20~ Bal...lot

— Mais regardez moi cette robe ! se pâme Capucine.

Sa voix déborde d'envie, comment ne pas ressentir la même chose ?

— Elle est magnifique, soupire admirativement Louise.

L'Aurore s'avance dans la salle, désintéréssée de tous les regards qu'on porte sur elle. Elle se dirige royalement vers son groupe de Jours qui l'escorte depuis le début de la semaine sans une attention pour personne d'autre. Si Eliam se plaît à me parler, je n'ai pas encore échangé un mot avec la jeune fille qui semble obstinément ignorer les Nuits. Et ce n'est pas en la voyant se pavaner dans une telle tenue que je vais me sentir à sa hauteur.
Non, elle vit dans un autre monde.

Puis je vois Eliam l'accompagner et mon cœur se sert.
Ah oui ? Même pas un regard ?
Eh bien vas-y, de toute façon je m'en fou de ton attention... pas vrai ?

— Participantes, participants, nous appelle alors un homme corpulent depuis l'estrade, un micros à la main. Bienvenu à votre premier bal au Palais !

Nous l'applaudissons tous poliment, attendant chacun fébrilement la suite de son discours.
C'est le même refrain tous les ans, le bon vieux Maurice Thomson se donne pour mission de blablater avant de lancer les bals. Il fait quelques blagues vaseuses, dit des choses qui n'intéressent que lui jusqu'à faire bouillir les participants impatience. Et maintenant, noyée dans toute cette tension, je sens que je vais le sentir passer son discours cette année.

— Vous êtes tous plus beaux les uns que les autres, se régale-t-il en balayant la salle du regard. Presque aussi beaux que vos prédécesseurs même !

Des rires nerveux s'échappent. Je ne comprends pas pourquoi, il n'y a rien de drôle à ça.

— Je vois que vous trépigniez tous d'impatience avec ça, s'amuse-t-il à notre plus grand agacement. Vous êtes mignons, vous savez ?

Nous nous taisons tous.
Rien ne vient troubler le silence fiévreux qu'il élabore. Tous suspendus à ses lèvres, nous n'attendons que ses derniers mots pour exploser.

— Alors maintenant, prenez un binôme et avancez-vous ! fait joyeusement l'homme en dessinant une ligne invisible de sa main devant lui. Que le bal commence !

C'est partit... c'est partit...

Les participants s'agitent des quatre coins de la salle. Il y a ceux qui ont prévus, ceux qui improvisent, ceux qui s'écartent et ceux qui s'avancent déjà à deux. Et en tête de file, j'ai nommé Adama au bras d'Eliam !

Je ravale ma salive, détournant le regard avec un sentiment aigre, autant fâchée contre le garçon que contre moi-même.
Ça n'aurait pas pu se passer différemment. Je ne suis rien, je n'ai pas la trempe de danser avec un prince. Fallait pas rêver !

Je laisse mon regard courir un instant sur les autres couples avant de tomber sur la paume ouverte de Corentin devant moi.

Tout à ma surprise, je cherche aussitôt son regard.
Mais oui, c'est qu'il m'invite à danser celui-là !

Alors j'attrape résolument sa main et nous nous avançons d'un même mouvement vers le centre de la pièce.
Je sens les regards de Louise et de Capucine dans mon dos, j'arrête là toute analyse. Réfléchir à ce qu'elles peuvent penser m'est tout à fait inutile.

C'est moi que Corentin a choisie. Nuit avec Nuit, unis par notre caste.
C'est bien profitable.

Nous nous arrêtons entre deux couples pour nous regarder dans les yeux, souriant tous les deux moqueusement. Et quand sonnent les premiers accords, nous commençons à bouger.

Oh, ce n'est pas de la plus grande grâce. Loin, bien loin du couple Aurore qui valse sous les yeux ébahis des autres participants.
Mais je m'amuse, donc je m'en moque bien.

Puis la musique diminue, la chanson se termine et je lâche les mains de mon partenaire.

— M'accorderez-vous une seconde danse ? demande alors Corentin en prenant un air important qui lui va étonnamment bien.

— Oh, excusez-moi, très cher, refusé-je non sans un sourire malicieux. Voyez-vous, je crois que mon estomac m'appelle ailleurs.

Il éclate de rire.

— Alors peut-être pourrais-je me joindre à vous ? propose-t-il en tendant son bras. Moi aussi je suis pris d'une envie irrépressible de me substanter.

Et c'est à mon tour de rire.

— Bien volontiers !

Puis nous partons en rigolant, bras dessus bras dessous, tout droit vers le buffet.

ღ ღ ღ

— La seule qui n'est pas en robe et qui arrive à être aussi sublime que si elle en avait une ! s'exclame une voix chantante dans mon dos.

Surprise, j'enfourne le gâteau que je grignote dans ma bouche avant de me tourner vers le prince. Puis je manque de le recracher, ma gorge se sert trop pour le laisser passer.
Ce jeu d'ombre et de lumière sur le visage du garçon, ces étincelles dans ses cheveux et dans ses yeux, c'est très joli.

— Bien le bonsoir, Ielle, fredonne-t-il de son éternel sourire rieur en s'inclinant légèrement.

Je me laisse avaler le cookie que j'ai dans la bouche en moulinant du bras pour le faire patienter, provoquant une quinte de rire chez le garçon.

— Bonsoir Eliam, finis-je par laisser passer une fois avoir tout avalé.

— Tu devrais arrêter d'essayer d'engloutir des trucs plus gros que ta bouche, remarque-t-il en indiquant mon visage.

Je me fends d'un sourire.
Oh, ma rancœur disparaît rien qu'en lui parlant. C'est de la magie !

Il doit avoir une bonne raison de ne pas m'avoir approchée de la soirée. Une bonne raison, oui, une bonne raison. Et maintenant il est à moi !

J'ai mal à la tête...

— Et toi, tu devrais arrêter de te saucissonner dans ce genre de tenue ricané-je en le désignant de haut en bas.

Le garçon sourit encore en baissant les yeux sur ses habits.

— Ah oui ? Ça ne me va pas ?

Pas du tout, il sait vraiment bien porter son costume celui-là. Mais je ne l'admettrai jamais à voix haute, ça ! Croyez-moi !

— Oh non, vous êtes magnifique votre altesse, corrige Capucine en arrivant dans mon dos. Ignorez-la, elle a simplement un peu bu...

Et je me mets à glousser sous l'inspection amusée du garçon.

La jeune fille serre ses mains sur mes épaules pour m'encourager à reculer, sauf que je n'en ai pas la moindre envie.
Et le prince semble bien de mon avis !

Le garçon baisse les yeux vers mon verre à moitié entamé qui repose sur la table à côté de moi, puis il l'attrape pour en boire lui-même une gorgée.

— Bien, nous avons tous les deux bu maintenant, déclare-t-il d'un haussement d'épaule. Allons danser !

Et il me tend élégamment son bras, un sourire toujours aussi grand sur les lèvres.
Oh, elles ont la couleur de cerises mures, ses lèvres. Pourquoi ce n'est que maintenant que je m'en rends compte moi ?

Capucine se raidit. Choquée, elle desserre lentement son emprise sur mes épaules. Ah, enfin un peu d'air !
Je finis de me défaire d'elle, pas mécontente d'être relâchée. Non mais oh, je suis plus une gamine !

Et puis le prince vient de me proposer une danse ! À moi, le prince !
Lui qui est beau, qui est drôle, qui est gentil...

Pourquoi refuserais-je ça ?

Alors j'attrape volontiers son bras tendu et me laisse entraîner, un grand sourire en travers des joues.

— Tu ne tiens pas bien l'alcool, fait-il remarquer en nous plaçant au centre de la piste, dans l'attente d'une nouvelle musique.

— D'habitude si, ricané-je niaisement. Je suis peut-être pas habituée à celui-là... je crois... rajouté-je un peu trop fort avant de pouffer.

— Tant que ça te mets de bonne humeur, balaye-t-il d'un sourire en attrapant ma deuxième main.

Son pouce caresse ma peau, je me sens doucement frémir.

— Oh ben j'ai surtout des réactions imprévisibles, l'avertis-je en me laissant entraîner contre lui sur les premiers accords de musique. Tu sais, ça peut être dangereux. La colère et tout...

Il ricane.

Embuée par l'alcool, je n'arrive pas à savoir si il va répondre. Puis je me rappelle que ses réactions sont si spontanées que même en bon état, je ne pourrais pas les prévoir. 

— J'aime beaucoup ta tenue, chuchote-t-il finalement en m'entraînant dans la danse.

— Et moi j'aime bien la tienne en fait, avoué-je dans un gloussement.

Oups, j'étais censé pas le dire ?
J'ai oublié.

Son sourire s'agrandit encore, puis il m'attire près de lui pour entamer la valse. Je me laisse mollement entraîner contre son torse, sans plus vraiment sentir mes jambes entre les tremblements de mon corps et l'abrutissement de l'alcool.

— Je sais, murmure-t-il moqueusement dans mon oreille. Mais merci.

Et je ne peux pas réprimer pas le soupire qui traverse ma gorge, laissant spontanément tomber ma tête contre son épaule.

Le prince accélère la cadence.
Nous tournons, nous tournons.
J'en perds la notion du temps. Ma vision se trouble, mon souffle se hache au rythme de mes ricanements amusés. Les couleurs s'épuisent, il ne me reste plus que cette musique qui me traverse et me fait valser. 

Je danse, je danse. Encore, encore.

Puis la musique s'adoucie.
Oh non, je ne veux pas que ça se termine ! Sauf que le volume qui perd de sa puissance ne veut pas entendre mes supplications muettes.

Non, reviens ! Remonte ! C'était si bien...

Enfin sur les dernières notes, nous esquissons notre dernière figure. 

Le prince tend sa main en l'air pour me faire tournoyer, tournoyer, puis passe son bras contre mon dos et je m'y laisse retomber.

Son étreinte est douce. Sous ce ciel de saphir, dans l'odeur de son parfum mêlée à celle de sa transpiration et à un arrière relant d'alcool, je me laisse fermer les yeux.

Il m'embrasse...

Alors, dans un élan tout aussi irréfléchis que le sien, je me relève brusquement. Et ma main part pour lui donner une gifle à en faire craquer sa mâchoire.

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