Chapitre 17 Livie : la fin d'un long dimanche
JUSTIN : Le même jour... minuit passé.
- Non je ne suis pas chez moi.
Je sais que je réponds trop séchement à Seth. Je l'écoute râler au bout du fil encore quelques secondes avant de céder.
-OK, j'arrive. Laisse-moi 10 min. Je vous rejoins.
Je raccroche et glisse mon portable dans ma poche. J'ai envie de fumer. Je ne sais pas pourquoi j'ai arrêté il y a 2 ans. Je passe ma main sur ma courte chevelure. Qu'est-ce qui me tracasse ce soir ? Je suis monté sur la terrasse de l'immeuble espérant trouver une réponse à mon énervement. Mes potes m'attendent. C'est mon jour, enfin c'était mon jour, de congé et je suis toujours là.
Je m'adosse dans l'ombre contre le mur.
Et elle arrive. Ca je m'y attendais pas. Elle devrait dormir non ? Elle est belle. Elle a mis un drôle de pyjama beige léger qui flotte autour de son corps mince. Il ne dévoile rien. Dommage. Ou pas. Elle s'est appuyée contre la rambarde à quelques mètres de moi et regarde Manhattan. Elle ne m'a pas vu.
Je ne sais pas trop si je dois lui signaler ma présence. J'aime la regarder. Je soupire doucement. Elle semble triste. Puis elle murmure.
- Un jour, peut-être que nous aurons notre chance.
Ok ça va devenir gênant. Surtout si elle se tourne un peu vers sa gauche.
De toute façon il n'est pas question que je l'entende se dire à quel point elle adore Follen. Je suis gentil mais pas maso non plus.
- Hum, pourquoi ai-je la triste impression que vous ne parlez pas de vous et moi ?
ooOoo
Je sursaute en entendant un homme répondre à ma question intérieure. Apeurée, puis gênée en reconnaissant la haute silhouette sombre de Justin Black à quelques mètres de moi.
- Vous m'avez fait peur !
- J'en suis désolé, mais j'étais là avant vous, simplement, vous ne m'avez pas vu et je ne peux rester caché dans l'ombre plus longtemps, vous m'en auriez voulu davantage encore.
Je remarque alors qu'il n'est pas sur « notre » terrasse mais derrière un mur à claire-voie qui devient muret juste avant la balustrade. Il est sur la terrasse collective de l'immeuble.
- Merci alors Justin de m'avoir interrompue, avant que je ne dise d'autres bêtises.
- À priori, ce n'est pas une bêtise de penser ou dire « un jour peut-être que nous aurons notre chance... ». Tout le monde mérite sa chance. Même Follen, reprend-il en esquissant une moue dubitative qui gâchae l'effet de sa phrase. Je rougis et apprécie de penser que l'obscurité lui cache mon émotion.
Il s'approche alors de moi et saute d'un geste souple et aisé, pour lui, l'obstacle qui est censé garantir mon intimité. Maintenant Justin Black est sur notre terrasse privative et n'en semble absolument pas gêné.
Je recule à son approche. Cet homme est impressionnant. Grand, musclé, le regard sombre. Je n'ai pas réellement peur de lui, mais me retrouver seule, la nuit, avec un grand mec baraqué ne me met pas extrêmement à l'aise. Mon dos rencontre la balustrade et, à moins que mes super-pouvoirs ne se manifestent pour la première fois de mon existence, il est évident que ma fuite ridicule s'arrête là. Courageusement je relève la tête pour croiser le regard de braise de Justin.
- Vous sous-entendez quoi exactement ? lancé-je agressive sans trop savoir exactement pourquoi.
Peut-être que la méfiance d'Andrew vis à vis de cet homme est contagieuse, même s'il s'est bien comporté lorsque nous cherchions Lisa.
Son regard se trouble et il semble perdu pendant quelques secondes.
- Rien de spécial... C'est juste qu'on ne s'apprécie pas trop lui et moi.
Pas mal de jalousie je pense. Un excès de testostérone peut-être ? Je préfère taire mes hypothèses.
Il hausse les épaules, avant de poursuivre avec une nuance curieuse dans la voix.
- Je ne marcherai pas sur ses plates-bandes. Malheureusement.
Je me raidis en entendant cette expression avilissante, mais il lève les bras en signe d'apaisement. Pourquoi ai-je l'impression que je ne vais pas aimer ce que je vais entendre ? J'ouvre la bouche pour protester. Mais il est plus rapide que moi.
- Hé ! Écoutez-moi avant de me contredire, Livie... Je peux vous appeler Livie ?
- Humpff, on verra, grogné-je.
- Je voulais juste dire que ce matin, quand vous êtes sortis de l'ascenseur tous les deux et vous êtes enfuis en courant dans l'escalier comme si vous aviez le diable à vos trousses... J'ai compris.
Il s'arrête là. Brusquement. Il a compris. D'accord. Mais compris quoi ? Moi je ne comprends pas. Fronçant les sourcils, je tergiverse quelques instants avant de lui demander une explication. Je veux en savoir plus, mais discuter avec Justin Black me met mal à l'aise.
- Que fallait-il comprendre de notre sortie précipitée ?
- J'ai vu le regard que vous avez échangé. Je ne sais pas ce qu'il s'est passé dans ce putain d'ascenseur mais tout a changé entre vous la nuit dernière. Je m'en doutais d'ailleurs, c'est pour cela que ça m'agaçait autant que ce truc tombe en panne avec vous deux à l'intérieur. Quand vous êtes sortis, quand il vous a aidé à grimper jusqu'à son frère et moi, c'était clair comme de l'eau de roche. Premièrement, j'ai compris que j'ai plus aucune chance avec vous et deuxièmement, encore plus important, j'ai acquis la certitude, à sa façon de vous... tenir, de vous couver presque, qu'il ne vous fera pas de mal... du moins...
Il hésite à conclure.
- Du moins ? l'incité-je à terminer sa phrase.
- Du moins pas volontairement.
Cette conversation est un peu... surréaliste, mais Black n'a pas tort, je secoue la tête. Andrew et moi allons trop loin et trop vite. Et cela se voit.
Trois jours à peine que je le connais et déjà le portier de l'immeuble sait qu'il y a un truc entre nous. Ledit portier s'adosse au muret face à moi, croisant négligemment ses bras sur son torse, et il se penche exagérément vers mon visage, comme pour scruter mon expression. Sa présence physique est impressionnante mais je n'arrive pas à avoir peur de cet homme, même si je sais qu'il a la force nécessaire pour me plaquer au sol, ou me balancer par-dessus la balustrade, en moins de temps qu'il n'en faut pour le dire.
Je ne fais pas le poids face à sa force, mais j'oppose à son examen attentif de mon visage un regard aussi calme que possible. Il a été franc, sincère. Lui non plus ne me connaît pas, rien ne l'oblige à me parler. Rien ne m'oblige à l'écouter, mais c'est plus fort que moi.
- Vous avez autre chose à ajouter Monsieur Black ? demandé-je froidement.
Il veut m'intimider ? C'est loupé ! Il éclate alors de rire en se redressant puis effleure ma joue du revers de sa main.
- Monsieur Black ? Ciel ! Andrew qui me demande de l'appeler par son prénom et vous, Miss Parker, vous me donnez du Monsieur ?
Je me raidis un peu avant de réaliser que ma position est ridicule. En soupirant, je comprends qu'il m'est impossible de rester longtemps fâchée avec cette montagne de muscles ambulante. Justin a de l'humour et j'aime cela. Subitement, les choses deviennent plus simples. Il me plaît. Il est honnête et transparent et, surtout, ne met pas en danger mon affectif.
- OK. Touché. Je t'appellerai Justin si tu dis Livie.
- Livie... humm c'est mignon Livie. Pourquoi pas. Merci de la permission. J'ai hâte de voir la tête de Foll... euh d'Andrew quand il m'entendra t'appeler ainsi.
Il me fait un clin d'œil. Je décide de ne pas relever ses paroles.
- Marché conclu ! Pourquoi me regardais-tu de si près il y a un instant ? C'est... surprenant et agaçant, on ne se connait pas assez pour que tu vérifies mon maquillage, si ?
Ou son absence.
- Je voulais juste voir qui tu étais. Comme tu dis on ne se connait pas, tu arrives sans crier gare chez Follen, il t'adopte et Lisa arrive dans la foulée. Jusqu'à ce matin... j'étais... comment dire...
Il cherche ses mots et si l'éclairage de la terrasse avait été meilleur, j'aurais pu jurer que sa peau brune a encore foncée, comme s'il avait rougi.
- Alors ?
Je ne vais pas le laisser se défiler. Il soupire longuement, comme s'il se dégonflait. Il croise ses bras sur son torse comme pour se protéger. Je l'observe à mon tour avec attention. Ce serait un spectacle curieux que de voir ses pectoraux et biceps disparaître en quelques minutes. Je croise les bras devant ma poitrine par mimétisme. J'ai l'impression d'être aussi peu impressionnante qu'une institutrice débutante en colère.
- Alors ? Ok j'avoue. J'étais un peu jaloux. Un peu intéressé par toi.
- Ah.
J'ai sûrement couiné. Et pris des couleurs à mon tour. Je ne sais pas quoi répliquer et je me détourne, préférant fixer un point vers l'horizon, subitement gênée. Andrew avait raison. Il m'avait prévenue. Je ne sais que dire. Quelques longues secondes de silence assez embarrassantes passent avant qu'il ne reprenne la parole. Il s'est accoudé à la balustrade à côté de moi et lorsque je tourne la tête pour regarder discrètement dans sa direction, il fixe à son tour Central Park, semblant éviter mon regard autant que moi j'évite le sien.
- Tu sais des jolies filles comme toi ici, il n'en défile pas tant que cela. Et dès qu'il y en a une, Follen la rafle. Elles lui tournent toujours autour même après son accident. C'est très agaçant.
En effet, très agaçant. Je serre les dents, préférant ne pas analyser ce que je ressens.
Lâche.
- En plus, il semblait s'en ficher. Jusqu'à ce que tu arrives.
Inutile de ressentir autant de soulagement et de satisfaction Livie.
S'il est très clair que Justin exprime sa jalousie et un peu d'amertume, je suis de mon côté partagée entre la gêne, la jalousie et une sorte de fierté mal placée.
- Je... suis euh... désolée.
Mes paroles sortent avec difficulté lorsque je reprends le dessus sur ses déclarations perturbantes.
- Pas autant que moi, rigole-t-il, mais mon cœur brisé s'en remettra. Tu sais faire les gâteaux ?
Je ne comprends plus rien. Quel est le rapport avec notre conversation ? S'il y a un quelconque rapport d'ailleurs. Il doit surprendre mon regard perdu et interrogatif.
- Ben oui... mon cœur va nettement mieux quand mon estomac est satisfait. Tu pourrais rattraper le préjudice que tu m'as causé en confectionnant un ou deux gâteaux pour moi ?
Son regard plein d'espoir, en débitant son discours idiot, me fait éclater de rire, ce qui est, je pense, le but recherché.
- La cuisine est un domaine réservé à Andrew, cependant je me débrouille. Je vais y réfléchir même si je n'aime pas le chantage.
- Super Livie. Tu es un ange.
Sans prévenir, il se penche à nouveau vers moi et plante un baiser sur ma joue juste au coin de mes lèvres. Il l'a fait exprès évidemment. Je sursaute et recule.
- Attention Black ! Il y a des limites à ne pas franchir si tu veux que je te nourrisse.
Je ne plaisante qu'à moitié. Je ne le connais pas et ne veux en aucun cas d'un type trop collant à proximité. J'ai quelques problèmes avec les contacts masculins.
Problèmes totalement oubliés avec Andrew.
Je sais, ce n'est pas le moment d'y réfléchir.
- Promis, la prochaine fois je demanderai l'autorisation avant. C'est sérieux entre toi et Foll... Andrew ? demande-t-il soudain plus grave.
- Sérieux ? Bonne question. Pour l'instant il n'y a... rien de concret entre nous. C'est trop tôt mais s'il se passe quelque chose je t'envoie un SMS !
Il m'agace soudain. Il pose LA question à laquelle je ne veux pas répondre. À laquelle je ne peux pas répondre.
- Désolé, encore une fois. Je te demande ça à cause de la petite. À cause d'Andrew aussi. Elle est fragile et euh... Andrew aussi je pense. Bon sang s'il m'entendait dire cela ! Déjà moi ça m'arrache les oreilles d'entendre ce que je dis.
Il secoue la tête d'un air incrédule. Je souris, le gros nounours se tracasse pour Lisa. Et pour Andrew. Je comprends soudain que l'espionnage qui a tant agacé ce dernier n'était sûrement qu'une façon pour Justin de surveiller discrètement que son locataire écrivain ne risquait rien.
- Je pense à Lisa aussi, ne t'inquiète pas. Je n'ai pas l'intention de la blesser. Quant à Andrew, ne t'en fais pas. Il est solide. Beaucoup plus que tu ne le penses.
Je ne veux plus parler d'Andrew avec lui. C'est trop... bizarre.
- C'est ton avis Livie, mais depuis qu'il y a eu cet accident, depuis qu'il a failli perdre sa fille, tout en perdant la vue, il a dû affronter trop de choses. Et je suis certain que l'autre bonne femme à Los Angeles en a profité pour dire tout un tas de conn... de bêtises à Lisa.
Je me sens glacée en comprenant soudain ce que dit Justin. Lisa a été impliquée dans l'accident d'Andrew ? Il a failli la perdre ? J'ignore encore tellement de choses de leur vie. C'était notre deal dès le départ à Andrew et moi : pas de questions. Ce qui m'arrange bien. Mais ce qui vient d'échapper à Justin me bouleverse. Je suis partagée entre ma réserve et l'envie d'en savoir plus. Andrew est celui qui doit m'apprendre tout cela. Quand il sera prêt. Je ne voudrais pas qu'il apprenne mes secrets par d'autres. Je ne voudrais pas qu'il apprenne mes secrets tout court pour être honnête.
- Ils sont deux, ils s'adorent, je suis sûre qu'ils vont surmonter leurs malentendus. Tu... connais Alana ?
Mince.
Je n'ai pas pu retenir ma curiosité. Je m'en mords la langue tout en prêtant attention à la réponse de Justin.
- Non je ne la connais pas. Elle avait vidé les lieux presque 3 ans avant mon arrivée ici. Elle n'est jamais revenue à l'appartement à ma connaissance. Il élevait seul la petite. Et ils étaient férocement heureux comme cela. Alana est une garce.
Les derniers mots tombent comme s'il crachait sur le sol. Comme je l'interroge du regard suite à cette affirmation véhémente, il hausse à nouveau les épaules avant de poursuivre. Il n'a pas de scrupules, lui, à parler d'autrui.
- Enfin pour être honnête, j'en sais rien. Je ne l'ai jamais vue. Mais elle a abandonné la gosse pour mieux l'arracher à la famille Follen après l'accident. Je crois même qu'elle a voulu faire un procès à Andrew pour mise en danger de la vie de sa fille, mais Drake Follen, tu sais, le grand frère, a mis le holà à son cinéma. J'voudrais bien qu'elle revive ici la petite. Elle serait mieux. Enfin si tu es sérieuse avec Andrew. Si tu ne joues pas avec eux.
Il braque soudain son regard noir sur moi en prononçant ces derniers mots et si j'avais eu la moindre intention de jouer avec Andrew et Lisa je me serais enfuie en courant. Devant la sincérité de son inquiétude, je réponds sérieusement à mon tour.
- Je ne joue jamais avec le bonheur des enfants. Leur vie est trop précieuse.
Les larmes menacent d'affleurer sur le bord de mes yeux. Je ne pourrais pas les retenir longtemps. La première s'écoule lentement, traçant son chemin sur ma joue, masquée par l'obscurité. Je sais que si je craque, je vais m'effondrer devant lui. Il ne me lâche pas du regard, cherchant à comprendre ce que je veux lui cacher. Je me tais obstinément, incapable de desserrer les lèvres sous peine de tomber en morceaux en pleine nuit, sur une terrasse perdue au cœur de Manhattan, devant un quasi-inconnu. Le silence s'éternise. Long et douloureux.
- Je vois. T'as des trucs lourds bien cachés à porter, toi. J'espère qu'Andrew pourra t'aider. Et si tu as besoin d'un ami, d'une épaule sympa et solide, je peux être là, si tu le souhaites. Même sans gâteaux supplémentaires en contrepartie.
Il est mignon. Je ne l'aurais jamais cru. Je souris à travers le rideau de larmes qui trouble ma vue et sans réfléchir, je me hausse sur la pointe des pieds pour déposer un baiser sur la joue de l'homme sensible qui me fait face.
- Merci, Justin.
- À ton service Livie, fait-il avec un clin d'œil. Ça ira ?
- Oui ça ira.
Je dis vrai. Ça ira. J'en suis persuadée. J'aurai la force. Cet immeuble devient un miracle pour moi. L'amitié, le défi d'avancer et une étincelle d'espoir s'y trouvent réunis.
- Ça ira, répété-je, je vais mieux.
- Bon, je dois te laisser. Mes potes m'attendent devant ma porte depuis un moment, on doit aller faire un peu la fête mais je voulais vérifier que tout allait bien partout et j'avais aussi besoin d'air. Tu verras cette terrasse est sympa. À demain Livie.
- À demain Justin.
Aussi souplement qu'il est arrivé, il passe par-dessus le muret avant de s'éloigner dans l'obscurité. Je me retrouve seule. Il fait de plus en plus froid. Le silence relatif de cette nuit citadine m'enveloppe mais je me sens plus forte.
Andrew a peut-être détecté en moi une qualité qui m'a échappée mais il a besoin de moi. De la même façon que j'ai besoin de savoir qu'il va bien. Je ne sais pas bien pourquoi mais je me sens à ma place ici avec lui, avec Lisa. Mes derniers doutes s'envolent dans la brise alors que je quitte la terrasse pour aller dormir. Je me couche rapidement et, lorsque mes paupières s'abaissent dans un demi-sommeil, les mots de ma phrase fétiche du livre de Saint-Exupéry reviennent défiler devant moi.
« On ne voit bien qu'avec le cœur, l'essentiel est invisible pour les yeux. »
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