13~ Élimination
— Non Nora, je n'y tiens vraiment pas, répété-je pour la troisième fois devant la mine contrariée de la domestique.
— Pourtant vous devriez, observe platement Patrina, raidement adossée contre la porte de la chambre.
Je pousse un long soupire. Je sais qu'elle pense à mon image, mais si même elle s'y met je sens que je vais craquer.
À s'acharner sur moi comme ça pour que je mette leur stupide robe, elles me donnent bien envie de les chasser de ma chambre ! D'autant plus que je ne passe pas à la télé ce soir, et que c'est donc totalement inutile de bien m'habiller.
— Mais je peux vous en trouver une...
— Nora ! la réprimandé-je brusquement.
Puis je file vers le dressing pour fouiller moi-même entre les vêtements. J'ai le droit de mettre ce que je veux quand même !
— Mademoiselle... marmonne-t-elle en s'approchant.
Et elle pose une main sur mon dos dont je me dégage violemment, le cœur battant de surprise. Qu'est ce qui lui prend !
Comprenant son erreur, la femme ramène doucement sa main contre son corps en baissant la tête.
— Excusez-moi...
— Trouve-moi une tenue, lui ordonné-je lentement. Et range tes robes.
Glaciale, je file ensuite m'asseoir sur un fauteuil puis tourne obstinément la tête vers la fenêtre en tentant de calmer les battements de mon cœur. J'entends Nora s'affairer de l'autre coté de la pièce, toute obéissante qu'elle est, et je ne peux réprimer un frisson en caressant ma peau couverte de chair de poule. Tous les sens en alerte, j'analyse à nouveau le moindre bruit de cette chambre dans laquelle je me sentais tant à l'aise.
Merde qu'est-ce qui lui a pris de m'approcher comme ça ? Je n'aime pas qu'on m'approche !
Seuls les froissements de tissus comblent le silence, le temps semble s'étirer. Mais même ce calme frêle n'arrivera pas à m'apaiser ce soir.
Non pas que la journée ai été mauvaise. Les gamins m'ont peut-être énervée et fatiguée, mais dans l'ensemble ça allait.
Sauf que ce soir, c'est la première élimination. Et même si je ne pense pas être expulsée dans les premiers (c'est vrai quoi, il y en a plein des moins bons candidats), je ne peux m'empêcher d'être sur les nerfs.
— Mademoiselle ? intervient doucement Nora.
Je tourne la tête vers elle pour m'intéresser à la tenue qu'elle me présente.
Sans froufrou, sans jupe, sans décolleté, sans fioritures, seulement des bouts de tissus d'une douce teinte pastelle. Une belle couleur violette pour le T-shirt et du noir pour le pantalon. C'est agréable à regarder, ça fera l'affaire.
Je me lève dans un silence encore froid et attrape les vêtements pour les enfiler tandis que la domestique part déjà chercher les accessoires.
Sauf qu'il manque quelques chose...
— Merci, laissé-je faiblement échapper.
Et Nora se retourne vers moi.
Puis elle sourit.
— De rien.
ღ ღ ღ
— Bonsoir chers téléspectateurs, chantonne la présentatrice quand son joli visage s'affiche à l'écran. Bienvenu à cette troisième émission du Best's Game !
Et le sourire d'Isira est si communicatif qu'il m'arrache une grimace nerveuse. Je suis trop tendue pour esquisser autre chose.
À vrai dire, nous retenons tous notre souffle depuis que les premières notes caractéristiques de l'émissions ont retentit dans la salle d'enregistrement. Comme si notre vie allait se décider là... ce qui est un peu le cas au fond.
Seul Eliam reste détendu. Oh, il n'a rien à craindre de toute façon. Mais c'est tellement désagréable de le voir si détaché quand nous sommes tous sous pressions que je le lâche du regard, dégoûtée.
— Vous avez assisté aux deux jours d'intégration de nos charmants compétiteurs, appris à les connaitre et à les apprécier, énonce Isira avec enjouement. Oui, je suis sûre qu'ils sont déjà rentrés dans vos cœurs ! Mais il va désormais falloir choisir, trois seront éliminés ce soir. Alors voyons ce que vos votes ont décidé !
Et le bandeau en bas de l'écran commence à tourner, indiquant le temps qu'il reste aux téléspectateurs pour changer leurs votes. Ce n'est plus qu'une poignée de minutes désormais, la moyenne sera bientôt établie. Et les trois derniers seront éliminés.
Je ne peux pas en faire partie.
Les yeux entre-ouverts, je me répète cette phrase comme une devise pour la faire entrer dans mon esprit nerveux.
Non, je ne perdrai pas mon pari. Pas tout de suite. Et Noah va recevoir la paye pendant toute la prochaine semaine.
Je ne partirai pas. Je ne partirai pas.
— Les comptes sont fait ! annonce soudainement Isira pour la première fois de la saison, le plus magnifique des sourires sur son visage poudré.
Et nos souffles se coupent à l'unisson.
— Voici le classement !
Je ne partirai pas...
— En première place, monsieur Eliam !
Et je ne songe pas à lui jeter le moindre regard, les pupilles inexorablement fixées sur l'écran et sur les noms qui commencent à s'afficher comme si rien d'autre ne comptait. Je ne partirai pas.
— Puis mademoiselle Adama, énumère la présentatrice d'une voix pleine d'entrain. Monsieur Anthony, mademoiselle Louise, monsieur Corentin, mademoiselle Gabrielle,...
... Gabrielle...
Et je sens mes muscles se relâcher. Oh mon dieu, je reste !
Les yeux pétillants, je regarde mon nom s'afficher en lettres dorées sur l'écran juste à coté du gros chiffre 6.
Je suis dans les dix premiers...
Noah ! Je suis dans les dix premiers !
— Mademoiselle Capucine, monsieur Martin, monsieur Henry-Louis, mademoiselle Elya, mademoiselle Juliette,...
Les autres participants soufflent un bon coup à l'annonce de leur nom. Je ne les entends pas, mes oreilles sifflent trop fort.
Mon regard fiévreux zigzague d'un visage concentré à un visage rassuré en quelques secondes, jusqu'à ce que je m'arrête sur celui éclatant de Corentin.
Les yeux rivés sur moi, il affiche un sourire si absorbant que je ne peux pas m'en détacher.
— Mademoiselle Hyacinthe, monsieur Gaston, mademoiselle Flora, mademoiselle Emmanuella,...
Corentin lève son pouce en l'air dans la pénombre et je réprime un gloussement.
Oh Gabrielle, qu'es-tu devenue ?Tu devrais avoir honte, quelle ridicule petite fille hystérique !
Mais une petite fille hystérique qui reste dans la compétition merde ! Une voleuse antipathique qui a gagné la première semaine ! Une ratée qui est dans les dix premiers du Best's Game !
— Monsieur Dorian, monsieur Hector, mademoiselle Véra, monsieur Balthazar et enfin, monsieur Césarion.
Les éclats de joie éclatent dans la pénombre de la pièce. L'ambiance est chaude, pleine de l'excitation de ceux qui restent pour une autre semaine.
Rien n'est pensé pour les trois derniers. Les trois qui vont partir, les trois éliminés. Non, tous sont trop contents de rester eux-même dans la course.
Et moi aussi !
Je reste avec mes alliées, je reste avec Corentin. Et si le classement ne bouge pas, je reste largement deux autres semaines !
Alors je me souviens de cette lueur dans les yeux de la fillette tout à l'heure, je pense à tous ceux qui m'ont placée si haut dans le classement. Je n'y crois pas, ils me trouve vraiment être une bonne candidate ?
Je suis sixième merde !
— L'aventure continuera donc demain pour nos dix-sept heureux participants, récite la présentatrice devant les trois noms teintés de rouge au bas de la liste. Leur emploi du temps s'étoffera et les épreuves s'enchaîneront dans un but toujours aussi précis : trouver quel est le meilleur de tous ! Ces cinq prochains jours seront basés sur le thème du sport. Oui, un citoyen parfait doit avoir un corps bien entretenu et des capacités physiques exemplaires !
Les annonces de la belle femme se broient dans le brouhaha hystérique qui agite la salle. Mais si j'arrive à saisir une chose, c'est bien que ces cinq prochains jours seront en plus en ma faveur.
— Et maintenant, je n'ai plus qu'à vous souhaiter une bonne fin de soirée, conclut Isira dans un froufrou d'étoffe. À demain pour une mise au point, et à dans cinq jours pour un nouveau classement ! D'ici là, portez vous bien...
Les participants commencent déjà à se lever vers le buffet pour les gagnants et je les suis sans même écouter la dernière phrase du discours pour aller prendre à boire.
De toute façon, tout le monde connaît la réplique par cœur ici. Et tout le monde s'en fout royalement.
Je tends le bras pour attraper un verre à pied brillant d'un liquide rose à faire chavirer mes sens et l'arrache à la main qui se portait déjà dessus, puis je lève les yeux pour croiser le regard limpide du prince à la main ballante dans le vide.
Il sourit, amusé. Oh, il s'attend sans doute à ce que je le lui rende.
Et puis quoi encore ?
Alors, le regard provocateur, je ne perds pas une seconde le sourire qui habite mes lèvres depuis de longues minutes en y portant lentement le verre cristallin, plus amusée que jamais.
Petit hérisson, hein ? Je pense que je suis tout de même un peu plus imposante que ça.
— ... et que le meilleur gagne !
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