18~ Fin de journée
— Lancez ! fait distraitement l'animateur sans me lâcher des yeux.
Deux ballons colorés s'envolent alors dans le ciel orangé, et deux poignards quittent mes mains pour aller les transpercer dans un même mouvement.
Le gros homme applaudit joyeusement, totalement impressionné.
— Bravo ! s'exclame-t-il en se rapprochant. Vous êtes un prodige !
Oh oui, un prodige dont le don a bien servi. Mon pauvre, si vous saviez ce que la fille qui est devant vous faisait réellement pour être douée à ce point avec des poignards...
Le bonhomme pose alors sa lourde main sur mon épaule et me faire trembler, manquant de m'arracher un grognement de surprise. Même une fois relâchée, je n'arrive pas à me décrisper.
Du calme Gabrielle. Ce n'est rien...
— Je parie qu'elle n'est pas capable d'en tirer trois à la fois ! s'amuse à renchérir Eliam.
Je tourne des yeux brûlants vers lui.
Il ne m'a pas lâché de l'après-midi. À toujours en vouloir plus, c'est à se demander si mes compétences l'impressionnent réellement.
Oh, il a aussi tirer. Et il tire bien ! À l'arc comme au pistolet, c'est un as. Même si il s'amuse à dire que de toutes les armes qu'il a apprises à manier, c'est avec une épée qu'il s'en sort le mieux.
Et vu sa dextérité, je n'en doute même pas.
Il sait réfléchir, il sait courir, il sait se battre,... Y a-t-il seulement quelque chose qu'il ne sait pas faire ?
Le regard de l'animateur se fait vague. C'est qu'il semble vraiment tenté par la proposition, lui ! Mais le soleil déclinant sonne comme la fin du cours, nous aurions déjà dû arrêter depuis longtemps.
— Je crains que vous ne devriez regagner le palais pour vous préparer au bal, regrette-t-il en rassemblant tout le monde. C'était un plaisir de vous voir à l'œuvre — son regard se fait plus appuyé dans ma direction ainsi que dans celle du prince, debout juste dans mon dos. Vous pourrez venir tirer quand vous le voudrez, la porte du stand reste ouverte. Moi, j'ai hâte de vous revoir !
Puis il disperse la foule d'un signe de la main.
Les autres participants s'empressent de quitter le terrain vague pour aller se préparer. Oh mais moi, je reste bien volontiers sur place. Jusqu'à ce que le prince, qui s'avançait lui aussi vers la sortie, se retourne en constatant que je ne les suis pas.
— Ielle ? Tu viens ?
Je piétine, portant distraitement mon regard vers les poignards que l'organisateur s'occupe de ramasser.
— Non, je pense que je vais tirer encore un peu...
Le prince hoche la tête et se campe sur ses pieds, sourire amusé aux lèvres.
— Tu rigole, il faut aller se préparer pour le bal !
— Oh ça...
— Quoi ça ? s'offusque-t-il. Tu ne vas pas me dire que ce n'est rien !
Eh bien, quelle est cette soudaine ferveur ?
— Euh... marmonné-je en cherchant mes mots. C'est juste que je ne pense pas consacrer beaucoup de temps à...
Il hoche à nouveau la tête de droite à gauche en me coupant catégoriquement.
— Pas passer beaucoup de temps à te préparer ? Je crois que t'en a plus que besoin au contraire !
Ses yeux bleu me détaillent de bas en haut un instant. Une courte seconde, mais c'est bien assez pour me mettre mal à l'aise.
Sa remarque se veut ironique... mais je n'arrive pas vraiment à l'apprécier. Hérisson, besoin de temps pour me préparer... j'ai une apparence si négligée ?
Hésitante, je baisse les yeux sur mes bras pour chercher un quelconque débraillement. Et Eliam s'esclaffe aussitôt pour venir m'attraper le poignet.
— Allez Ielle, vas enfiler ta robe, ricane-t-il en me tirant avec lui.
Je me débarrasse de sa main d'un geste brusque, le regard foudroyant.
— Oh, pas de robe pour moi !
Puis je démarre au quart de tour, gagnant rapidement la sortie pour clore la conversation.
Mais le prince n'en a pas finit. Oh non, lui, il doit toujours avoir le dernier mot.
— Pas de robe ? Tu viens de gâcher ma journée ! lance-t-il en prenant mon rythme de marche. Moi qui te voyais déjà valser dans de longs froufrous roses...
Et le voilà qui esquisse de ridicules mouvements de danse.
Je serre fort les dents, le regard obstinément tourné vers la forme vague du Palais entre les arbres.
— Tu te fiches de moi, sifflé-je, pas le moins du monde amusée par ses idioties.
Je l'entendrais presque sourire à coté de moi.
— Pas tant que ça, répond-t-il. Tu serais jolie en robe.
Mon cœur tombe dans ma gorge. Jolie ?!
Oh non, je ne laisserai pas mes joues rougir pour cette plaisanterie de mauvais goût !
— Dommage, tu ne verras pas ça ce soir, tranché-je en pénétrant dans le hall.
Nos bottes claquent sur le sol de marbre jusqu'à ce que nous nous arrêtions devant les grands escaliers.
— Alors un jour prochain !
Tu peux toujours courir !
Je m'engage d'un pas résolu sur les escaliers menant au couloir des filles, dissociant nos chemins.
— C'est ça, maugréé-je dans ma barbe.
Son sourire reprend de plus belle.
— J'ai déjà hâte !
Et je souffle particulièrement bruyamment.
— À tout à l'heure, Ielle, fredonne-t-il finalement en gagnant le couloir des garçons.
— À tout à l'heure, je réponds mornement en montant les marches.
Et devant la porte de ma chambre, mes pensées sont encore habitées par ce prince à l'étrange sourire rieur et aux yeux d'un bleu trop profond.
Oh Gabrielle, tu devrais être occupée à te morfondre devant la préparation qui t'attend. Trembler de stresse pour ce foutu bal !
Mais mes préoccupations sont bien ailleurs, débilement.
Un petit hérisson joli en robe ? Il a des goûts étranges. Et lui, sera-t-il beau en costume ?
Bien-sûr que oui idiote, c'est un prince ! Ils ont la malédiction d'être beaux en toute circonstances eux...
Je secoue la tête pour m'éclaircir les idées avant d'ouvrir la porte devant moi. Mais même concentrée sur autre chose, je ne peux me retenir de sourire bêtement.
Oh oui, Gabrielle ne redoute plus tant ce bal maintenant...
ღ ღ ღ
— Votre tenue est prête !
La voix de Nora brise le silence quand la domestique vient frapper à la porte de la salle de bain.
— Merci Nora ! crié-je en m'extirpant de la baignoire au parfum entêtant pour aller me sécher.
Je sors ensuite dans l'autre pièce pour trouver la femme à m'attendre, tenant dans ses bras une tenue pliée d'une douce teinte orange mêlée de jaune.
— Ça fait deux jours que je travaille dessus, me présente Nora en déroulant le vêtement devant elle. Et je dois dire que j'en suis particulièrement fière !
Ah oui ? Deux jours... elle a passé deux jours à travailler sur un tenue pour moi ? Eh bien... c'est hors du commun.
Je porte curieusement mes yeux sur la belle œuvre avant d'étouffer un jappement de surprise.
Oh oui !
— C'est pas une robe ! fanfaronné-je et l'attrapant.
Je sens mes mains trembler en caressant l'étoffe. C'est trop beau pour être vrai, je ne vais pas mettre de robe ce soir !
Même sans jupons, la tenue est magnifique. C'est une belle combinaison aux manches courtes découpée de nombreuses fioritures. Des volants sur les manches et d'autres traversant la poitrine jusqu'à tomber sur le coté. Une taille cintrée, des jambes longues et un trou découpé juste au dessus d'une hanche. Tout ça dans des couleurs pastelles orangées qui caressent doucement les yeux.
Je... je vais porter ça moi ?
— Oh, c'est que je commence à vous connaître ! affirme chaudement la domestique. Mais il va sans dire que c'est compliqué de composer avec vos goûts.
— Tu t'en sort comme une chef, Nora, la flatté-je sans penser à me forcer. Je... je n'aurais pas pu rêver mieux !
Et la domestique me remercie d'un sourire grimpant jusqu'à ses oreilles.
— Allez, rendez-la moi, fait-elle en s'approchant. Il faut vous la passer maintenant.
Je lui remets donc la combinaison, rayonnante.
Je vais vraiment porter ça ce soir !
... oh non, c'est pas possible.
Gabrielle a hâte d'être à ce bal maintenant !
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