46~ Juliette
— Laissez-moi vous narrer l'histoire d'un petit hérisson qui voulait découvrir la forêt.
Le ton mystificateur d'Eliam nous arrache des grimaces, la prof et moi sommes toutes deux aussi étonnées par la proposition du prince.
Je serre les lèvres tandis que madame Armina se renfonce dans sa chaise, intéressée de savoir où cette amorce mènera.
L'exercice d'aujourd'hui est en duo, nous devons nous raconter un conte improvisé et tenter de le faire vivre sous le regard sévère de la professeur. Elle a vraiment des idées tordues celle-là...
J'avais prévu de faire équipe avec Corentin ou Juliette, je n'aime pas les délaisser comme je le fais en ce moment. Mais Eliam s'est montré si insistant que je n'ai pu faire autre chose que de rester avec lui. Aussi ai-je laissé mes amis intégrer dans l'autre demi-groupe envoyé en ville, restant sagement avec le garçon, Louise, Capucine et Martin.
Les mots du prince raisonnent dans ma tête. Visiblement, il a un mesage à me faire passer. Et après la matinée libre de ce matin, il a intérêt à ce que ses info soient intéressantes !
L'hérisson, c'est moi.
Je suis toute ouïe maintenant.
— Un beau jour, un petit hérisson délaissa ses terriers poussiéreux pour partir visiter le monde. Sur son chemin, il croisa une multitude d'animaux. Le petit hérisson fit entre-autre la connaissance d'un renard au pelage lumineux. Mais plus il avançait, plus il sentait une ombre peser sur lui. Un valeureux chat qui passait par là se pris de pitié pour la petite bestiole, il se proposa de l'aider à démasquer le danger qui guettait. Petit hérisson accepta de bonne grâce : il avait besoin d'aide. Les doutes s'accumulaient derrière sa jolie frimousse. Et toute la pression se renforça quand, un soir de pleine lune, il surprit une taupe comploter avec une fleur...
— J'ai du mal à vous suivre, l'interrompt Armina.
J'ai envie de la baffer.
Elle l'arrête pile au mauvais moment !
Eliam ébauche un sourire amusé et hoche la tête en direction de la prof.
— Ne vous en faite pas, ça va bientôt devenir intéressant.
— Continue ! tempêté-je.
Le garçon me fait un grand sourire avant de poursuivre calmement son récit :
— Le chat se mit alors à enquêter sur les deux comploteurs. La fleur était distante, très distante. Elle disparaîssait souvent dans le parc, le chat s'interrogeait de plus en plus à son sujet. Puis, quand il s'intéressa la taupe, il la trouva en bien étrange compagnie. En effet, elle était toute absorbée par une conversation avec... le renard.
Mon cœur manque un battement.
Louise, ma principale suspecte.
Louise avec... Juliette ?
Le garçon sourit, satisfait que je percute.
— Le chat comprit qu'il ne pouvait rien faire de plus. C'était à l'hérisson de s'occuper ça.
Il se réinstalle sur sa chaise et conclut, tout à son aise :
— Morale de l'histoire : mieux vaut parler au renard avant qu'il ne soit trop tard.
La prof pousse un long soupire à côté de moi, juste de quoi me rappeler sa présence.
— Et que sommes-nous censé tirer de votre charabia ?
— Vous êtes injuste ! Ce n'est pas du charabia, ma morale rime.
Je secoue la tête.
— Pour ma part, je trouve ça très instructif.
Eliam sourit et Armina lève les yeux aux ciel, s'avouant vaincue.
En même temps, elle ne peut pas comprendre. Moi par contre, c'est tout calculé.
Juliette traîne avec Louise.
La rouquine était hostile à la Crépuscule, elle l'a toujours ignorée... et elle lui parle dans mon dos.
Alors je vais devoir interroger mon amie.
... qui ne l'est peut-être pas vraiment.
ღ ღ ღ
— Qu'est-ce que tu penses de Louise ?
... D'accord, j'admets que mon entrée en matière laisse à désirer. Mais je n'ai pas réussi à trouver plus subtile pour introduire le sujet.
Gênée par le silence qu'engendre ma question, je me retourne et constate que mon amie s'est raidie. Elle me fixe avec des yeux si plissés que ça m'en met mal à l'aise.
Il n'y a pas de quoi m'inquiéter, j'ai récupéré un poignard après mon entraînement au stand de tire dans la soirée. N'empêche, j'ai mis le doigt de quelque chose de sensible.
J'espère que Juliette ne tentera rien de stupide, sinon...
Je me mords la joue en songeant à cette extrémité. Mon dieu mais à quoi je pense là !
— De quoi tu veux parler ?
La voix de la jeune fille est froide. Son regard, provocateur. Juliette n'est pas du genre à fuir, je vais à l'encontre d'un mur hérissé de pics en m'en prenant à elle.
Mais sa réaction confirme mes doutes : elle a des choses à cacher.
— Tu parles avec elle en ce moment, non ?
— Un peu.
Et même si ces mots sont banals, elle trouve le moyen de me les cracher.
Je ne sais pas ce qui la met dans cet état. Cette attitude défensive n'augure rien de bon.
Nous restons à nous jauger, chacune tentant de percer l'autre à jour sans y parvenir. L'atmosphère vibre d'une tension à faire vaciller les ampoules au dessus de nos têtes tant elle est électrique.
Je m'attaque à gros, Juliette n'est pas une adversaire impressionnable.
— Pourquoi ce soudain revirement ? m'enquis-je prudemment. Il s'est passé quoi depuis le jour où tu ne voulais pas entendre parler d'elle ?
— Je n'ai jamais voulu ne pas entendre parler d'elle... s'égare Juliette avec un surprenant demi-sourire.
Elle se ressaisit rapidement, mais je ne manque pas de noter ce détail dans un coin de ma tête.
— Et toi, pourquoi tu t'intéresses à elle ?
Son regard brûle d'une flamme menaçante. Je ne sais pas pourquoi, mais elle tient vraiment à protéger Louise.
L'espoir se fraye un chemin dans mon esprit.
Peut-être ne sait-elle pas ce que manigance la Crépuscule ? Peut-être qu'une fois informée, elle voudra la sortir de là ?
Peut-être n'aurais-je pas d'assassin à combattre finalement ?
Et sinon, si elle est dans le coup... j'ai toujours mon poignard sur moi.
— Je crois qu'elle prépare quelque chose de dangereux.
Les sourcils de Juliette s'arrondissent. Sans doute est-elle surprise de me voir au courant vu ce qu'elle confie ensuite, les yeux baissés :
— Elle... m'en a un peu parlé...
Tiens, bonne nouvelle. Continuons sur cette voix.
— Quels rapports entretient-elle avec Martin ?
Si elle est interloquée par la question, la rouquine n'esquisse rien qui ne puisse la trahir cette fois. Mais je sens dans son attitude qu'elle est plus encline à partager des informations tant que ça ne la concerne pas directement.
— Ils se connaissaient avant d'être sélectionnés, confie-t-elle. À vrai dire, leur lien était très fort. Ils étaient comme des frères et sœurs...
Cette nouvelle m'en bouche un coin.
Ah ça, je ne l'avais pas vu venir !
Seulement...
— Tu parles au passé ?
— C'est ce qu'ils étaient avant la compétition, se justifie-t-elle. Après... ça a changé.
— Changé ?
Le regard de Juliette se voile, elle baisse la tête pour m'expliquer :
— Martin s'est éloigné dès son arrivé au Palais. Déjà que Louise n'est pas vraiment démonstrative (un sourire vient caresser le coin de ses lèvres à cette idée) et qu'elle avait décidé de se trouver d'autres alliés pour la compétition, ils se sont rapidement éloignés.
— Tu les connaissais avant, constaté-je.
Elle possède trop d'informations sur eux pour les avoir apprises de la bouche de Louise en l'espace de quelques jours.
Juliette sourit avant d'acquiescer.
— Pas Martin, mais j'ai croisé Louise pendant un de ses voyages. Notre relation est... disons... particulière. C'est pour ça que nous nous évitons.
Je dois me prendre la tête dans les mains.
Non, je n'aurais jamais soupçonné un quelconque lien entre eux trois.
C'est vrai quoi, ils ne se sont presque jamais parlé !
Pourtant... la froideur que Juliette manifestait envers Louise et Capucine s'explique désormais.
— Ça a changé.
Ma remarque est à prendre autant sur le ton de l'affirmation que de l'interrogation.
— Oui, confirme Juliette. Louise avait besoin de conseils. Martin est venu la voir il y a quelques jours, il lui a demandé son aide pour... pour un projet. Louise voulait m'en parler.
Un projet !
— Quel projet ?
Juliette se mord la lèvre.
— Elle ne me l'a pas dit... Mais c'est grave si c'est quelque chose d'assez dangereux pour l'inquiéter. Je ne l'ai jamais vu si préoccupée...
Je tourne distraitement une mèche de cheveux autour de mon doigt pour me concentrer.
La bride de conversation que j'ai interceptée entre Louise et Martin, c'est forcément ça. Heureusement, Louise n'avait pas l'air d'adhérer (c'est le moins qu'on puisse dire vu comme elle l'a renvoyé).
Mais au cas-où...
— Essaie de la garder loin de ça. Si elle s'en mêle... ce sera aussi dangereux pour elle que pour nous.
Les sourcils de Juliette se froncent.
— Tu sais ce qu'il se passe ?
— Pas vraiment...
Mes épaules s'affaissent à cette pensée.
C'est vrai, je ne sais rien. Et je commence à avoir peur de ça.
Juliette me croit. Visiblement, j'ai acquis un peu de sa confiance au court des quelques jours passés en sa compagnie. Un atout à garder en mémoire.
— Je ferai attention à elle, promet la jeune fille.
Et je sens qu'elle est parfaitement sérieuse.
Je hoche la tête en souriant veillant à afficher une mine satisfaite. Qu'elle ne se rende pas compte qu'à l'intérieur, je commence vraiment à m'inquiéter de ce que peut comploter Martin.
— Merci, soufflé-je à la rouquine.
Elle me sourit en hochant les épaules.
— C'est normal, affirme-t-elle en hochant les épaules. Maintenant, si tu veux bien m'excuser, j'ai quelques personnes à aller mettre en sécurité. À demain !
Et elle quitte la chambre, mettant elle-même fin à notre conversation.
— Bonne nuit... je réponds mollement.
Juliette ne ferme pas la porte en sortant. Je m'approche donc pour rabattre le battant quand on le pousse brusquement vers moi.
Je laisse échapper un cri de surprise, recule et brandit les points, prête à combattre.
Juliette m'a tendu un piège ?!
Mais toute ma prudence s'envole quand j'aperçois le visage de mon nouveau visiteur.
— La soirée commence bien à ce que je vois, remarque Eliam en plissant les yeux.
Un sourire conspirateur vient se dessiner ses lèvres. Mon cœur bat plus fort.
— Je peux entrer ?
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