Chapitre 33 -Livie : Peurs


Samedi soir 

Mon cher journal, j'ai décidé que je t'emmenais avec moi à Los Angeles demain. Je voulais te laisser ici. Parce que Maman fouille toujours mes affaires, je sais pas pourquoi  d'ailleurs, et que j'ai pas envie qu'elle te trouve. Mais Alice vient de me dire que c'est bien que je te parle un peu tous les jours. Que je te raconte mes journées. Ici et la-bas. A Los Angeles. Chez Maman. Elle dit qu'elle est certaine que je trouverais une belle cachette.

Je pense qu'elle a raison. Pour la cachette. Mais pour raconter mes journées. Je sais pas. Surtout aujourd'hui j'y arrive pas. Alice m'a parlé très longtemps après le départ des policiers. Elle m'a écouté aussi. Mais j'ai pas voulu lui dire. Pour Livie et Papa.

Tout a changé à la maison et j'ai peur.

Bonne nuit cher journal, je vais essayer de dormir.

ooOoo

Samedi après-midi

- Où est Lisa ? je répète  ces mots, sourde à son hypocrite tentative de politesse, serrant contre mon oreille le seul lien avec Lisa. 

Je SAIS qu'elle est avec lui. La certitude est inscrite en moi, comme je sais que je suis capable de le tuer s'il touche à un cheveu de la tête de la fille d'Andrew.

- On se calme mon petit. Tu n'as pas toutes les cartes en main. Même pas capable de surveiller une gamine quelques instants. Tu es toujours aussi incompétente ma chère.

Je tremble, m'appuyant  immédiatement contre le mur pour que mes jambes ne me lâchent pas. Je dois être forte. Résister. Pour Lisa. Pour Andrew.

- Je te rejoins. Je ferais ce que tu veux. Laisse la petite. Ne la touche pas !

- Tu ne me donnes pas d'ordre ! hurle-t-il.

Il respire maintenant fortement dans l'appareil, contrôlant à peine sa fureur. Oh mon Dieu . Il a basculé. Comme cela lui arrivait souvent. Le calmer. Je dois le calmer.

- Non pas d'ordre.  C'est promis.Je viens où tu veux, soufflé-je aussi doucement que possible.

- C'est mieux Olivia . Tu vas me rejoindre. Tout de suite.

- Oui, tout de suite,

Je n'ose  pas prononcer le nom de Lisa de peur qu'il ne s'en prenne à elle. Elle doit être terrorisée.

- Où es-tu ? Dis-moi Peter, où dois-je te rejoindre ? je poursuis, le plus calmement possible, effaçant toute trace de fureur ou de panique de ma voix. Ces deux sentiments s'affrontent avec une égale intensité.  Une vague de l'un repoussant l'autre.  Je dois lutter pour les dominer : aucun des deux ne m'aidera à convaincre Peter de me laisser Lisa.

Docile. Il me veut docile et je serais tout ce qu'il veut. Mais qu'il me la rende  sans lui faire de mal!!!

- Traverse la rue devant toi. Prends à gauche ensuite, il y a une petite rue avec un parc à 50 mètres de toi. Et n'appelle personne. Je te surveille.

Il me surveille ! Il n'est donc pas loin ? Je relève la tête dans la direction qu'il m'a indiquée mais ne le trouve pas.

Livie, ma fille, il faut réfléchir vite.

- Bien Peter . Je viens... Tu...

Dire quelque chose. Ne pas perdre le contact. Mon esprit est désespérément vide... C'est bien la peine d'avoir été la première de la classe. Une "tête "soit disant et d'être incapable de réagir lorsque cela est indispensable !

- ... Tu... sais que je t'obéis toujours. Je... - ma gorge se serre de devoir  prononcer ces mots- je veux te retrouver.

- Tu mens toujours aussi mal, ma Livie .

Il coupe la communication et je faillis jeter le portable de rage. Mais j'ai besoin de lui. J'appuie sur une des touches et laisse mon smartphone au creux de ma main.

- Je dois retrouver Lisa ! Putain c'est urgent ! Elle ne peut pas être loin derrière le centre commercial.

Provoquant un concert de klaxon, je traverse la rue sans faire attention aux voitures et cours vers la ruelle indiquée.

- Ça doit être cette petite rue. Juste derrière « Tentation ».  Il y a ce portail noir qui ouvre sur le petit parc.

J'observe les lieux. Il n'y a personne. C'est vrai que c'est sinistre.  Peinture écaillée et buissons mal entrenus. Ou alors c'est moi. 

Sans perdre un instant, muselant ma peur, je pousse le portillon. Mes mains tremble sur le métal froid. Un grincement m'indique qu'il ne doit pas servir souvent. Il est là, juste derrière, son demi-sourire relevant sa lèvre supérieure.  Appuyé contre un arbre, la tête inclinée sur le côté, il me contemple pendant que je m'immobilise à quelques mètres de lui.

- Peter.

J'essaie de masquer ma haine, ma peur afin qu'elle ne transparaisse pas dans ma voix, sur mon visage que je sais très expressif.

Lisa est là. Peter la retient devant lui ,de son bras passé autour du cou frêle de l'enfant. Elle me regarde de ses beaux yeux verts emplis de larmes.

- J'ai essayé Livie de faire comme tu l'avais dit mais il m'a forcé.

Je souris à travers mes propres larmes à la courageuse petite fille.

- C'est très bien ma Lisa, tu as fait ce qu'il fallait. Tout ira bien, ma princesse.

Inspirant profondément, je lui souris espérant la rassurer avant de reporter mon regard sur Peter. J'avais épousé cet homme, m'étais crue amoureuse de lui. J'ai honte. C'est un bel homme. Grand, musclé, ses courts cheveux blonds sont impeccablement lissé. Aucun place à l'improvisation. C'est un maniaque du contrôle. Son regard brille de quelque chose que j'ai longtemps pris pour de l'intérêt, une sorte de réflexion éthérée sur le monde, alors que ce n'est que perversion, besoin de manipulation, de domination malsaine.

- Je suis là. Je ferai ce que tu souhaites mais laisse-la rejoindre son père.

Il incline un peu plus la tête sur le côté, signe d'agacement avant de me répondre.

- Son père ? Ce type qui m'a menacé si je m'approche de toi ? Comme s'il peut faire quoi que ce soit contre moi. Ma Livie. Tu es à moi. La gamine j'en ai rien à foutre !

Il jette Lisa en avant et elle se précipite contre moi. Je la serre brièvement dans mes bras, soulagée qu'il l'ait lâchée si aisément et la fais glisser derrière moi.

- Je la raccompagne chez elle, dis-je doucement en reculant imperceptiblement.

- Oh non ma Livie. Tu restes avec moi. Elle va où elle veut mais TOI tu restes ici.

Je ne peux pas la laisser seule et elle ne doit pas rester avec lui. Peter est fou ! Il a enlevé une enfant. Je commence à paniquer. Il me faut une idée pour gagner du temps. Je sens Lisa s'agripper à ma ceinture dans mon dos.

- On la raccompagne dans le magasin et on repart ensemble ? Ça te va Peter ? je propose ceci d'un ton doucereux.

Il secoue doucement la tête semblant réfléchir.

- Humm, tu me prends pour un idiot ? et là-bas tu appelleras le premier agent de sécurité ? non ça ne marche pas.

Je me mords les lèvres de frustration.

- Alors que veux-tu ? On ne va pas se... s'encombrer d'une petite fille.

Excuse-moi Lisa ! Je dois gagner du temps !

- Laisse-moi réfléchir, siffle-t-il à nouveau agacé.

Je me tais. Immobile comme une statue, je me contente de serrer les mains de Lisa collées contre mon ventre alors que je sens la tête de la petite appuyée dans mon dos.

Le silence est lourd. Tendu. Soudain il s'avance vers nous et veux m'attraper le bras. Sans réfléchir, je fais un pas de côté évitant le contact qui me répugne.

- On va tous les trois chez moi.

- Non !

Ma réponse fuse, irréfléchie, mais je ne peux accepter cela.

- Lisa n'ira nulle part avec nous. Elle doit retourner chez elle. Je la reconduis au magasin où tu l'as enlevée. Estime-toi heureux si son père ne porte pas plainte. Le reste sera entre toi et moi.

Il me fixe, l'air incrédule. Une petite veine bat nerveusement sur son front m'indiquant qu'il est sur le point d'exploser. Fureur ? Peur ? Prise de conscience de ce qu'il vient de faire ? Je prends la main de Lisa fermement et recule avec elle, faisant toujours un rempart visuel de mon corps entre elle et lui.

- Je la raccompagne. Suis-nous si ça te chante...

Sans cesser de le surveiller du regard, je continue de m'éloigner sachant que si j'atteins le portail nous serons presque sorties d'affaire.

Un pas. Un autre. Il avance soudain vers nous mais je continue, mon coeur battant à tout rompre, priant pour que la petite ne dise pas un mot. Elle a été si forte, si courageuse jusqu'ici, il ne faut pas qu'elle craque à deux mètres de la liberté. Nos mains crispées l'une dans l'autre, mon regard fixé sur lui, je poursuis mon lent chemin à reculons vers le portail.

- Tu as changé Livie, dit-il soudain. Je ne te veux pas de mal tu sais.

Je ne réponds pas. Cela ne mérite aucune réponse.

Un pas de plus. Le portail heurte ma hanche et je pousse Lisa de l'autre côté. Dans la ruelle. Le bruit des voitures, des passants de Manhattan nous parvient alors. Le soleil est présent de nouveau. Je respire soudain mieux.

Que peut-il nous faire au milieu de la foule ?

Je me permet de regarder autour de moi rapidement et mon regard capte ce que j'espérais. Justin à cinquante mètres de nous fouillant la foule de son regard furieux, son portable collé à l'oreille. Il a reçu mon appel. Mes jambes, soudain se mettent à trembler. Ce n'était pas le moment de craquer !

- Nous sommes là, à cinquante mètres sur ta gauche, dis-je m'adressant cette fois-ci distinctement dans mon téléphone allumé jusqu'ici discrètement dans ma paume.

Peter comprend alors et regarde alors autour de lui.

- Salope ! Tu as appelé quelqu'un.

Je serre Lisa dans mes bras, la protégeant de la colère qui va fuser. Rien ne peut maintenant le retenir. Mais la mienne est là aussi, toute aussi puissante.

- Tu n'aurais jamais dû t'attaquer à Lisa, jamais ! Je te le ferai payer très cher Peter .

Une ombre passe devant nous. Justin vient de s'interposer entre Peter et nous. Sa haute silhouette me cache le ravisseur de Lisa. Je distingue à peine le premier coup de poing qui fait reculer Peter de plusieurs mètres. Il n'y a rien à dire. Justin a des muscles. Le laissant sans aucun scrupule se débrouiller avec Peter , j'attrape Lisa à bras le corps et la porte dans mes bras Lisa pour m'éloigner à toute allure vers notre immeuble si proche.

J'oublie ma maladresse habituelle et cours aussi vite que possible chargée de mon précieux fardeau. Je m'engouffre dans l'immeuble. M'appuyant contre le mur de la loge, je fais quelque pas de plus et poursuis vers le patio s'effondrant sur un banc, Lisa sur mes genoux. Elle pleure à gros sanglots, le visage blotti dans mon cou.

- Pourquoi il est méchant ? Pourquoi il a fait ça ? Qu'est-ce que j'avais fait ?

- Mais rien ma jolie princesse. Tu n'as rien fait !

Je suis horrifiée et saisis le petit visage dans mes mains, inondé de larmes.

- Peter est mauvais, c'est tout. Il voulait me voir moi, et il s'est servi de toi... Tu n'as rien à voir avec lui... Rien du tout. Mais c'est fini tout cela... Justin va en faire de la chair à pâté. Et s'il reste quelque chose, j'ai peur que ton père ne se charge du reste quand il va savoir ce qu'il s'est passé.

Des sueurs froides me glacent quand je réalise qu'il va falloir tout raconter à Andrew. Une peur nouvelle remplace la terreur mêlée de fureur qui m'avait tenue debout face à Peter.

Andrew. Je vais le blesser, lui faire mal. Rouvrir des cicatrices encore mal fermées ... et perdre sa confiance sûrement.

J'essuie les larmes sur les joues de Lisa. Ça ne sert à rien d'attendre. J'espère juste que Justin n'a pas eu pas le temps de prévenir Andrew qui serait alors dans un état d'inquiétude extrême.

- Lisa ? On doit monter voir ton père. Il faut aller lui dire ce qui s'est passé.

Elle renifle et approuve d'un mouvement de tête. Sans dire un mot cependant. Je dois lui laisser le temps de se remettre, cela ne sert à rien si ce n'est à inquiéter encore plus Andrew.

- On patiente une minute le temps d'essuyer toutes ces larmes correctement. D'accord ?

- D'accord Livie ...

- J'appelle ton oncle pendant ce temps. Il faut qu'il soit au courant.

Je joins Drake et en quelques mots lui explique la situation. Il jure, cogne quelque chose et me répond un bref « j'arrive » avant de raccrocher.

- Je suis prête Livie dit alors Lisa avec un petit sourire courageux sur les lèvres.

Nous allons prendre l'ascenseur quand la porte de l'immeuble s'ouvre brutalement. Instinctivement je serre la fillette contre moi avant de faire face.

C'est Justin . Seul. Il se précipite sur nous.

- Vous allez bien ? Il ne vous a pas touchées ?

- Ça va Justin . Tout va bien. Elle n'a rien.

Je lui fais discrètement signe de se calmer afin de ne pas effrayer à nouveau Lisa.

- Il est où l'homme ? demanda-t-elle alors.

- Dans la voiture de police devant l'immeuble. Ils sont intervenus pour nous séparer et j'ai expliqué ce que j'ai compris grâce à ton appel. Ils veulent recueillir vos témoignages Livie .

Je soupire.

- Bien, Drake , mon avocat, sera bientôt là, mais avant, on doit parler à Andrew. Tu ne l'as pas appelé ?

- Non ! Je n'ai pas pris le temps, quand j'ai eu ton appel bizarre, j'ai compris qu'un truc se passait et j'ai foncé sans réfléchir.

Je lui souris. Il a bien fait. Sur tous les plans. On peut penser ce qu'on voulait de Justin . Il est efficace.

- Merci Justin , merci pour tout. Tu veux bien expliquer aux policiers que je les retrouve dès que j'ai tout expliqué au père de Lisa ?

- Je m'en charge.

Il me serre une seconde dans ses bras avant de faire de même avec Lisa.

La porte de l'ascenseur s'ouvre alors et nous nous y engouffrons toutes les deux.

Andrew... Comment limiter son angoisse ? Comment ne pas le perdre ?

Ces deux questions vibrent dans ma tête au rythme de la migraine qui naît sous mon crâne.

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