37~... dent pour dent

— Fini ! 

Juliette sort de la tente en se craquant les doigts. Des mèches rousses tombent de sa queue de chevale et bouclent autour de son visage au teint pâle, elle y est allé fort. Mais son sourire satisfait suffit à balayer sa fatigue.

Elle tourne la tête dans ma direction. Je la regarde en biais, souriant du mieux que je peux. Heureusement qu'elle était là pour arranger la statue pendant que j'allais faire n'importe quoi...

J'ai décidé de ne pas rentrer les voir après l'épisode avec Eliam, préférant rester seule à l'extérieur. J'avais honte, je n'ai pas réussi à nous venger. Et puis ils n'avaient pas besoin de moi de toute façon, je n'aurais fait que les ralentir.
Voûtée contre un poteau de la tente, j'ai plutôt regardé les autres courir dans le parc, profitant de leur début d'après-midi une fois leur oeuvre finie. 

Nous aussi nous aurions dû traîner avec eux. Sans ce sabotage, on aurait peut-être passé une bonne après-midi.

J'en ai mal au cœur.

— Tu vas voir, tu vas bien aimer, affirme Juliette en s'approchant de moi.

Ça n'arrive pas à me rassurer. 

— T'as fais ce que tu voulais faire ? s'enquit-elle posément.

Réticente, je reporte mon regard sur le parc devant nous. Je préfère regarder devant moi qu'avouer ma défaite. 

Participants comme domestiques s'agitent. Les juges vont bientôt arriver, on doit être prêts.
J'avise l'estrade dressée non loin de là, sous le soleil brûlant de l'après-midi. Bientôt j'y serai, bientôt nous allons y défendre notre sculpture contre les regards énervés qu'elle va provoquer.

Oh, je devrais être en train de stresser comme j'ai stressé toute la matinée. Si je suis protégée de l'élimination, Corentin et Juliette ne le sont pas. Ils jouent leur place là-dessus. 
Mais ce n'est pas pour ça que je m'inquiète dans l'immédiat.

— Non, lâché-je avec distance.

Je sens que ma coéquipière m'inspecte, sans savoir si c'est en bien ou en mal. En tout cas, quoi qu'elle pense, elle se garde de commenter.
C'est une sage décision.

Je repense à Eliam. Ça me fait du bien de le revoir me parler et me tutoyer. Il me manquait plus que ce que je pensais. Mais après ce qu'il vient de se passer, je ne sais pas ce qu'il peut penser de moi.

Et je devrais en avoir rien à faire d'ailleurs !
Mais j'ai compris, ces dernière semaines, que je ne pourrai jamais en avoir réellement rien à faire. J'ai besoin des autres.
Le problème, c'est que je découvre ça quand j'apprends qu'il y a un assassin parmi eux...

— T'inquiète pas, on va s'en sortir, souffle gentiment Juliette avant de repartir s'occuper de sa sculpture.

Je souris jaune en l'écoutant s'éloigner.
Ne pas m'inquiéter ? Quelle bonne blague ! Au contraire, je dois bien faire tout l'inverse.

ღ ღ ღ

Je trépigne dans les coulisses. C'est étrange, j'ai le trac. 

Capucine, Louise et Martin ont bientôt fini leur présentation. Viendra après le tour du groupe d'Eliam et d'Adama, puis le notre. Nous sommes les derniers à avoir rendu notre oeuvre, nous serons donc les derniers à passer. Et je n'arrive pas à déterminer si c'est une bonne ou une mauvaise chose.

Henry-Louis, Elya et Hyacinthe ont confectionné une peinture d'un village en montagne. Elle est basique, Juliette aurait pu faire mieux toute seule. Seules les touches d'or rajoutées à l'ensemble, la contribution d'Henry-Louis, vaut un peu d'originalité.

Après eux, le groupe de Capucine a présenté une sculpture vivante, une oeuvre d'art qui entre à merveille dans le thème. Les Crépuscules ont rassemblés tubes de verres et tiges de métal pour soutenir une splendide composition florale. Avec Martin dans leur équipe, on pouvait difficilement s'attendre à autre chose. Et le résultat est époustouflant, ce seront eux les gagnants !

— Merci pour votre présentation, récite stoïquement un homme debout au bord de l'estrade, mettant fin à leur intervention.

Les trois équipiers hochent la tête d'un même mouvement et quittent la scène, laissant les mécaniciens s'occuper de leur œuvre. La composition éclatante de vie et de couleurs est bientôt remplacée par le large voile cachant la sculpture du groupe suivant. Les quatre participants concernés s'avancent sur scène, prêts à présenter leur oeuvre.

En premier, il y a Adama au menton levé, à croire que son auditoire se trouve quelques mètres plus haut. Viennent ensuite Anthony et Dorian qui se bombent fièrement le torse puis Eliam, qui les suit nonchalamment avec son éternel sourire aux lèvres.
Il passe en dernier, comme si il était accessoire. Même sa famille ne lui fera pas revêtir la moindre importance.

Il se glisse à coté d'Adama et attrape sa main. Je tente de ravaler la boule qui se forme en travers de ma gorge à cette vision (je dois vraiment arrêter avec ces réactions stupides), et rive mes yeux sur l'oeuvre qu'Anthony s'apprête à dévoiler.
L'oeuvre que j'ai failli saboter...

— Mademoiselle Adama, monsieur Eliam, monsieur Dorian et monsieur Anthony, annonce l'homme de sa voix monocorde. Créateurs de l'oeuvre : Naissance du Jour.

Les quatre équipiers lèvent la tête en direction des tribunes. Tous leurs regards convergent vers les personnalités qui leur font face.
Je regrette de ne pas les voir de là où je suis. J'aurais bien aimé me préparer au spectacle, juste histoire de contenir les tremblements de mes mains.

— Bonjour à tous, apostrophe Adama en avançant de quelques pas.

Pas le moins du monde crispée, je dois reconnaître que l'Aurore est faite pour se produire en public.

— À travers notre oeuvre, nous avons voulu représenter la puissance de Marath, présente-t-elle d'une voix posée. Un équilibre minutieux entre nature et merveilles humaines. Nous avons de plus décidé de faire un petit clin d'œil à nos castes d'origine...

Je ne peux m'empêcher de sourire nerveusement en pensant à notre propre sculpture.
Juliette a vraiment de bonnes idées.

— Je vous laisse maintenant la découvrir, conclut Adama avec un élégant geste de la main dans la direction d'Anthony.

C'est le moment de vérité.
Tout sourire, l'apprenti garde tire sur le draps pour dévoiler leur oeuvre. 

Et c'est... oh merde !

Je... mon souffle se coupe de surprise.

Que ce soit nous dans les coulisses ou les coéquipiers sur scène, personne ne peut détacher les yeux de la statue dévoilée.

C'est une splendide sculpture représentant une grande vague dorée. Des nuages en cotons, des éléments naturels repeints disposées à divers endroits stratégiques et des joyaux rouge, blancs et orangés dispersés sur tout sa longueur. Ce serait une oeuvre magnifique...
... si il n'y avait pas cette énorme tâche noir en plein milieu !

Je sens mes jambes ramollir. C'est ce que... c'est ce que je voulais faire !

Mais... comment ?!
Je ne comprends pas...

Ce qui n'empêche pas un immense sourire de s'imposer à mes lèvres.

Leur oeuvre est ruinée !

J'admire les trait éclatés de surprise d'Adama. Ses yeux sont écarquillés d'indignation, sa bouche est grande-ouverte sur une exclamation qui ne sort pas. Elle se reprend rapidement, ce qui ne m'empêche pas de garder l'image bien au chaud dans mon esprit.

Sa rage est palpable.
C'est trop beau pour être vrai !

Les autres réagissent de manières différentes. Le visage d'Anthony, dont je peux voir l'expression contrairement à Dorian qui me tourne le dos, est figé dans un masque d'incompréhension. Les épaules crispées de l'autre Jour m'informent cependant que lui, c'est de la colère qui l'habite.

Ils ne s'y attendaient pas. Mais qui pouvait s'y attendre ?!

Le seul qui ne transmet ni colère ni surprise, c'est Eliam.

Je braque mon regard sur lui, le détaillant à imprimer son image sur ma rétine.
Sous ses boucles noires, il n'y a des rides sur son front que parce qu'il lève hypocritement les sourcils. Son étonnement est feint, il ne faut pas être un expert pour s'en apercevoir. Oh, c'est pas non plus comme si il cherchait à le cacher ! Le sourire malicieux qu'il aborde discrédite formidablement son cinéma.

Il regarde la sculpture avec amusement. Et quand d'autres pourraient penser qu'il se moque de l'accident, que ça ne le touche pas, je sais qu'il rigole des réactions provoquées.
Il rigole des souffles étouffés dans l'assemblées et des grimaces de toute son équipe devant le sabotage.

Son sabotage.

Mon cœur bat de plus en plus fort. Mes mains sont moites, l'émotion me submerge.

Il a... il a fait ce que je m'apprêtait à faire.
Lui, sans aucune raison valable, il a saboté le travail de son équipe !

C'est loin d'être drôle, il en rit. C'est un traître, un abominable traître !
Mais cette nouvelle me réjouie tant que je me retrouve à sourire avec lui.

La chance a tourné, Adama paye enfin !

MERCI !

Eliam se tourne nonchalamment vers les tribunes, sourire en plein sur les lèvres. Ce visage innocent, il fait battre mon cœur plus fort. 

Ça l'a peut-être amusé. C'est le genre d'Eliam ça, faire des coups foireux pour le plaisir de se discréditer aux yeux de tous.
Mais peu importe parce que grâce à ça, le garçon m'a vengée.

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