36~ Œil pour œil...

— Tu peux me passer l'eau ?

Je lève le nez de ma purée et avise la main tendue de Capucine dans ma direction. Elle me sourit, je ne lui rend pas. Je lui passe seulement le pot-à-eau avant de détourner les yeux.

Le vent ébouriffe mes cheveux que je range inlassablement derrière mes oreilles. Comme rien ne les accroche, ils n'y restent pas bien longtemps.
Déjeuner en extérieur était une bonne idée. L'ambiance est conviviale et l'air est doux, c'est agréable. Mais les cheveux dans la bouche, je dis non !

— Tu veux un chouchou ? me propose Juliette en face de moi, souriant devant mon exaspération.

Elle se moque de moi, mais je suis bien obligée d'accepter sa proposition. 

— Tu veux peut-être que je te les attache aussi...

— Ça ira, merci, refusé-je sèchement en ramenant mes cheveux en arrière.

Je n'ai pas la tête à plaisanter. 

Nous avons finit notre oeuvre dans les temps et nous pouvons nous détendre maintenant, d'accord. Mais j'apprécie limite qu'elle me provoque au nez et à la barbe de Louise et Capucine. Je ne suis plus en bon termes avec elles, et leur aide de ce matin ne changera rien au fait que leur présence me met mal à l'aise. 
Je n'ai pas envie que Louise me juge encore de son regard froid et calculateur, ou que Capucine rigole de moi. Je préfère rester neutre.

Juliette semble le comprendre, elle abandonne en me souriant piteusement. Je loue sa compréhension, rassurée de pouvoir compter sur elle au moins pour ça.
Corentin a moins de tact. À le voir, on dirait que Louise et Capucine n'ont jamais quitté le groupe. Il est trop gentil ce mec, trop gentil.

— On va faire quoi de l'heure qu'il nous reste ? s'interroge-t-il nonchalamment en ramenant ses mains derrière sa tête. Maintenant qu'on a fini...

— On va peaufiner notre oeuvre, quelle question ! s'offusque Juliette. Elle ne sera jamais finie !

Je souris, la fougue de la jeune fille m'amusera toujours. Puis je laisse mon regard glisser mon regard vers la table qu'occupent les des deux autres groupes.

Je regarde Eliam rire à gorge déployer au milieu, dans le même élan que ses voisins. Il amuse la galerie, encore et toujours. Oh non, voilà que mon ventre se tord d'envie de le rejoindre. Je ne dois pas me laisser aller à ça !
Mais stupidement, je ne peux m'empêcher de me rappeler l'épisode de la plage...

Je secoue vigoureusement la tête pour me changer les idées. Hors de question que tu reparte dans tes délires foireux Gabrielle, ça va encore mal se finir !

Alors je me reporte vers Adama, assise juste à coté du prince comme à son habitude. Bonne initiative, son regard moqueur qui croise le mien me fait vite oublier le garçon.

Elle me provoque, elle rive ses yeux dans les miens et pose sa main sur celle d'Eliam, un sourire cruel aux lèvre.
Mes muscles se contractent de rage. Je... je vais... Ah si j'avais un poignard, elle rigolerait moins !
Elle et ses manières d'ange, son visage trop beau, ses yeux plissés, son sourire vicieux... Elle m'énerve à un point !
Cette fille, c'est vraiment la pire des pestes.

ღ ღ ღ

— C'est quoi ça ?!

Si la voix de Juliette se fait balayer par le vent, les étincelles qui émanent de sa personne vibrent dans l'air ambiant. Elles emplissent l'atmosphère de la petite tente dressée pour nous dans le parc et ricoche sur la toile.

La bouche entre-ouverte de surprise, je n'arrive pas à détacher les yeux de la statue. Elle qui était si belle, si majestueuse quand on l'a laissée pour aller manger...

Elle est tâchée de rouge !

De rouge ! DE ROUGE ! 

Cette couleur, ça me sort par les yeux !

L'hébétitude laisse bientôt la place à la rage. Mes pensées fusent, mon sang bouillonne. Je ne ressens plus l'électricité de Juliette, c'est la mienne qui parcourt mes veines.

Adama n'avait pas le droit ! Pas encore, pas quand ça engage tout mon groupe ! CETTE PESTE !

Une haine furieuse m'agite, une flamme qui m'embrase devant cette signature si caractéristique, j'en ai envie de vomir.

Elle doute de rien ! ELLE S'ACHARNE !

— J'ai un arrière goût de déjà vu, carché-je aigrement.

Juliette sort de sa consternation pour me dévisager, les traits tendus. Ses sourcils se plissent, elle me prend en pitié.

Oh non, j'aime pas qu'on me prenne en pitié ! Elle devrait avoir pitié de la statue, pitié d'elle-même ou même pitié d'Adama. Mais certainement pas pitié de moi ! 

Il n'y a pas de pitié qui tienne, je vais me venger !

— Gabrielle ? m'appelle Corentin alors que je m'empare furieusement d'un pot de peinture noir laissé sur notre établit.

Murée dans ma rage, je ne lui accorde pas un regard. J'ai les yeux rivés sur le sol, et ce n'est pas à cause de la honte cette fois !

— Réparez la sculpture, j'ai quelque chose à faire, déclaré-je glacialement en quittant la tente.

L'épreuve vient subitement de quitter mes pensées. Je suis toute absorbée par ce sourire carnassier que j'ai vu sur ses lèvres tout à l'heure au repas, plaqué sur ce visage que j'aimerais plus que tout déchiqueter.

Ah, mais c'est que ça l'amuse de me pourrir la vie !

Le pot de peinture ne pèse rien entre mes mains. La rage gonfle mes muscles, il n'y a plus que la vengeance qui compte.

J'arrive devant la tente que je cherchais. Je passe sous le rideau et foudroie du regard la forme vague de leur sculpture cachée derrière un voile. Ma fureur pourrait presque suffire à la faire exploser.

— Ielle ?

La voix calme d'Eliam me sort subitement de ma transe.

Le garçon était assis dans un coin la tente, il vient de se lever. Ses mains ne tremblent pas, ses traits ne sont pas tendus, il n'est pas méfiant. Il m'observe seulement pour le moment.

Mais quand il comprendra...

— C'est quoi ça ? demande-t-il d'une voix enrouée au bout de quelques secondes, pointant le pot de peinture du doigt.

Ses sourcils se froncent. Oh, le pot m'apparaît plus lourd soudainement.

Je baisse les yeux, ce n'est plus par fureur. Un peu de rage refroidie peut-être... et surtout de l'impuissance. 

Que va-t-il penser de moi, lui, après ça ?

— Je...

— Les autres vont pas tarder à revenir, remarque-t-il pensivement.

Sa voix est descendue dans les graves. Quand je le regarde à nouveau, il a une main sur son menton et les yeux rivés sur le pot que je tiens entre les mains.
Jusqu'à ce que nos regards se rencontrent.
Ses yeux ne brillent pas dans la pénombre, ils sont plus noirs que bleus. Je ne peux rien y lire.

— Tu ferais mieux de partir, dit-il finalement.

Je hoche la tête, il a raison. Mais je...

Je regarde piteusement le pot dans mes mains puis la large forme derrière le voile, récitante. Qu'est-ce que j'aimerais finir ce que je suis venue accomplir !

Mais je ne suis pas folle, je dois rebrousser chemin. Avec Eliam dans les parages, je ne peux rien faire. J'aurais déjà de la chance si il ne me dénonce pas...

Je tourne les talons, la tête baissée par la défaite. Mais je n'ai pas fait quelques pas qu'il me rappelle déjà :

— Donne-moi ça, fait-il en tendant les mains.

Je mets un instant à comprendre qu'il parle de la peinture. Je serre alors les mains sur le pot, le défiant du regard.

Qu'il le garde pour mieux m'accuser ? Hors de question !

J'aimerais le laisser planté comme ça et filer. Mais je ne peux pas, je suis coincée. Et devant l'insistance de son regard, je ne peux pas faire autre chose que de lui confier le pot.

Grave erreur sans doute. Surtout avec ce sourire espiègle qui apparait sur ses lèvres... C'est trop tard.

Je file hors de la tente, tête basse et mains ballantes. Je ne cherche pas à imaginer la sanction qui peut m'attendre. J'espère, j'ai encore un peu espoire qu'Eliam gardera l'épisode pour lui. Il ne me doit rien, mais j'ai le droit d'espérer.
Et puis je ne peux m'empêcher de me demander ce qu'il pense de moi maintenant. 

Amusement ? Déception ?

Le regard rivé sur l'herbe, je ne peux qu'encore maudire mon idiotie. Tenter de saboter son travail, c'est sûr qu'il va m'avoir dans le nez après ça !

Oh merde, qu'est-ce que je viens de faire ?

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