jambes tremble bien trop pour me garder debout.
Les regards s'attardent sur nous. Hébétée, je ne cherche même pas à regarder la réaction d'Adama. Je suis trop absorbée par ma main serrée dans celle du prince, flottant devant mes yeux comme le noeud d'une corde solidement attachée.
Eliam nous arrête enfin entre les danseurs. Il se retourne, passe une main sur ma taille et m'attire à lui.
Je fonds à son contact. Littéralement, il est obligé de me maintenir debout. Et moi qui me croyais forte !
- Respire un peu, souffle Eliam dans mon oreille en calant ma tête contre son épaule.
Puis il commence à guider nos pas sur la musique montante, je réagis machinalement.
Mais il a raison... je devrais respirer.
- Désolée...
- Depuis quand tu t'excuses ?
Je souris et lui tords la main pour punir son insolence. Il pouffe, ça finit de me ramener sur terre.
Ce n'est qu'Eliam, ce garçon débile qui dit toujours n'importe quoi. Pas de quoi en faire un plat !
À l'aise dans ses bras, je me mets à valser. La musique m'entête, me porte dans les figures et m'emporte dans un autre monde.
Nous valsons en coordonnant naturellement nos pas, tournons à en perdre les sens, disparaissons dans une autre réalité où plus rien d'autre que notre étreinte ne compte.
C'est si bon !
Depuis le début de la compétition, je me bats. On cherche à me pousser au bas de la scène, à me rabattre en coulisse, à me faire tomber à genoux ou à me noyer en sanglots. Mais je suis plus forte que tout ça.
Maintenant, c'est moi qui mène la danse.
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