Chapitre 7 Andrew - Surprise et chocolats -


Samedi 19 h Justin Black

J'avais tout essayé, la société de maintenance ne répondait plus à mes appels. Les pompiers m'ont expliqué qu'ils ne pouvaient rien faire. J'avais même, en désespoir de cause, appelé Seth, un copain mécano qui m'avait ri au nez. Rien à faire. La réponse était la même partout ou presque.

« On est samedi soir. Tout est fermé. On ne peut rien pour vos locataires. »

Eh merde !

Quand j'annonçai la nouvelle à Follen à travers la porte, il m'envoya sur les roses.

Espèce de sale con prétentieux !

ooOoo

Andrew

« Black ! Fichez-nous la paix maintenant ! Il est 19h, vous avez fini votre service. Rentrez chez vous ! On ne va pas se sauver ! À demain. »

Je veux qu'il déguerpisse. Depuis deux heures, il nous colle, derrière la porte, stressant plus Livie qu'il ne la rassure. Il a fait son boulot. Obtenu l'assurance que le technicien de garde passera à la première heure demain matin. De toute façon, nous n'avons pas d'autres solutions. On patientera. Une nuit entière. Livie et moi. Seuls. Dans un espace de 2 mètres carrés.

Je suis là, assis dans l'obscurité sur le sol froid de l'ascenseur, à côté d'elle. Je me demande comment cette journée, si bien commencée au petit déjeuner, a viré en soirée de dingue.

Après le départ de mon invité surprise, nous sommes allés nous promener dans le quartier. C'était pour moi l'occasion de lui faire découvrir mes habitudes, ainsi que ma technique de déplacement bien rodée, du moins en terrain connu. Je suis assez fier de moi. Cela ne fait que 6 mois que je suis sorti du centre de convalescence et j'estime me débrouiller assez bien. Il suffit que je reste concentré et attentif. Et que je ne rencontre pas de... d'obstacles mouvants sur mon chemin.

Se déplacer avec Livie est un vrai plaisir. Elle a, dès notre départ de l'immeuble, choisi de se positionner à côté de moi, glissant sa main dans mon bras droit replié, me laissant la guider, alors que je me repère de la main gauche sur les murs à chaque fois que j'en ai besoin. Elle a simplement accordé son pas sur le mien, tout en me ralentissant subtilement en cas d'obstacle. Elle est fine psychologue et discrète. J'ai apprécié chacune des secondes de cette promenade.

Nous avons évoqué la possibilité que j'adopte un labrador, ou autre chien d'aveugle. Cette pensée m'a déjà effleuré, mais je sais que Luna ne tolérera pas sa présence à la maison. J'ai donc jusqu'ici abandonné cette solution.

Après cette tranquille balade dans le quartier, nous avons mangé rapidement au Jackson Hole avant de déguster une glace dans Central Park, Livie a donc pris la direction des « opérations » pour nous y conduire, car je n'y suis pas retourné depuis longtemps.

Ce n'est que vers seize heures que nous sommes allés remplir notre mission : remplir les placards pour préparer l'arrivée de Lisa. Nous sommes revenus chargés de trois sacs de courses. J'avais découvert ses goûts. Elle aime la cuisine épicée et les fruits. Nous partageons une passion pour le chocolat et le jus de citron. Mais contrairement à moi, qui adore la cuisine asiatique, elle préfère cuisiner italien. Notre cohabitation culinaire sera intéressante.

Quand j'y repense, durant ces quelques heures, nous n'avons abordé aucun sujet sérieux, nous avons fait connaissance, doucement, avec simplicité.

Puis, il y a eu le retour à la maison, avec nos sacs. Nous sommes passés en catimini devant la loge, sans même saluer Justin. Sans nous méfier, nous sommes entrés dans le piège. La petite cabine s'est élancée, comme d'ordinaire... de quelques mètres avant de s'arrêter brutalement entre le 1er et le second étage.

La secousse a propulsé Livie contre moi, au moment où elle poussait un petit cri. Puis, plus rien.

- Zut, ce qu'il fait noir !

Ce sont les premiers mots de Livie qui s'écarte un peu de moi d'un geste nerveux.

J'ai senti dans sa voix une peur soudaine et j'ai éclaté de rire afin de dédramatiser le moment.

- Tu es sûre ? Au moins on est à égalité comme ça.

Sans réfléchir, j'ai embrassé son front avant d'appuyer en vain sur la sonnette d'alarme.

L'attente a commencé. Nous avons tapé du poing contre la porte. Puis à l'aide du renfort de mes souliers, nos appels à l'aide ont été entendus par Justin qui a commencé des allers-retours entre sa loge et notre prison. Si j'ai bien compris ses explications, la société de maintenance n'a plus de technicien disponible en cette fin d'après-midi.

Nous sommes donc Livie et moi seuls dans cette cage d'ascenseur. Livie est mal à l'aise, j'entends sa respiration hachée et elle parle de moins en moins. Je me laisse glisser sur le sol de la cabine d'ascenseur. Assis, le dos calé contre une des parois métalliques, je replie mes jambes afin d'appuyer mes pieds contre la paroi opposée. Je tends la main et attrape son bras, la tirant doucement vers le bas, vers moi. Livie, sans hésiter, imite alors ma posture. Je le sens s'asseoir tout contre mon flanc gauche, dans une position sans doute similaire. Son épaule me frôle.

- Bon, nous sommes là pour un moment. Il va falloir s'occuper maintenant que l'on est tranquille. Tu as une idée ?

Je lance ces quelques mots pour rompre le silence.

- Essayons d'être positifs, commence-t-elle en inspirant longuement, je n'ai pas fait de crise de claustrophobie. Enfin pas encore.

- Bonne idée. Du côté positif, je rajoute que la température est idéale dans cette petite pièce, ni trop chaud, ni trop froid. Je vais enlever ma veste pour la placer sur le sol, ça sera plus confortable.

Après quelques gesticulations hasardeuses, nous mettons mon idée à exécution et nous partageons le rembourrage de ma veste.

- Merci, Andrew, c'est nettement mieux. Euh... Je suis contente de ne pas être coincée toute seule. C'est positif ça aussi !

Elle semble un peu mieux et même si sa voix est encore timide, je sens la bonne humeur naturelle de Livie reprendre le dessus. C'est une fille forte et quel que soit son passé, quelle que soit la cause de sa fuite hier, elle a clairement décidé de reprendre sa vie en main.

- Autre chose de pas mal... Ma fille n'arrive que demain après-midi... D'ici-là nous serons sortis.

- Et surtout nous avons de quoi manger.

Après notre énumération des points forts de notre situation, la pensée de nos emplettes culinaires semble la consoler. Je songe alors à sortir la gourmandise que j'ai réussi à acheter sans qu'elle ne me voit, en profitant de sa visite au rayon parfumerie du magasin. Attrapant l'un des sacs, puis un deuxième, je me mets à la recherche mon achat.

- Qu'est-ce que tu fais, Andrew ? demande Livie.

- Je te prépare une surprise.

Ayant trouvé, assez facilement, la boîte métallique ronde, je l'ouvre et sors une des friandises au hasard.

- Laisse-moi faire. Aie confiance.

J'enlève délicatement le papier métallisé et me tournant vers elle, je cherche sa joue de ma main gauche, puis sa bouche. Mon doigt effleure sa lèvre supérieure. Sans doute surprise par mon contact, elle entrouvre les lèvres et j'en profite pour glisser entre ses dents la petite boule de chocolat que j'ai préparée.

- Oh, Andrew ! Amandes et noisettes grillées, c'est délicieux !

Le chocolat croustille sous ses dents. Irrésistible. Je me sers à mon tour pour ne pas mourir de frustration. Les images mentales qui viennent de s'immiscer en moi de cette adorable jeune femme savourant ce chocolat, alors que j'ai encore les doigts près de sa joue, sont délicieusement précises. J'ai perdu la vue, mais mon imagination fonctionne un peu trop bien à mon goût en ce moment. J'ai accepté le matin même qu'il ne se passe rien entre nous.

Peut-être que c'est uniquement le fruit d'une assez longue abstinence ? Cette tendance à imaginer Livie se léchant sensuellement les lèvres va sûrement disparaître... Il le faut.

- Le mien est un praliné au café.

- Oh, je peux goûter ?

Je déglutis, embarrassé. Partager des chocolats dans l'obscurité semble être un bon remède à la claustrophobie pour ma compagne. Pas à ma frustration.

Je fractionne généreusement ma friandise et mets résolument mon cerveau sous contrôle. Notre petit jeu gustatif dure un moment, même si je sens qu'il peut devenir dangereux. Me forçant à penser à autre chose, je ris doucement en pensant à un texte que l'on venait de me soumettre.

- Ce sont les chocolats qui te font rire ? questionne Livie, curieuse.

- Non, un truc... Écoute.

Je lui récite alors de mémoire l'extrait qui m'avait amusé.

« Il lève les mains en l'air et sourit. Mon ventre lance un gargouillement peu séduisant. Je hausse les épaules.

- Tu as faim ?

Comme si je pouvais dire le contraire ! Provocatrice, je fixe ses magnifiques yeux bruns dorés en lui répondant.

- Si j'ai très envie d'un beignet aux myrtilles. Avec de la crème chantilly. Une montagne de crème chantilly.

Il secoue la tête d'un air désolé, déployant ses talents d'acteur.

- Désolé. Nous n'avons pas été livré. Pour le moment j'ai dégoté des barres de chocolat dans le placard. Elles ne sont périmées que de 4 mois. Elles doivent être encore bonnes.

Il m'en lance deux. Je vérifie et écarquille les yeux de surprise, il n'a pas menti, elles sont périmées. OK. J'enlève l'emballage et dévore la première. »

Je termine ma narration en lui glissant une nouvelle friandise chocolatée entre les lèvres.

- J'aime t'entendre, chuchote-t-elle entre deux bouchées, c'est agréable de se faire faire la « lecture » dans le noir, sans livre. Tu as une voix tellement agréable. Ce texte nous ressemble un peu, mais j'espère que nos chocolats ne sont pas périmés. C'est un de tes écrits ? me demanda-t-elle.

Je l'entends savourer encore puis se lécher les doigts. Encore une fois, je refuse de m'attarder sur mon envie de l'aider à nettoyer, de ma bouche, le chocolat sur le bout de ses phalanges. Je préfère répondre à sa question.

- Non. C'est un début de roman qu'on m'a fait découvrir. C'est l'histoire de deux personnes qui ne se connaissent pas et sont enfermés par mégarde dans une pièce pour 24 heures.

- Oh, je comprends ! Et que se passe-t-il après ?

- Humm, ils sont... très attirés l'un par l'autre.

Je suis curieux d'entendre sa réaction. Mais elle ne dit rien pendant un long moment.

- À la fin, ils cèdent à cette attirance je suppose ? finit par me lancer la voix irritée de Livie.

- Je ne sais pas. Je n'ai pas la fin... Elle n'est pas écrite, ou il n'a pas voulu me la donner.

- Qui ? L'auteur du texte ?

Je hausse les épaules.

- Non. L'auteur est une femme, je crois. Très douée. J'aime beaucoup son style, moi aussi. C'est James Williams bien sûr qui m'a transmis ce texte. C'est une de ses futures auteures qui lui a proposé ce manuscrit.

Je me rembrunis à cette évocation. Je ne me suis pas vraiment remis de ma visite surprise matinale et nous n'en avons pas reparlé.

Flashback (quelques heures plus tôt dans l'appartement d'Andrew)

– Andrew ?

Réprimant un soupir en reconnaissant la voix de mon visiteur, j'ouvre la porte contrarié...

- Salut James.

Il aime venir me surprendre de temps en temps. Le mot « repos » ou « weekend » n'a guère de sens pour lui. Pour moi non plus d'ordinaire mais, franchement à cet instant, je n'ai absolument pas envie de le recevoir.

- Bonjour. Tu m'as déjà appelé hier non ? dis-je d'un ton froid en lui serrant la main.

Nos rencontres sont particulières. Depuis le début de notre collaboration, nous nous faisons confiance, mais je refuse son amitié et donc nous ne sommes pas particulièrement proches, tout en nous appréciant.

- Exact ! Mais j'ai oublié de te dire que je voulais avoir ton avis sur le manuscrit que je t'ai envoyé. Tu sais « Dans les yeux du Chat ».

Il passe devant moi et entre dans le salon où je le suis. Parfois James Williams, mon éditeur m'envoie des fichiers audio de textes qu'il veut publier quand il hésite un peu. Il a confiance en mon jugement et cela m'amuse d'être un des premiers lecteurs.

- Ah... je l'ai entendu. J'ai franchement envie d'entendre la suite. Très intéressant. Le ton est incisif et le style très particulier. Quant aux personnages, je n'ai eu aucun problème à m'identifier à eux. C'est un bon auteur que tu tiens là. Tu ne devrais pas hésiter comme cela. Prends-le dans ton écurie.

- Je veux la prendre. C'est sûr. C'est une femme. Très douée et avec un caractère bien trempé. Pas sûr qu'elle souhaite travailler avec moi.

- Je peux la comprendre si tu l'embêtes même le samedi matin.

- Ça t'embête toi ? Tu ne t'es jamais plaint.

Je hausse les épaules. Il ne me dérange pas vraiment. Je n'ai, avant, rien à faire de mes week-ends alors, qu'il vienne ou pas ne changeait rien.

- Il y a un début à tout.

- James ?

La voix étonnée de Livie interrompt notre conversation. Elle provient de la mezzanine et je me tourne dans cette direction, interdit.

- Tu le connais ?

- Qu'est-ce que tu fais ici Livie ?

Nous avons parlé en même temps.

Le silence qui suit entre nous trois, est très pesant et je suis certain de ne pas être le seul à le ressentir.

- Livie, s'il te plaît, descends nous rejoindre.

J'entends son pas discret, obéissant à ma suggestion. Elle passe près de moi, touchant mon bras d'un geste furtif de la main qui me rassure, puis-je l'entends s'approcher de James Williams. Le bruit d'un baiser léger me perturbe.

- Bonjour James, je ne pensais pas te revoir aussi vite. Je... Tu connais Andrew ?

- Bien sûr, c'est un de mes auteurs. Mais et toi que fais-tu ici ?

J'attends sa réponse et un besoin puissant de comprendre qui est James pour elle me perturbe. Elle est revenue se placer à mon côté, sa peau tiède frôle mon bras et m'apaise.

- Andrew est un ami. Je vais habiter chez lui. Mais je voudrais que... tu ne dises rien. À personne. S'il te plaît.

Quelque chose m'échappe, je le sens. Elle a durci le ton. Je retrouve la Livie de notre rencontre sur le trottoir, la veille. Une femme dure et décidée.

Il se tait. Sans doute cherche-t-il comme moi à comprendre.

- Si tu me le demandes, aucun problème Livie. Tu sais ce que tu fais ? Tu es sûre que tout va bien ? Et ton appartement ?

- Il y a un changement de programme pour l'appart... et évidemment, James, je sais ce que je fais ! Ne t'inquiète pas.

Après un court silence, elle reprend à mon intention.

— Andrew ? Le monde est très petit, je connais James depuis plusieurs années. Il est mon ami. Depuis longtemps.

Une boule de colère se forme alors dans mon ventre, ou était-ce un autre sentiment que je n'identifie pas vraiment ? Elle me surprend par sa soudaineté et sa violence.

Zen Andrew, Zen.

-Bon... OK je comprends mieux.

Ma voix résonne séchement. Beaucoup trop. Je ne comprends rien. Mais je ne suis pas d'humeur à... cela. Je me tourne alors en direction de James.

— Donc James tu venais pour le récit ? Je t'ai donné mon avis.... j'ai pas mal de choses prévues aujourd'hui. Comme tu le sais Lisa arrive bientôt alors....

Je le mets à la porte ? Oui presque. Je sens qu'il hésite. Il fait un pas en avant et s'approche de... Livie.

— Je comprends Andrew. Livie ? Je te laisse en de bonnes mains. Andrew... est un mec... fiable. Enfin tu dois le savoir déjà. Andrew, je repasserai dire bonjour à ta diablesse. Dis-lui bonjour de ma part.

Il l'a pris dans ses bras brièvement. J'en suis sûr. Je ne peux que serrer les poings. Pourquoi je ne supporte pas cela ?

Fin du Flashback

Nous avons décidé Livie et moi, qu'il n'y aurait pas de questions. Et j'en ai mille qui tourbillonnent dans ma tête.

Nous sommes aussi tombés d'accord sur « pas de relation entre nous », mais si je suis honnête, mes pensées et mes sentiments sont loin de respecter cette règle-ci également.

C'était de la jalousie. Je peux maintenant mettre un nom sur le sentiment qui m'a brûlé le ventre quelques heures plus tôt et je n'aime pas cela.

Il est son ami. Depuis longtemps, a-t-elle dit, certes, mais elle habite chez moi. Avec moi.

Elle est avec moi... Captive de l'ascenseur.

Peut-être est-il temps de laisser libre cours à mes envies sans me poser trop de questions ?

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top