26~ Les délégations

- Le pied gauche devant, souffle Corentin dans mon oreille.

Je souris et serre les poings sur mon pantalon pour retenir mes tremblements.

- Merci du conseil, râlé-je de mauvaise grâce.

Le garçon n'a pas le temps de répliquer que voilà déjà le début de la délégation Drusse.
Alors je souris, je salue, j'embrasse les mains et les joues en inclinant docilement la tête selon toutes les instructions que j'ai réussi à me faire entrer dans la tête cette nuit. Puis vient le tour des Avadiens et enfin, des Bavateliens.

Quand le dernier membre de la délégation passe devant moi, après avoir finit de se présenter, je m'autorise à souffler. Je n'ai reconnu personne et personne ne m'a reconnue. Eh bien voilà, c'était pas la peine de stresser !

C'est donc le cœur plus léger que je pars en direction des tentes dressées en l'honneur des étrangers dans le parc. Peut importe que les autres me regardent mal quand je marche au milieu d'eux, peu importe qu'il ne reste que Corentin à mes cotés. Je m'en fou, pour les étrangers je ne suis qu'une candidate comme les autres.

Sauf qu'il ne faut jamais crier victoire trop vite...

- Mademoiselle ? m'interpelle-t-on alors que j'apporte un verre à Corentin en me faufilant dans la foule.

Je m'immobilise. Cette voix à l'accent grave, c'est celle d'un Bavatelien. Je me sens mal soudain...

Je tourne la tête, méfiante, pour me retrouver face à un homme blond au visage sec et fermé. Ses traits sont plissés, partagés entre politesse de surface et quelque chose de plus profond, quelque chose de pas net.

- Que c'est gentil, un verre pour moi ! fait-il en me prenant la coupe des mains.

J'en reste bouche bée.

- Ça fait quelques jours que je suis votre évolution dans la compétition, je dois dire que je suis ravis de faire enfin votre connaissance, poursuit-il distraitement en jouant avec le liquide dans le verre. Vous auriez un peu de temps à m'accorder ?

Mes membres frémissent. Derrière ses airs nochalants, je sais avec certitude que cet homme est une menace pour moi. Mais je suis obligée de bien me comporter donc je dois accepter cette proposition, aussi douteuse soit-elle.

- Bien-sûr ! je réponds poliment en me tordant les mains. Donnez-moi juste le temps de prévenir ma photographe et je vous rejoins...

Ses lèvres se convulsent, il n'est pas ravis de l'idée. Mais je ne lui laisse pas le temps de répliquer en filant chercher Patrina. Hors de question que je reste seule avec lui !

- Patrina, soufflé-je en arrivant devant la photographe. Je vais discuter avec un Bavatelien...

Et je garde la gorge sèche, sachant que l'inviter à nous rejoindre éveillera les soupçons. Heureusement, elle comprend tout à fait ce que je veux.

- Je vous suis, déclare-t-elle en posant son verre pour attraper l'appareil photo pendant à son cou.

Je la remercie d'un signe de tête puis repars dans l'autre sens, avançant lentement mais sûrement vers mon triste destin.
Voler un riche Bavatelien, quelle idée foireuse ! Fallait bien que ça me retombe dessus un jour ou l'autre...

- Vous revoilà, s'extasie l'homme en me voyant réapparaître.

Comme si j'avais pu l'oublier...

Il me tend un bras que je regarde un instant, hésitante. Je pourrais le refuser, je pourrais fuir. Je devrais d'ailleurs, c'est ce que j'ai toujours fait.
Mais que je le veuille ou non, je n'en ai plus le droit aujourd'hui. Alors je me vois forcée de passer mon bras contre le sien avant de me laisser entraîner à l'écart.

Mes muscles sont crispés, je suis sur mes gardes. La proximité physique ne me réussit pas, je dois me concentrer pour ne pas me dégager.
L'homme me fait peur, j'analyse le moindre de ses mouvements avec méfiance. Je sais Patrina veille sur moi de loin, mais on est jamais trop prudent.

- Puis-je savoir à qui ai-je l'honneur ? demandé-je enfin, veillant à contrôler les tremblements de ma voix.

Le Bavatelien rit distraitement.

- Boris Fyavh, mademoiselle Gabrielle, répond-t-il.

Fyavh... ça ne me dit pas grand chose.

- Et c'est à quel sujet ? je l'interroge.

S'il rit plus fort, son bras se crispe aussi davantage. Nous sommes loin du groupe maintenant, marchant sur le chemin de marbre qui mène au Palais. Assez à l'écart pour qu'il puisse me parler sans être entendu. Et après un regard vers les autres, il lâche enfin :

- Au sujet d'un emprunt que vous avez fait à mon frère il y a quelques années de cela, déclare-t-il en se tournant vers moi. Voyez-vous, il se trouve que vous avez oublié de lui rendre la chaîne que vous lui avez prise alors qu'il séjournait à un hôtel d'Hiberna. Heureusement qu'en voyant votre visage passer à la télévision, il vous a reconnue. Étant convié au Palais, je lui ai donc proposé de réparer ce fâcheux accident à sa place...

Mes poings se serrent devant ce regard jaune pénétrant. Merde son frère... je n'ai pas de chance sur ce coup.

- Oh, laissé-je échapper, les cordes vocales engourdies par la crainte. Je suis vraiment désolée pour votre frère, mais il se trouve que je n'ai plus la chaîne dont vous parlez.

Ses sourcils se froncent tandis que son sourire s'étire. De son visage anguleux à ses expressions tordues, cet homme n'a décidément rien d'humain.

- Vous m'en voyez navré, jeune fille, regrette-t-il doucereusement. C'est qu'il y tenait beaucoup à cette chaîne.

- Je crains que je ne puisse rien faire pour vous, m'excusé-je en faisant un geste pour m'en aller.

Peine perdue, ce n'est pas comme ça que l'homme me laissera partir. Il attrape plutôt mon poignet d'une poigne de fer et me force à le regarder, impossible de me dégager.

- C'était un héritage familial des Fyavh, souffle-t-il en tirant sur mon bras pour approcher mon visage du sien. C'est donc très navrant qu'il soit tombé entre d'autres mains par votre faute...

Je prie pour qu'il ne sente pas les tremblements agiter mes bras. J'aurais l'air moins ferme si il me surprenait à trembler comme une feuille.

- En effet, ça l'est. Mais je ne peux pas aller le récupérer voyez-vo...

L'homme me coupe rapidement.

- C'est sûr que ce n'est pas en traînant devant les caméras que vous allez la retrouver, tonne-t-il en serrant plus fort mon poignet.

La pression réveille la voleuse en moi, celle qui veut se libérer. Mes nerfs sont à vif tout comme ma peur effleure. Un peu plus et je ne pourrais pas me retenir de m'enfuir.

- Qu'est-ce que vous attendez de moi ? lancé-je avec tout le sang froid qu'il me reste.

Comme si c'est lui le fautif, comme si il m'attaque pour rien. Mais aucun de nous deux n'y croit.

Les yeux de l'homme s'affinent avec son sourire satisfait, content de me voir enfin réagir.

- Je savais que vous ne tiendriez pas cette diplomatie bien longtemps, jubile-t-il mauvaisement. Eh bien si vous voulez parler franchement, parlons franchement. J'exige que vous rapportiez à ma famille la chaîne que vous nous avez volée dans les plus brefs délais.

- Comme vous l'avez si bien dit, c'est impossible, seigneur, remarqué-je stoïquement.

- Voyons, je ne suis pas encore seigneur ! ricane-t-il en balayant l'air de sa main libre avant de perdre son sourire. Mais soyez sûre que je sais quand même me faire craindre, poursuit-il d'une voix acérée. C'est simple, partez cette semaine du Best's Game pour regagner vos trafics et retrouvez-nous cette chaîne.

Puis il relâche mon poignet pour tirer un papier froissé de la poche de son costume et me le tend fermement.

- Une fois que vous l'aurez en votre possession, vous nous contacterez par ce numéro, déclare-t-il en fourrant le papier dans ma main. Vous voyez, ce n'est pas si compliqué de s'arranger.

- Pourquoi je ferais ça ?

Ma voix est trop faible, je serre les dents. Il faut que je m'impose, je ne doit pas céder à l'intimidation. Je ne suis plus la voleuse qui peut fuir, il me faut plus de force.

- Vous avez volé, mademoiselle, rappelle-t-il d'une voix mielleuse. Je suis sûr que votre roi ne laissera pas une hors-la-loi de votre genre gagner ses précieux jeux.

Je ravale ma salive.

- C'est du chantage ça, monsieur ?

- Voyez-le plutôt comme un marché, rectifie-t-il d'un geste de la main.

J'inspire un bon coup avant qu'il se détourne.

- Je crains être engagée dans trop de marchés pour accepter le votre, déclaré-je bravement.

- Alors vous allez devoir revoir vos priorités, jeune fille, réplique-t-il d'une voix glaçante. Nous vous donnons jusqu'à la fin de cette manche pour vous faire éliminer. Si vous vous obstinez à rester, nous chargerons nous-même de votre départ.

Je serre les poings, tétanisée. Le pire, c'est qu'il a parfaitement les moyens d'appliquer ses menaces.

- Une fois dehors, poursuit-il, vous devrez vous montrer coopérative. Vous ne serez plus en sécurité une fois chassée du palais, mes hommes...

- Gabrielle ?

Cette voix aiguë qui brise les menaces, c'est la seule chose qui peut me sortir de là. Et c'est bien la première fois que je suis heureuse de l'entendre !
Délaissant mon agresseur je me retourne vers son origine, tremblante.

- Adama ! lancé-je d'une voix frêle.

Je suis trop intimidée, songé-je tristement. Je ne devrais pas, je ne dois rien avoir à craindre.

Sauf que cet homme à coté de moi a vraiment tout en main pour me nuire. Et puis être sauvée par l'ennemie que j'ai librement défiée la veille et qui m'a suivie pour une raison totalement inconnue n'est pas non plus une bonne chose.

- Vous penserez à ma proposition, souffle l'homme en faisant un signe de la main à l'Aurore qui s'approche.

Puis il me laisse, seule avec ce grand vide qui balaye mes convictions. Je sens mon cœur battre jusque dans mes temps, je suis apeurée.
Figée sur place, je lance un regard à Patrina qui nettoie distraitement l'objectif de sa caméra. Si elle a entendu quoi que ce soit de l'échange, elle semble n'avoir rien enregistré avec ses appareils. Mais rien ne m'assure qu'elle ne se servira pas de cette affaire pour me faire chanter plus tard...
Quelle bordel !

Et mon malaise s'accroît encore quand Adama vient me tourmenter.

- Quelle proposition ? demande-t-elle innocemment.

Je ne m'y trompe pas, elle en sait trop pour me laisser tranquille désormais.

- Une vieille histoire, maugréé-je en partant vers le parc.

Elle n'insiste pas, mais je sens son regard investigateur me brûler le dos. Elle ne me lâchera pas de si tôt avec ça...
Je soupire longuement, c'était bien la dernière chose qu'il me fallait.

Oh, dans quel merdier je me suis fourrée...

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