41~ Petite balade en forêt

— Tu nous amènes où ?

Nous ne marchons pas depuis longtemps, il n'empêche que je commence à perdre patience.
La silhouette du prince se découpe de la pénombre devant moi, dans la lumière ténue de sa lampe torche. Il est si proche... pourquoi je ne peux pas avoir mes explications maintenant ?

— Tu vas voir je t'ai dit ! répète-t-il en écartant une branche du passage. Fais-moi confiance, on est bientôt arrivés.

Pff, depuis quand doit-on parler de confiance ? C'est pas comme ça que ça marche.

Ma main dessine une énième fois l'embout du poignard d'entraînement que je porte à la ceinture. Je crois que je connais sa forme par cœur désormais.

Ce geste machinal me rassure. Au moins suis-je armée.

— Ça t'arrive souvent d'emmener des filles dans les bois en pleine nuit ? demandé-je en levant les yeux vers la lune cachée par les feuillages.

Je l'entends pouffer un peu en avant.

— Vas pas dire que c'est moi qui ai insisté pour que tu me suive. Tu peux toujours rentrer si tu v...

— Je ne savais pas que le parc était aussi long, le coupé-je sans l'avoir écouté.

Il rit encore, ses épaules frémissent dans le noir.

— On est bientôt arrivés j'ai dit. Un peu de patience !

Je décide donc de me taire, concentrant mon attention sur les froissements des feuilles sous nos pas. Je guette, rien ne doit me prendre par surprise.

Je suis toujours en alerte quand nous arrivons au grillage qui entoure la propriété. La lumière de la lune fait briller son maillage métallique. Et comme nous ne nous arrêtons pas, je comprends que c'est vers lui que les deux hommes me mènent.

Je crispe la main sur le pommeau de mon arme.
À quoi ça rime ?

Eliam s'avance encore, et ce n'est qu'en étant suffisamment proche de lui que je me rends compte qu'il y a un trou dans la clôture.

Je m'arrête net, le détaillant avec effarement.

N'importe qui peut entrer ou sortir du Palais par là ! C'est hyper dangereux !

— Fais pas cette tête, on dirait que t'as vu un assassin, ricane Eliam en remarquant mon effroi. On n'est que deux à connaître ce passage, il n'y a rien à craindre.

— C'est pas prêt de me rassurer, marmonné-je en me tournant vers lui.

Il sourit encore, amusé. Et une bouffée de colère enfle dans ma poitrine devant cette réaction ridicule.
Va-t-il prendre quelque chose au sérieux un jour ?

— Tu te rends compte du risque que tu nous fait courir avec ça ? m'indigné-je. Il faut le signaler !

— Non attends ! s'exclame le garçon en levant la main vers moi, comme pour me retenir. C'est que... fait-il en baissant le ton de sa voix. Laisse-moi juste te montrer. On verra après.

Et j'ai beau m'ordonner de ne pas me laisser avoir, son regard peiné finit par avoir raison de moi.

Oh et puis merde, j'ai envie de voir ce qu'il veut me montrer ! La curiosité me tiraille. Pas que le Palais soit désagréable, mais le quitter est alléchant. Et puis avec Eliam...

— Votre Altesse ? s'enquit Ganok en me dévisageant hostilement. Vous êtes sûr que...

Je le foudroie du regard.
Pour qui il se prend ?

— T'inquiètes pas, elle ne me fera pas de mal, assure Eliam en se plaçant entre nous deux.

Le regard qu'il échange avec son domestique veut dire des choses que je ne peux pas comprendre. Ils sont complices, autant les laisser se débrouiller seuls.

Ganok finit par soupirer puis ancre ses pieds dans la terre, ne me quittant pas un instant des yeux tandis que je me faufile hors de l'enceinte pour suivre son maître.

Une fois dehors, Eliam ne se perd pas en déambulations inutiles. Il s'enfonce dans les sous-bois sans douter, il doit avoir l'habitude du chemin.
Moi, je prends plus de précautions. Qui sait ce qui peut nous tomber dessus maintenant ?

— Il ne vient pas avec nous ? m'enquis-je en avisant le grillage dont nous nous éloignons.

— Non, il ne vient jamais, m'informe distraitement le prince.

Quelque part, cette nouvelle m'arrange. J'ai bien besoin de passer un peu de temps seule avec Eliam pour nous expliquer.
Mais ça n'en reste pas moins absurde.

— Et il te laisse de balader seul ? butté-je en m'arrêtant. Dehors, sans défense ?

— C'est plus simple pour passer inaperçu, partage le garçon sans prendre la peine de se retourner.

Je regarde sa silhouette avancer dans le noir, seulement éclairé par sa petite lampe torche.
Combien de temps va-t-il mettre à s'apercevoir que je ne le suis plus ?

— Gabrielle ? appelle-t-il au bout de quelques secondes.

Il se retourne, m'envoyant le faisceau lumineux en pleine face. Je plisse les yeux, éblouie mais pas le moins du monde déconcentrée.

Il a à m'expliquer certaines choses là.

— Passer inaperçu où ? demandé-je durement. Où est-ce que tu vas ?

Le garçon soupire en rabaissant les épaules, visiblement lassé par mon attitude.

Je ne bronche pas.

Non mais sérieusement, c'est moi qui gonfle les gens maintenant ?

— Je t'ai dis que tu ver...

— Et tu crois que je vais bêtement te suivre avec cette explication ? Non, je ne fais pas un pas de plus sans que tu me dises où tu m'amènes !

Déclaration qui ne semble pas vraiment le chagriner.

— Alors je continue sans t...

— Eliam ! m'exclamé-je alors qu'il se retourne déjà.

Ça l'interpelle, il interrompt son mouvement pour me dévisager.

— Je n'ai aucunement besoin de toi pour continuer, déclare-t-il froidement. Si tu n'es là que pour me faire perde mon temps, tu peux...

Je n'attends pas qu'il finisse de parler pour le couper.

Il est débile. Il ne sait pas ce que je sais, il n'est pas au courant que sa vie est menacée.
Il met tout le royaume en danger avec ses idioties !

Mais ce n'est pourtant pas ce reproche qui franchit en premier mes lèvres quand je m'approche de lui, les poings tremblants de colère.

— Tu rigoles avec moi, tonné-je furieusement. Tu me provoques, tu m'embrasses, tu m'ignores, tu me vouvoies, tu te moques de moi, tu me venges, tu acceptes de me conduire jusque hors du Palais, tu me demandes de te faire confiance et maintenant t'es tout à fait prêt à continuer sans moi ? Non mais qu'est-ce qui cloche chez toi !

Et je m'arrête à moins d'un mètre de lui, les joues brûlantes de colère.

Ça y est, c'est lâché.

Mais Eliam n'accuse à aucun moment le coup.

— T'as fait des pas de plus... a-t-il même l'audace de faire remarquer avec un abominable sourire.

Je serre rageusement les dents, fusillant ce regard bleu de toute mes forces.

NON MAIS SÉRIEUSEMENT !

Je m'efforce de garder mon sang froid, luttant contre l'irrésistible envie qui me prend de lui arracher les yeux.
À défaut de pouvoir laisser ma colère s'exprimer, je serre les poings et finis par tourner les talons, écumante de rage.

Je rentre, il n'en vaut pas la peine. Je rentre, je fais condamner ce passage et je n'adresse plus jamais le moindre regard à ce...

— Baraven ! lance Eliam dans ma direction.

Je me fige. Sa voix n'a rien de moqueuse cette fois.

— Baraven... répète-t-il plus bas. Je vais à Baraven.

Je ne desserre pas les poings.
Mais je suis bête, si bête que je finis par me retourner.

Le prince baisser les yeux au sol. Il ne rigole plus.
Se rend-t-il compte qu'il est allé trop loin ?
Non, pas lui. C'est impossible venant d'un tel imbécile.

Et malgré le fait que toute ma raison m'incite à le laisser planté là, je finis par le rejoindre.
Que ce soit un prince incliné devant une Nuit ou un garçon devant une fille, ça me fait honteusement craquer.

— Alors, c'est par où ? m'enquis-je mollement en m'arrêtant devant lui.

Il ne me quitte pas des yeux, détaillant soigneusement mon expression, puis il finit par sourire.

Je détourne le regard.
Non, je ne dois pas me laisser perturber ! Et puis c'est qu'il a vraiment un beau visage sous le claire de lune...

— Droit devant, répond-t-il en tendant une main devant lui. Si mademoiselle veut bien se donner la peine de me suivre...

Il pouffe quand je soupire bruyament, puis il se met à marcher. Et je lui emboîte le pas, les yeux rivés sur le sol.

Eliam s'y connait, nous arrivons bientôt à destination. Et mon souffle se coupe face au spectacle qu'il me présente.

La capitale est belle de nuit, vraiment belle.

D'élégantes tours se dressent un peu de partout dans la ville, pointant leurs toits en pic au dessus de l'océan orangés d'éclairages urbains. Du petit promontoire à l'orée de la forêt sur lequel nous nous sommes arrêtés me parviennent les bruits de la capitales.
Les moteurs, les klaxons et même une faible mélodie viennent chatouiller mes tympans.

J'aperçois l'Allona, le célèbre fleuve qui coupe la ville en deux. Elle est couverte du reflet des étoiles, si bien qu'on la dirait faite d'argent.
C'est la première fois que je la vois en vrai, et je dois dire qu'elle est fidèle à l'image majestueuse qu'on dépeint d'elle.

Mon cœur bat plus fort dans ma poitrine quand je détaille la ville agitée.
Curiosité et excitation m'étreingnent, j'ai vraiment envie d'aller y faire un tour.

— Alors ? s'enquiert Eliam en me regardant à la dérobée. Je te fais visiter ?

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