25~ L'Aurore

- Nous allons faire des groupes, annonce mornement monsieur Auvain en tirant sur sa moustache.

Et je commence à m'inquiéter pour mon sort. Oh, ça s'annonce de plus en plus mal cette histoire. Déjà que mettre en œuvre ce qu'il nous a appris hier a de quoi me faire peur, si en plus c'est pour m'entraîner avec les autres...

Un blanc s'installe le temps que le professeur prenne sa liste, nous nous occupons tous à nous dévisager en silence. Muets, hésitants, je comprends que je ne suis pas la seule à être furieusement mal à l'aise dans cette salle vide de meuble pour le cours. Et cette large carcasse de robe passée autour de ma taille pour l'entraînement n'arrange rien. Mr poireau-aux-cheveux-huileux a demandé à toutes les filles de les porter, je n'ai pas eu le cœur de le lui refuser... même si j'avoue que l'attachement que je porte à ma place dans la compétition a aussi un peu joué sur mes sentiments.
Par contre qu'on soit d'accord, jamais je ne m'afficherai avec une robe aussi encombrante pour la moindre occasion ! Avec une robe tout court même, Gabrielle reste en pantalon !

- Votre Altesse, Louise, Flora, Dorian et Emanuella, vous constitueraient le premier groupe, fait-il d'une voix sans timbre.

Je ne peux m'empêcher de frémir à la notion du prince. Pourquoi l'appelle-t-il comme ça, c'est pas plus simple de dire Eliam ? Ce mec et son foutu béguin pour cette famille royale commencent à me prendre la tête.

- Anthony, Elya, Capucine, Corentin et Henry-Louis, le deuxième, continue-t-il tandis que les participants se rassemblent. Puis Adama, Juliette, Martin, Gabrielle et Hyacinthe, le dernier.

Il attend un moment que nous nous installons avant de poursuivre :

- J'ai veillé à mélanger les niveaux, j'espère que les plus fragils en profiteront pour prendre exemple sur les plus entraînés.

Je tremble quand je porte mon attention sur mon groupe. Non pas que le mépris du prof m'atteigne, j'ai l'habitude avec lui. C'est surtout la coopération avec Adama qui m'hérisse les poils.
Prendre exemple sur elle, il est drôle ! Je ne sais déjà pas si j'arriverai à tenir son regard quelques secondes sans la frapper après ce que j'ai entendu de sa bouche ce matin.

- Vous mettrez en pratique les leçons que nous avons apprises hier, ordonne-t-il en détachant ses yeux globuleux de sa feuille. Demain nous recevrons des délégations Drusses, Bavateliennes et Avadiennes à Marath. Elles feront un tour au Palais dans l'après-midi pour nous rendre visite, je compte évidemment sur vous pour bien vous comporter. Vous devriez donc profiter du temps que je vous accorde aujourd'hui pour vous entraîner, le meilleur se doit d'être irréprochable devant nos illustres invités.

Je ravale difficilement ma salive. Des délégations ! C'est quoi ce bordel ? Oh non, tout ça était censé rester purement théorique. Je ne suis pas d'accord, ils n'ont pas le droit de nous exposer comme ça !

Surtout qu... que je ne crois pas que les Bavateliens soient heureux de me voir...

Mon cœur manque un battement, je me force à contrôler mon souffle avant qu'il ne s'emballe.
Garde ton calme Gabrielle, tu es juste une participante du Best's Game comme les autres maintenant. La chaîne en or que tu as volé à cet homme il y a quelques années, tu l'as revendu depuis longtemps. Ça date, alors même si par une malchance folle cet homme est assez important pour être présent demain, il ne fera pas le lien. Il ne me remarquera pas parmis les autres, je vais passer inaperçu. Je dois passer inaperçue.
... oh merde, j'ai vraiment besoin de l'aide d'Adama en fait.

- Bien, fait l'Aurore en nous rassemblant une fois les consignes fournies. Vous voulez commencer par quoi ?

Tous se taisent. Je décide donc d'aller droit au but, je n'ai pas de temps à perdre.

- Les Bavateliens, je réponds en essayant de masquer de mon mieux le ressenti qui doit forcément paraître entendre dans ma voix.

Adama ne le remarque pas. Le seul mépris qui brille dans le regard qu'elle porte sur moi est à l'encontre de ma propre personne, elle n'aime décidément pas les Nuits. Mais comme personne d'autre ne vient me contredire, elle se retrouve forcée d'acquiescer d'un sourire poli :

- Alors on part là dessus, déclare-t-elle, resignée.

Et elle se lance dans son explication, nous détaillant exactement ce qu'on doit faire ou dire. On dirait une encyclopédie vivante, elle est vraiment calée dans la matière. Et en plus, elle sait prendre sur elle assez longtemps pour tout nous répéter plusieurs fois. À croire qu'elle a à cœur de nous voir réussir.

Mais heureusement que je reçois en plus l'aide de Juliette pour retenir la majorité des choses, parce que je suis bien en peine de me souvenir de quoique ce soit de la veille. Une vraie passoire cette tête !

- Non Gabrielle ! me reprend soudainement Adama alors que j'essaie une énième révérence dans mon coin.

Les mains crispées sur l'esquisse de robe qui m'encombre, je me relève lentement pour la défier du regard. Et toute ma colère rejaillit devant ce mépris glaçant qui s'ancre dans ma peau.
Je réentends sa voix aiguë m'insulter et sa silhouette gracieuse tenir la main d'Eliam au loin, ça me fait voir rouge. Elle ne nous aide qu'en apparence, je ne vois qu'une hypocrite devant moi.
Elle se moque, elle me prendra toujours de haut. Mais de quel droit ?!

- C'est toujours Ielle pour toi, sifflé-je sèchement.

Elle hausse un sourcil, c'est qu'elle n'a pas l'habitude qu'on la reprenne comme ça. Oui, les Aurores n'ont pas l'habitude d'être contredits. Ce sont des dieux voyons.

Eliam n'est qu'une anomalie parmi eux, c'est bien le seule qui sourit quand quelqu'un le remet à sa place. Il est différent, je dois au moins lui céder ça. Les autres de sa caste ne sont que froids et méprisants, et je vois tout ça dans la seule personne d'Adama.

Son regard me foudroie, elle se sent insultée du simple fait que je lui adresse la parole. Une moins que rien, voilà ce que je suis pour elle. Et ça me donne furieusement envie d'encore la provoquer !

- C'est toujours le pied gauche devant pour saluer un Drusse, dit-elle finalement.

Je baisse les yeux sur mes pieds, sentant la honte me monter aux joues en voyant que c'est bel et bien le droit que j'ai placé en avant. Pff, quelle idiote !

- De toute façon ça sert à rien tout ça, maugréé-je non sans rectifier tout de même ma posture. Ils auront autre chose à faire que d'inspecter nos pieds ces gens.

- Ne parle pas si vite, sermonne Adama d'une voix glaçante. Tu n'as jamais rencontré la noblesse, je t'assure que nous accordons beaucoup d'importance à ces détails.

Je serre les poings face à sa condescendance puis lève la tête pour la défier. Je ne suis pas le moins du monde à mon avantage dans cet accoutrement ridicule et surpassée par les quelques centimètres qu'elle a en plus de moi mais peu importe, il ne faut pas s'attarder sur les apparences.

- Oh, je suis bien contente de ne pas avoir rencontré cette noblesse plus tôt alors ! declaré-je venimeusement. Si vous êtes tous aussi coincés...

Ses yeux s'assombrissent d'un coup. Sa mâchoire se tord, une étincelle haineuse l'anime. Elle use de tout son sang froid pour ne pas venir me frapper, je le vois dans son corps qui frémit.
Victoire, je l'ai énervé ! Et je souris effrontément, satisfaite de mon effet.

Comprenant enfin à qui elle a à faire, l'Aurore fait quelques pas raides vers moi pour siffler sur mon visage, brûlante de colère :

- Pense ce que tu veux de nous, pauvre ouvrière, mais c'est dans notre monde que tu évolue maintenant. Tu dois t'y conformer. Or après le prince, je suis celle qui m'y connait le mieux dans ce domaine. Alors tu peux toujours chercher à lui demander des conseils... mais vu votre relation, je pense que tu n'auras que les miens à disposition pour demain.

Je frissonne, les yeux rivés dans ses iris verts. Ses cils papillonnent sous la colère. Elle me hais, moi et tous les moins que rien qui osent se mettre sur sa route.
Mais si elle pense me faire peur comme ça, c'est raté !

- Oh dans ce cas, merci pour ton aide précieuse, soufflé-je en inclinant ironiquement la tête. Quelle gentillesse as-tu de nous aider !

Âpre, l'Aurore décide de détourner les yeux. Et heureusement pour elle, elle trouve une parfaite excuse pour s'éloigner dans le personnage de Martin qui a encore besoin de son aide. Tandis qu'elle va le corriger, je me concentre sur le battement de mon cœur que je sens jusque dans mes tempes.

Elle me déteste, je la déteste. La guerre est déclarée. Et même si on est sur son terrain, il ne faut pas oublier que c'est moi qui sait manier les armes.

Je ne cherche pas à calmer les battements de mon cœur quand je la quitte du regard, ni quand je croise celui du prince à l'autre bout de la pièce.
Il a suivi l'échange de loin, il a vu dans quel état j'ai mis sa belle et le désapprouve, sa mâchoire est farouchement crispée.
Oh mais il ne peut pas savoir à quel point je me fou de son désaccord !

Eh bien le moins qu'on puisse dire, songé-je en retournant mornement à mes exercices, c'est que j'ai le chic pour me mettre à dos toute la noblesse !

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