47~ Coéquipiers
J'accepte la proposition d'Eliam (comme si je pouvais faire autrement). Satisfait, le garçon va tranquillement s'installer sur mon lit. Pour ma part, je veille à fermer la porte derrière lui. Moins détendue.
— Alors, quoi de neuf ?
Je me retourne. Mains dans le dos, crispées sur la poignée, je le dévisage sans trouver quoi répondre.
— Elle t'as fait du mal, la renarde ? s'enquit-il en me voyant hésiter.
Ses sourcils se froncent tandis qu'un sourire s'impose sur mes lèvres.
Il est mignon quand il s'inquiète.
— Non, pas la peine de lui faire couper la tête, assuré-je en relâchant la poignée.
Mes muscles sont engourdis. Je fais quelques pas hésitants vers le garçon... et me rappelle de ce que vient de me dire Juliette.
Mon sourire disparaît, une moue inquiète vient le remplacer.
On n'est pas dans la merde nous...
— Des nouvelles du coté de la fleur ? m'enquis-je.
Eliam hoche négativement la tête, je ne peux m'empêcher de baisser les yeux.
Qu'imaginais-je aussi ? Martin est inatteignable par sa meilleur amie, comment pourrait-il l'être par quelqu'un d'autre ?
— J'ai pas réussi à lui parler, il se cache, explique le garçon en attrapant son menton entre ses doigts. Je dois comprendre que c'est lui notre principale suspect ?
— Je crois...
Mes épaules se voûtent.
J'espère, j'espère que c'est notre principale suspect. Qu'on n'a que lui à craindre. Que Louise est hors jeu... et que Juliette l'est vraiment aussi.
— Qu'est ce qui t'arrive ? s'inquiète-t-il en me voyant trembloter.
Il appuie les coudes sur ses genoux et place la tête dans ses mains, me dévisageant soucieusement.
— Elle est où la Gabrielle capable de poignarder des ombres sans broncher ? Tu es armée pourtant...
Il avise ma ceinture où pend le poignard sous ma veste, à moitié dévoilé. Sauf que ce soir, même sa lame aiguisée n'arrive pas à me rassurer.
— Oui mais...
Ma voix se coupe.
Je me mords la lèvre, ridicule.
Eh oh, il est passé où mon courage ? Où est cette fille qui tuait des gens sans trembler ? Merde, pourquoi dois-je être si pathétique maintenant !
— ... c'est que... je ne sais pas quelle est ma cible, avoué-je en baissant la tête.
Eliam soupire longuement. Quand je relève les yeux vers lui, je constate qu'il est tendu.
Ses sourcils sont froncés, il ne sourit plus. Il me prend au sérieux, c'est étonnant comme ça me rassure.
— On va trouver, t'inquiètes pas, dit-il doucement. Et après, tu pourras te défouler !
Il rit un coup avant de tapoter le lit à côté de lui. Je le dévisage, hésitante, puis finis par le rejoindre.
Je crois... que j'ai besoin de réconfort.
— Et si tu me disais ce que tu viens d'apprendre maintenant ? propose-t-il.
Je ravale ma salive.
Oui, je vais tout lui dire.
Le regard perdu dans le vague, éblouie par l'éclat des lumières sur le parquet, je lui raconte mon altercation avec Juliette. Je lui rapporte ce qu'elle m'a dit le plus fidèlement possible, j'ai besoin de précision.
Quand je termine enfin mon récit, je dois reprendre mon souffle. Mon cœur bat vite, j'ai du mal à respirer.
L'angoisse... je ne pensais pas que ça puisse me prendre autant la tête un jour. Et mon état ne s'arrange pas quand, penchant la tête pour regarder le visage d'Eliam, je le trouve à froncer encore les sourcils.
— ... et tu ne vois vraiment pas qui peut être ta cible ? répète-t-il après un moment.
Je baisse les yeux.
Il faut que je me concentre sur Martin, c'est ça qu'il sous-entend ?
Mon regard descend le long du torse du garçon sans chercher à s'y attarder. Ce n'est pas lui que je regarde, mes yeux sont vitreux.
Je réfléchis.
— Je ne sais pas trop... avoué-je. Ça se trouve, Louise et Juliette sont dans le coup. Elle m'a peut-être dit n'importe quoi. Et puis Martin... il ne m'avait pas l'air dangereux. Comment pourrait-il être un Loup-Gris ? Pourquoi se serait-il éloigné de Louise ? Oh, il est si... doux. C'est impossible qu'il...
— Gabrielle, m'interrompt Eliam.
Étonnée par la fermeté de sa voix, je lève les yeux vers lui. Son regard rivé sur moi me frigorifie tout autant que la sévérité qui flotte sur ses traits.
— Calme-toi, conseille-t-il en posant une main sur mon épaule. Tu connais Juliette mieux que moi, et même moi je sais qu'elle n'est pas du genre à mentir. Elle tiendra Louise hors de tout ça, ne te méfies plus d'elles. Quant à Martin... quelque chose doit l'influencer. Et je te jure qu'on trouvera ce que c'est !
Sa voix à mi chemin entre douceur et détermination me surprend... et me rassure.
Je baisse les yeux, sentant la chaleur de sa main réchauffer mon épaule.
Il est avec moi.
— Tu as raison, tempéré-je prudemment. Mais... enfin...
Ma voix déraille.
— Pourquoi je ne l'ai pas vu venir ? me morfondé-je piteusement. Si je m'en était rendue compte avant peut-être que... peut-être qu'il...
Je me perds en conjectures sans arriver à rien. Eliam, lui, hoche vigoureusement la tête en me relâchant.
Je serre les dents, attendant qu'il prenne la parole. Ses sourcils sont froncés, son visage fermé. J'ai envie de l'entendre parler.
— Et voilà que tu culpabilises, soupire-t-il en détournant les yeux. Et puis après viendront les larmes, le découragement... Franchement Gabrielle, tu le fais exprès ? Tu es faible. Faut que je te réconforte maintenant ? J'ai pas que ça à faire, tu sais !
Mon sang se glace dans mes veines. Abasourdie, quelque chose en moi se brise face à ses paroles cruelles.
... et quelque chose s'allume
Je ne le laisserai pas se moquer de moi !
— Pour qui tu me prends ? m'indigné-je en m'écartant. Je suis une voleuse, pas une machine ! Excuse-moi d'avoir des réactions un tant soit peu humaines parfois !
Mes poings sont serrés, mes joues rouges de colère. Je me force, je fais tout pour lui en vouloir. En vouloir à ce débile profond, ce gosse capricieux, ce connard ! Même au fond... je m'en veux avant tout à moi-même.
Parce que j'ai montré ma faiblesse, et puis parce que j'ai eu l'idiotie de croire qu'il pouvait me réconforter. L'idiotie de penser que le visage sérieux qu'il m'offrait était une facette de lui-même, qu'il était sincère avec moi...
Mais quelle attardée !
Et là devant, parfaitement calme, cet idiot aux foutus yeux bleus qui me font bouillir a même l'audace de sourire !
— Eh ben voilà ! Enfin un peu de mordant !
Je vois rouge. Littéralement. Et ce n'est pas les larmes qui m'emplissent les yeux —larmes de rage, bien-entendu— qui vont m'empêcher de maudire chacun des traits de son visage.
— Tu es un monstre !
Décidément, c'est de famille.
— Et toi, t'es bien ma Ielle, rit-il, pas le moins du monde dérangé par ma colère.
Pire, il en est ravi. Il est ravi de m'énerver !
Je crois que je ne pourrais pas plus flamber de rage. Les draps sont à deux doigts de fondre sous mes poings, c'est sûr ! Je vais faire cramer toute la chambre !
— Je t'interdis de dire ça ! m'écrié-je. Je ne suis pas TA Ielle !
Ça ne réussi qu'à élargir son sourire.
— Ça tombe bien, je t'ai appelé "ma" Ielle alors...
— TAIS-TOI !
Et cette fois, il éclate de rire.
— Qu'est-ce que je dois faire pour que tu comprennes... ? chuchoté-je, brisée.
Je m'effondre. La colère ne peut rien contre lui. Je ne suis qu'une gamine hystérique et impuissante. Si impuissante...
— Me dire merci déjà, ricane le garçon en s'essuyant le coin de l'œil. Un peu plus et tu te transformais en robinet. T'aurais pas assumé demain, je viens de sauver ta fierté ! Au moins maintenant, tu cris un bon coup et tu te calmes. Comme ça, plus de problèmes !
Et je sens toute la chaleur de mon corps me quitter.
Je tremble, il a encore réussi à me prendre de court. Parce que même si je ne veux pas l'admettre... il a raison.
Il me connait, il sait ce qu'il me faut mieux que moi-même je le sais.
Ça m'effraie.
Non ! Je refuse, je ne veux pas le craindre ! Je n'ai pas à craindre des gens !
Alors je me renfrogne.
— Tes manières laissent franchement à désirer, marmonné-je en croisant les bras sur ma poitrine. Ça t'amuses de m'attaquer comme ça ?
Il ricane.
— T'es mignonne quand tu te vexes.
Je ravale ma salive, refusant de prendre sa remarque pour un compliment.
On parle de m'humilier quand-même !
Mais Eliam ne s'arrête pas là. Et quand il se rapproche de moi pour se pencher sur mon visage, mes convictions ramollissent.
— J'aime bien comme tu fronces les sourcils.
Il les dessines lentement du bout des doigts.
Des frissons courent dans mon dos. J'ai envie qu'il retire sa main, mais plus encore qu'il la laisse à jamais sur ma peau.
C'est horrible !
Et malgré moi, je me retrouve à sourire.
— Et puis j'aime quand tu te résignes, murmure-t-il en laissant sa main glisser le long de ma joue. Que tu me laisses gagner, que tu souris...
Son regard m'inonde. Il me plonge dans des vagues de saphir à m'en faire perdre le souffle.
Ses iris bleues s'enflamment, habitées de douceur et de concentration. Et sa paume chaude contre ma joue me consume aussi sûrement que le plus brûlant des incendis.
Je me sens terrassée.
Puis mon regard tombe sur ses lèvres serrées, habillées d'un sourire bien fade.
Oh, pourtant je n'aime aucun des mots qui en sortent ! Je ne peux pas m'expliquer cette attraction...
— J'aime bien quand tu souris. Tu...
Je l'interrompt avant qu'il ne brise le charme. Avant que mon corps ne finisse par céder. Avant que je perde tout à fait la tête.
Je ferme les yeux et pose résolument mes lèvres sur les siennes.
Quelque chose explose dans ma poitrine. Je sens son sourire s'étirer contre ma bouche. Plus près, plus délicieux que tous ceux qu'il n'a jamais pu afficher.
Puis il se retire.
... et envoie sa main se fracasser contre ma joue.
Mon monde valse, autant à l'extérieur qu'à l'intérieur. Le haut, le bas, la droite, la gauche... tout se confond. La chute est longue, je ne ressens plus rien. Mais je sais que quand j'atterrirai j'aurai mal, plus mal que jamais.
Alors je m'efforce de me reprendre.
Je porte une main tremblante contre ma joue blessée et rive mon regard dans celui d'Eliam. Lui qui sourit, qui rit alors que je pars en éclats.
— Tu m'as... bégayé-je, bien incapable d'aligner tous les mots qui se bousculent sur mes lèvres.
Et avant que je ne puisse dire autre chose, il revient vers moi. Il grimpe sur le lit, prend mon menton dans sa main et caresse doucement mes lèvres du pouce.
— On est quitte, chuchote-t-il en souriant.
Puis il remonte sa main contre ma joue dégagée pour prendre mon visage dans sa paume. Il fait grimper l'autre le long de mon poignet, jusqu'à recouvrir ma main encore tétanisée.
Il sourit, m'enserre tendrement la tête et m'attire à lui.
Ses lèvres retrouvent miennes...
... et mes pensées fondent pour de bon.
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