27~ Charognards

Je n'en peux plus.
Je n'en peux plus de cette pression, je n'en peux plus de ce thème pourris, je n'en peux plus des regards méprisants de Mr poireau et de ceux fuyants des autres participants. Mon sang bouillonne de frustration, je n'en peux plus de cette compétition en entier !

Ce matin, c'était l'évaluation des bonnes manières. Et comme prévu, je me suis lamentablement vautrée.

Ces idiots nous occupent toute l'après-midi à la place de nous laisser du temps libre pour réviser et ils s'étonnent que je n'ai pas appris mes leçons ? Une vaste blague !

C'est une conspiration, ils sont tous contre moi. Ma prestation tout juste passable devant les délégations, cette conversation glaçante avec le Bavatelien dont j'ai encore des frissons et mes manières désastreuses qui me font tomber toujours plus bas. Oh non, je ne suis décidément pas faite pour vivre dans ce monde !

J'arrête le jet chaud de la douche, laissant les dernières goûtes descendre le long de mon visage. Elles dévalent mes joues comme les larmes que je n'ai pas envie de laisser couler. Embrumé de buée, la peau brûlante, je reste figée là. Le regard dans le vague, j'entends distraitement Nora m'appeler à travers la porte de la salle de bain. 

— Mademoiselle ? lance-t-elle. Vous êtes attendue au salon de beauté, vous devriez vous dépêcher.

Oh oui, cette foutue après-midi. La journée n'est décidément pas prête d'être finie.
Je ferme les yeux et laisse mes doigts poser pommeau de douche sur son portoir avant d'aller m'habiller à la vas-vite, la tête vide. Tout est si proche, ça me paraît si loin...

Une après-midi à passer parmi les autres filles, à faire encore une large démonstration de ma totale maladresse pour m'apprêter et finir avec une allure déplorable au bal de ce soir.
Je suis minable dans toutes ces ces épreuves, mais ce n'est pas de ma faute ! J'ai appris à vivre moi, pas à me donner en spectacle comme ça.

C'est la boule au ventre que je gagne le salon de beauté. La pièce est chargée d'une odeur entêtante de cosmétiques mêlée à de multiples parfums différents qui me saute à la gorge. Je toussote avant de traverser la salle pour gagner mon boxe, sans que personne ne m'adresse un regard.
"Bien se préparer pour le grand bal", voilà ma mission. Mais devant la palette de maquillage et l'armada de produits de beauté laissés à ma disposition, je ne vois pas comment je peux m'en sortir.

Je n'ai jamais appris à m'occuper de tout ça.

Je jette un regard à la dérobée aux filles qui s'évertuent à se préparer. Elles se donnent toutes à fond, totalement absorbées par leur tâche. Même la petite Flora s'applique à se maquiller.
Une bouffée de dignité m'étreint. Si cette petite fermière y arrive, je dois en être capable moi aussi !

Alors j'attrape résolument un pinceau, le passe dans la poudre et entreprends de maquiller mes paupières. Mes gestes sont grossiers, j'en mets de partout et maltraite gracieusement ma peau. Mais à force de recommencer, de persévérer, je finis par arriver à quelque chose de potable.

Du marron sur les yeux, parce que c'est la couleur dont on voit le moins les imperfections, du gloss sur les lèvres et même une frêle couche de rose sur les joues. 

Et quand je me dévisage enfin dans le miroir, je ne vois pas le spectacle auquel je m'étais attendu. Le maquillage est très simple, presque invisible. Loin du thème somptueux de la soirée. Mais je prévoyais pire, alors je m'estime heureuse.

Je me tourne ensuite vers les tenues qui ont été mises à ma disposition. J'aventure mes mains entre les tissus, constant avec désolation que ce ne sont que des robes.

Eh merde... il va falloir que je fasse avec.

Je prends la robe la plus simple que je puisse trouver. D'une teinte beige, tombant plus bas que les genoux et remontant sagement autour du cou en dévoilant les épaules. La cape rouge qui y est assortie semble pensée pour rajouter l'aspect sophistiqué à la tenue mais je décide de m'en passer. Cette teinte n'ira pas avec le violet de mes cheveux de toute façon.

Je passe la robe, laisse retomber son tissu doux le long de mes jambe et fait quelques pas pour la tester. Ce genre de tenue est trop lâche, trop ample. En plus, le col et le haut me serrent. Je n'arriverai pas à m'y faire. Mais il va falloir la supporter pour cette soirée...

Songeant alors à la touche qu'avait apportée Nora à ma tenue le premier jour, je choisis une grosse ceinture marron pendant au portique pour la passer autour de ma taille.
Penser à la domestique me laisse mélancolique. Qu'aurais-je donné pour la trouver à coté de moi en ce moment, qu'elle puisse m'aider et m'habiller comme elle sait si bien le faire ?
Elle n'est pas là, je dois me débrouiller seule. Et quand je finis par me retourner vers le miroir, je le regrette âprement.

Dans mon reflet, on dirait une petite servante pâle et effacée. Ma tenue est neutre, sévère et commune, affreusement pas adaptée au fastueux bal qui se prépare. 

Défaitiste, je vais m'affaler à la coiffeuse en me regardant dans les yeux. Je me jauge, je me défie, tout en gardant pour moi un long soupire de découragement qui m'habite.
J'ai décidé d'essayer de rester, d'ignorer les menaces du Bavatelien pour poursuivre ma course. C'était le chemin le moins dangereux qui s'offrait à moi. Mais à me voir comme ça, je crois que je suis vraiment finie...

— Besoin d'aide ?

Je sursaute, pas du tout prête à voir débarquer une jolie rousse dans le reflet du miroir. Je me retourne vivement, jaugeant son sourire bienveillant avec prudence.

Habillée d'une large robe bleue, la jeune fille est magnifique. Le mélange savant des couleurs de sa tenue s'accorde parfaitement bien avec la lumière de ses cheveux joliment bouclés. Et c'est sans parler de son maquillage, un dégradé de bleu parfaitement réalisé couvrant ses paupières comme une peinture.
Juliette, nommé-je dans ma tête. Une artiste aux doigts entraînés qui semble parfaitement à sa place dans cet environnement de couleurs.

— Tu... bredouillé-je en la regardant s'approcher pour prendre mon pinceau de maquillage entre ses longs doigts.

— Je te propose de l'aide, oui, confirme-t-elle en me regardant en biais. Sans vouloir te vexer, tu en as besoin.

Et ça ne me vexe pas le moins du monde.

— Pourquoi ?

Elle rive ses yeux bleus dans les miens, me dévisageant un long moment.

— Parce que c'est vachement inégale d'opposer des Nuits et des Aurores dans cette activité, finit-elle par déclarer. En plus, j'ai finis et tu m'as l'air de galérer. Alors autant m'occuper de toi.

Je sonde son expression. Pas de tremblement nerveux, elle est sincère. Je vois même une étincelle de résolution briller dans ses yeux.
Je comprends que si elle vient m'aider, c'est pour la même raison qu'elle a pris ma main il y a quelque jours quand tout le monde me tournait le dos. Cette fille est habitée d'un formidable besoin de justice.

— Alors, t'es d'accord ?

Elle a déjà le pinceau dans les mains, un mot de ma part et elle commence. Alors, décidant d'accepter cette aide aussi inattendue que profitable, je lui donne volontiers le feu vert.
Et la jeune fille démarre.

La mise en beauté n'est peut-être pas aussi agréable que les soins de Nora, mais le résultat est largement à la hauteur.
Juliette parfait mon maquillage, rajoutant eye-liner, touches d'argents, motifs violets et une bonne couche de mascara. Quand je recroise mon regard dans le miroir, je suis méconnaissable.

Cette fille a vraiment un don.

— Tu as des beaux yeux, tu devrais les mettre en valeur, remarque-t-elle distraitement.

Je lui souris, touchée plus qu'il ne le faudrait par son compliment.
Puis elle me fait me lever pour s'occuper de ma tenue. Elle rajoute couches de tissu, voiles, couleurs et paillettes pour me sortir de là avec un vrai chef d'œuvre violet et blanc sur le corps.

Ma voix s'étouffe dans ma gorge au moment de la remercier.

— C'est rien, minimise-t-elle d'un sourire chaleureux. Au moins maintenant, tu as toutes tes chances !

J'hoche la tête, tout à fait de son avis. 

Sauf qu'il ne faut pas parler trop vite, je devrais décidément retenir cette leçon. Ne pas me croire m'en sortir enfin. Surtout pendant cette semaine à chier, surtout dans un rassemblement de concurrentes hostiles et sous le regard d'une fille puissante que j'ai eu l'audace de contrarier.

Du rouge, voilà ce qui me tombe soudainement dessus.

— Oh mince ! j'entends une voix flottante regretter hypocritement sous la cascade de teinture qui me tombe sur la tête.

Je ne mets pas longtemps à l'identifier, c'est Hyacinthe. Oui, cette gracieuse fille qui ne s'est jamais montrée maladroite jusqu'à aujourd'hui...

Je passe une mains sur mon visage pour en enlever la peinture, dégage mes yeux et sens mon cœur s'accélérer quand je me regarde dans un des nombreux miroirs de plein pied.
Ma robe est tachée tout du long, mon maquillage est réduit à néant et mes cheveux sont emmêlés de la teinture poisseuse.
Elle ne m'a pas raté, cette idiote. Ah ça c'est vraiment pas de bol !

Les yeux brûlant de colère, je remarque alors que personne ne semble se préoccuper de mon cas. Elles me regardent toutes, mais aucune n'intervient. Elles sourient presque même, et je prends conscience que ce qui vient d'arriver ne chagrine personne.

Personne, personne !

Elles en ont toutes après moi, je suis fichue et elles en sont heureuses !

Quelle brochette d'ordures !

Je serre les points, retenant mes larmes de toutes mes forces. Elles ne me feront pas pleurer, elles ne me feront pas pleurer !

Sauf que je ne tiendrai pas longtemps.

— Excuse-moi, répète doucereusement Hyacinthe.

Mais c'est dans le vide qu'elle parle, je ne l'écoute pas. Je n'écoute plus rien. À la place je pars en courant dans le couloirs, les dents plus serrées que jamais.

Et la dernière chose que je vois en quittant la salle, c'est le sourire satisfait d'Adama.

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