Chapitre 15 Andrew : Petites explications
La dame m'a fait boire un chocolat chaud. Elle n'a rien dit quand j'en ai renversé la moitié sur la petite table devant le canapé blanc. J'avais pourtant peur qu'elle se mette en colère. Alana était très en colère quand j'ai taché le canapé avec du sirop de grenadine. Ma boisson préférée.
Elle est curieuse cette dame. Enfin Alice. Elle veut que je l'appelle Alice. Elle est petite. Un peu plus grande que moi, mais pas beaucoup. Elle a pas dû beaucoup écouter son papa quand il disait de manger de la soupe. Quoique je sais que cette histoire de soupe ce n'est qu'un prétexte pour manger des légumes, je ne suis pas idiote.
Et puis elle a les cheveux courts. Presque comme moi. Mais je suis certaine que ça c'est elle qui l'a décidé. Parce que elle décide beaucoup Alice.
D'abord, elle m'a fait entrer chez elle. Je voulais pas... Papa m'avait dit il y a longtemps : ne va jamais chez les gens que tu connais pas. Bon mais elle, c'est la voisine. Et puis elle a pas l'air méchante. En plus je suis certaine que je cours plus vite qu'elle.
Après elle m'a ordonné de boire le chocolat chaud. Rudement bon. Même si j'avais plus faim après les lasagnes de papa. Il cuisine bien. J'avais presque oublié.
Après elle m'a fait parler. C'est curieux. Je parle pas d'habitude parce que ça cause trop de problèmes. Par exemple quand j'ai expliqué à Alana que mes copines se moquaient de mes longs cheveux car j'avais toujours la même coiffure (la queue de cheval que je faisais, toute seule, tous les matins avant de partir à l'école) alors qu'elles avaient de belles coiffures différentes faites par leurs mamans. Alana m'a emmené chez le coiffeur en râlant et j'ai pleuré en voyant mes cheveux sur le sol.
Je lui ai même parlé de Luna. J'avais pas osé demander à Papa où elle était.
Maintenant elle me pousse dans les bras de Papa. Ça, j'ai pas envie mais elle m'avait dit en me tirant hors de son appartement : "c'est ton père, et ce type, je le connais pas, mais mon intuition me dit qu'il faut que tu lui parles... et que tu l'écoutes, ma grande. Et personne, tu entends, personne ne me contredit."
Elle m'a fait un peu peur, juste un peu. Je l'aime bien Alice.
Et j'aime bien quand mon papa me serre comme ça dans ses bras, comme si j'étais la chose la plus importante du monde pour lui.
ooOoo
- Oui... Papa.
Le premier Papa de la journée. Je suis peut-être sur la bonne voie. Je dois absolument trouver les mots. Je suis dans le noir total par rapport à ses sentiments, ses peurs, son envie. J'ai peur de la braquer, de l'inquiéter. Par où commencer ?
- Il y a un an je... Non... Tu sais ce qui nous est arrivé. Je ne vais pas ressasser le passé. Pas tout de suite. Ce que tu ne sais pas, c'est que si tu as envie de partir, de rentrer chez ta mère, je l'accepterai.
Elle soupire, frissonne dans mes bras et se raidit sans rien dire.
- Mais avant, il faut que tu saches que je me battrai pour que tu changes d'avis. Je veux que tu sois avec moi. J'ai envie de te voir grandir. Oui, de voir, comment mon petit papillon va évoluer dans la vie, comment tu vas devenir une belle jeune fille forte et indépendante. Avec mon soutien si tu le permets. Je ne suis pas bien sans toi. C'est égoïste sûrement mais je suis un papa égoïste qui te veut ici maintenant et pour longtemps. Peut-être que ta maman veut être aussi avec toi. Sûrement même, mais j'ai pris l'habitude pendant sept ans d'être en ta compagnie et cette année a été très très longue. Nous avions nos blessures à réparer l'un et l'autre. Je pense que Alana t'a expliquée ?
- Expliquer quoi ? Je ne comprends rien. Je t'ai entendu un jour, au téléphone.
- Entendu ? De quoi parles-tu ?
- Tu parlais à Alana et tu lui disais que tu ne voulais pas de moi ! Que tu ne voulais pas que je vienne chez toi ! Que tu avais autre chose à faire.
De quoi parlait Lisa ? Mon cerveau tourne à vide pendant quelques secondes et je me glace... J'ai compris.
- Oh mon Dieu ! Lisa ! Tu as entendu cette conversation ? C'était il y a si longtemps...
- Oui j'ai entendu. J'avais pris le téléphone dans la cuisine. C'était il y a presque huit mois, avant les grandes vacances d'été.
Je soupire longuement en me passant la main dans les cheveux. Comment expliquer mes paroles maladroites à ma fille ? Hors du contexte c'était affreux ! Je l'avais dit... j'avais dit que je ne voulais pas qu'elle vienne chez moi. Je secoue la tête, horrifié de tout ce qu'a pu penser Lisa après avoir entendu cela. Depuis huit mois, elle pense que je ne veux pas d'elle !
- Alana ne t'a pas dit pourquoi ? Pourquoi ce n'était pas possible que tu sois avec moi ?
J'insiste sur le mot "possible" afin qu'elle comprenne.
- Si, évidemment.
Elle hausse les épaules, renifle un peu et mon coeur se serre en comprenant qu'elle pleure.
-Elle m'a expliquée que tu n'avais pas le temps, que tu devais rattraper un grand retard dans ton travail et qu'une petite fille te gênerait dans ta nouvelle vie. Elle a dit que je mettrais la pagaille chez toi. Elle a dit aussi que tu ne pouvais pas vivre avec une petite fille parce que tu étais aveugle et que je ne ferais que t'embêter.
Si mon ex-femme avait été devant moi, je crois que j'aurais pu la gifler contrairement aux principes que Sue m'a inculqué.
Faire croire à sa propre fille que je ne voulais pas d'elle ! Je dois refouler ma colère au fond de moi et tenter de réparer les dégâts.
- Tu permets que je t'explique ? J'ai dit les paroles que tu as entendues. Oui, il y a huit mois, je sortais du coma. Ça, tu le sais ?
- Oui.
La voix de ma Lisa est faible, comme assourdie, car elle s'est serrée contre moi. M'entendre lui dire encore une fois que je ne "voulais" pas d'elle doit être douloureux.
- Je vais bien. Maintenant je vais bien. Mais à l'époque, non. Je ne pouvais presque plus marcher après quatre mois d'immobilisation complète. Et j'étais aveugle. Et ça c'était nouveau. Je ne savais plus rien faire. Ni attraper mon verre pour boire, ni me lever le matin et m'habiller seul. J'étais d'ailleurs dans un établissement spécialisé et non pas à la maison. J'y suis resté presque cinq mois. Lorsque Alana m'a appelé ce jour-là, j'étais encore à l'hôpital. Elle voulait que tu reviennes avec moi.
Je ne précise pas à Lisa que Alana avait « besoin » de rejoindre des amis, ou plutôt un ami devrais-je dire, qui voulait partir en Europe. Elle n'envisageait pas une seconde, et tant mieux Dieu merci, que sa fille la suive, et avait décidé de se « décharger » sur moi. Seulement à l'époque, je n'étais pas en état.
- Mais si tu étais à l'hôpital, tu ne pouvais pas me prendre avec toi ?
Lisa a compris toute seule.
- Eh oui mon papillon, je ne pouvais pas. C'est ce que j'ai tenté d'expliquer à Alana. Que c'était impossible. Pour être honnête avec toi, je ne voulais pas, non plus, que tu me vois aussi faible. Ton papa était dans un sale état. Puis j'ai guéri. Doucement. J'ai réappris. Trois mois après, je l'ai rappelée et je lui dis que je voulais que tu reviennes. C'était pour Halloween. J'aurais voulu que tu sois là avec moi. Un peu. Mais cela n'a pas été... possible.
J'hésite. Je n'ai pas envie de lui parler de la bataille qu'il a fallu mener contre Alana qui ne souhaitait absolument pas favoriser mes désirs. Il a fallu trois mois pour la convaincre que Lisa passe ses vacances avec moi.
Je sais que mon ex-femme va apprécier sa liberté retrouvée pendant ces quinze jours. Je la connais. Ensuite, il me serra plus simple de demander la garde de Lisa. Définitive, si tout va bien, si Lisa le veut aussi. Je frissonne à cette éventualité qui, avant ce jour catastrophique, ne m'avait jamais effleuré. Et si Lisa veut rester avec Alana ?
- J'aurais bien voulu.
La petite voix de ma fille stoppe mes pensées. Elle aurait voulu ? Être avec moi pour Halloween ? Mon cœur bat plus fort. L'espoir renaît en moi. Elle relève sa petite tête qui se décolla de mon torse.
- Et... maintenant ? Je pourrais...
Elle semble hésiter. Chercher ses mots. Je lui laisse le temps de réfléchir, me contentant de lisser doucement sa courte tignasse. Ne pas la brusquer. Nous avons tellement progressé en une heure.
- Maintenant ? Tu vas mieux ? Je sais que tu ne vois pas, mais sinon, tu fais tout pareil qu'avant, je l'ai vu à table. Même quand tu es venu dans ma chambre tu as deviné que j'étais sur le lit et tu es venu près de moi très vite.
- Oui, je sais me déplacer dans mon environnement.
- Donc, si tu voulais, je... pourrais rester chez toi, chez nous ? Je ne mettrai pas la pagaille c'est promis Papa. Je resterai sage et je ne m'enfuirai plus.
Elle parle très vite et j'imagine fort bien son regard inquiet. Elle a peur d'être rejetée. Encore. Mais elle prend le risque. Elle est si courageuse ma petite diablesse. Mon amour pour elle et ma fierté paternelle se mêlent et je tente de retenir les larmes qui menacent de couler au coin de mes yeux alors que mon coeur déborde d'amour pour ma princesse.
Il est indispensable de la rassurer. Je voudrais tellement pouvoir croiser son beau regard vert. Je tiens son petit visage autant que je le peux.
- Lisa ! Tu ne m'as pas écouté ? Je t'ai dit que je veux te garder avec moi ! Je veux que tu vives avec moi. Que tu mettes la pagaille, comme tu dis, ou pas... on se débrouillera. On s'adaptera. Ce qui compte, c'est que tu aies envie de rester ici avec moi, autant que j'ai envie que tu sois là !
Alors, elle enroule ses bras autour de mon cou, puis m'embrasse sur la joue. Ce geste est pour moi extraordinaire après l'après-midi éprouvant que nous venons de passer.
Je ferme les yeux, laissant l'humidité qui y perle progresser. Pleurer devant mon bébé est aussi quelque chose que j'aurais voulu éviter aujourd'hui, mais je l'aime et nous nous sommes retrouvés.
Nous restons ainsi un long moment. Je la tiens dans mes bras. Je suis bien. Je n'ai aucune envie de bouger mais il est tard, elle a subi quelques heures d'avion, le décalage horaire et pas mal de chocs, il faut qu'elle dorme.
- Allez ma puce, on va garder un peu de câlins pour demain. C'est l'heure d'aller au lit.
- Oh non. Je veux rester avec toi. S'il te plaît mon papa...
Ciel ! La petite voix suppliante. Comment résister ? Encore une fois mes doigts fourragent dans ma tignasse, cherchant une solution.
- Tu vas faire ta toilette, je t'attends dans ta chambre. Et je te lirai une histoire. Et après dodo ! Tu veux bien ?
Elle est déjà debout.
- Oui !
Elle sait où se trouve la salle de bains. Je file dans mon bureau récupérer notre livre fétiche. Je l'ai gardé près de moi. Même si je ne peux évidemment plus le lire.
Elle revient dans le salon en même temps que moi. Elle a été rapide pour se laver, je suppose que la toilette a été superficielle mais il m'est impossible de lui reprocher quoique ce soit ce soir. Il sera temps de reprendre les bonnes habitudes demain.
- Allez ma belle, tu cherches un pyjama dans ta valise et hop au lit.
- OK chef !
J'entends le rire dans sa voix. Je souris bêtement.
- Papa ?
Elle m'appelle. J'entre dans sa chambre.
- Je suis lavée, changée, couchée. J'ai droit à mon histoire ? Qu'est-ce que tu vas me lire ? Comment tu vas lire ?
- Que de questions ! J'ai choisi celui-ci.
Je brandis le livre en direction du lit. Il est abîmé. Nous l'avons lu et relu.
- Oh oui !
Elle est enthousiaste. Tant mieux, c'était notre lecture favorite. Je le connais par cœur. Je ne l'ai pris avec moi que pour les illustrations. Petite, elle adorait poser son doigt sur le Petit Prince et me demandait inlassablement pourquoi ses cheveux pointaient, pourquoi la Rose était méchante. Pourquoi... encore et toujours.
- Je m'installe où Princesse ?
- À côté de moi. Viens, je t'ai laissé plein de place, Papa.
- C'est d'accord pour un peu de lecture, mais après je te laisse dormir.
L'invitation est tentante. Je m'allonge sur la couette à côté de ma fille et elle se blottit contre mon bras. Elle sent bon le shampoing à la pomme. Elle sent bon le bonheur.
Je maintiens le livre devant nous et je l'ouvre à la première page, juste après la préface, celle où l'image du boa avale sa proie, côtoie celle du chapeau. Puis je ferme les yeux et commence à voix basse.
« Lorsque j'avais six ans j'ai vu, une fois, une magnifique image, dans un livre sur la Forêt Vierge qui s'appelait "Histoires Vécues". Ça représentait un serpent boa qui avalait un fauve. Voilà la copie du dessin... » *
* Ndla : Pour celles et ceux qui n'ont pas reconnu les extraits du livre : Andrew "lit" « Le petit Prince de St Exupery ».
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