Chapitre 5



« Mais qu'est ce que vous avez fait à vos cheveux ? Vous vouliez faire l'arc-en-ciel, c'est ça ? Hein ? Répondez-moi ! »

Ça faisait exactement quatorze minutes que ma mère hurlait dans le salon et que personne ne pipait mot, pas même Mickaël. Quand elle a décidé de crier, on ne peut plus l'arrêter.

Laissez-moi vous expliquer. Ce matin, j'ai montré La Liste à mes sœurs, et je ne sais toujours pas si c'était une bonne idée. Toujours est-il qu'elles ont adoré l'idée et qu'elle voulait faire au moins quelques éléments avec nous, et avoir de la compagnie ne nous déplaisait pas. Donc les filles ont choisi «- Se colorer les cheveux dans un dégradé bleu/vert ».

Nous sommes donc partis tous les quatre (plus le chien) chez le coiffeur et autant vous dire qu'il était heureux de voir débarquer quatre grands ados qui voulaient une couleur donc qui allaient bien banquer.

Effectivement, une coloration coûte relativement cher alors quatre...

Nous étions donc rentrés, tous contents. Antoinette les cheveux violets, Marie-Anne les cheveux roses, Antoine un dégradé bleu/vert et moi en dégradé roux/rouge qui passait par le jaune.

Vous comprenez maintenant pourquoi ma mère piquait une crise au beau milieu de crinières multicolores. De notre côté, personne n'osait ouvrir la bouche. En même temps, avoir une furie complètement décoiffée (car nous sommes sortis le matin) vous hurler dessus avec ses lunettes qui lui font des yeux énormes, ça fait peur. Et comme on n'ouvrait pas la bouche, elle s'énervait encore plus. Le cercle vicieux. Heureusement, mon beau-père finit par intervenir, en notre faveur, et ma maternelle partit se laver, non sans nous jeter un regard noir.

Environ deux heures plus tard, une fois que tout le monde fût prêt, ma mère sortit dans le bourg avec Mickaël pour aller au festival.

Nous commençâmes notre plan. Tête d'Anchois et Marie-Anne devaient aller chercher les matelas dans le garage, Antoinette devait ramener les draps et moi, je me chargeais de l'organisation en raison de ma force physique en chute libre. C'est là que je bénissais mes grands-parents d'avoir eu cette immense maison familiale. Mon frère était casé dans la chambre de mon cousin et Valérie avait eu la chambre bleue, comme elle avait sa fille avec elle. Mon père dormait dans la chambre jaune et ma tante dans la verte, tandis que ma mère créchait dans la rose avec Micka.

Les chambres ont toutes leur petit nom coloré car, quand on était petits, c'était plus facile de se repérer dans la maison comme ça qu'en disant :

"La chambre de gauche après les toilettes, juste avant celle avec les rideaux fleuris !"

En y repensant, on était devenu assortis aux chambres de la maison.

Une fois toute notre organisation finie et en ayant consciencieusement vérifié que mes parents étaient à l'opposé l'un de l'autre, nous commençâmes à cuisiner. La nourriture, ou comment faire taire toute dispute. Parce que dispute il y aura, après l'épisode de ce matin, mon père qui arrive, ce sera un peu gros pour ma mère.

« Donc on fait quoi ? Demanda mon cousin.

- Des crêpes, répliquâmes mes sœurs et moi après s'être concertées d'un regard.

- Va pour les crêpes ! »

Heureusement qu'il était avec nous car la cuisine n'est pas vraiment la spécialité de la famille, contrairement à Antoine qui a toujours été passionné par les pâtisseries. Et quand on le regarde, on cherche toujours où sont passés tous les gâteaux qu'ils nous volait alors que le peu de sucreries qu'on parvenait à garder nous marquait bien... En effet, Antoine est grand et svelte, pas des plus musclés, je l'accorde, mais il dégage un certain charme qui en faisait tomber plus d'une. Peut-être qu'être blond, ça aidait. Blond aux yeux turquoise, je précise, même si à présent turquoise aux yeux turquoise. Mon cousin était beau, c'était indéniable, mais il n'entrait pas dans la norme de beauté, il se démarquait grâce à son style, sa façon de parler et sûrement sa perpétuelle joie de vivre. Il n'était pas du genre Bad-Boy-mystérieusement-magnifique-et-rebelle.

Une heure plus tard, Micka rentrait accompagné de ma mère, elle même flanquée d'un chariot rempli de baguettes de toutes sortes. Elle a dû bien s'entendre avec les marchands. Ma mère est un peu, comment dire... un pigeon ? On lui dit que ce pain là est ra-di-cal-e-ment différent de celui-ci et elle fait exactement ce que les autres attendent : elle achète les deux pour voir lequel elle préfère.

On s'est donc retrouvés avec huit baguettes variées. Huit baguettes qu'on ne mangera évidemment pas car la moitié étaient aux céréales et ma mère, Marie-Anne et Isaac étaient allergiques à je ne sais quelle graine.

Nous discutâmes un moment jusqu'à ce que la porte d'entrée s'ouvre. J'avais oublié ce détail : ma tante avait les clés.

Je me précipitai vers mon père et fût frappée par son changement : un barbe fournie avait poussé sur son menton et remontait légèrement sur ses joues et ses cheveux blanchissaient mais il semblait heureux. Mon regard bifurquait vers ma tante Linda qui souriait chaleureusement.

« Ok, alors je suis super contente de vous voir mais j'ai un petit détail à régler avec vous avant.

- Bonjour à toi aussi », dit mon père en fronçant les sourcils.

J'allais ouvrir la bouche quand le reste de la famille fit son entrée. Mes parents me fusillèrent du regard et, comme si ce n'était pas déjà assez, Valérie, Isaac et Karine (la fille de ma sœur) apparurent dans le cour et s'ajoutèrent au beau tableau de famille. Lee Roy courut vers les nouveaux arrivants qui s'extasièrent devant lui avant de se concentrer sur nous.

« Maman ! Les Power Rangers, regarde ! Cria la petite en nous voyant.

- Mais non ma chérie, la contredit ma mère en me dardant de son regard comme si tout était de ma faute, c'est les Télétubbies !

- Non, Les Trolls ! Renchérit Isaac.

- On a fait des crêpes ! » Intervint Antoinette.

Tout le monde la regarda avec des yeux ronds avant d'éclater de rire. L'ambiance fût rapidement plus détendue, et même si mon père faisait un peu la tronche, tout le monde s'amusait. Nous étions réunis autour de la grande table : je me trouvais entre Micka et Valérie, qui tenait sa fille sur ses genoux, ma mère était à droite de son mari, puis il y avait Antoinette, Antoine, le chiot sur les pieds, Marie Anne, mon père, ma tante et Isaac. Après de nombreuses questions du style « Mais pourquoi vous avez décoloré vos cheveux ? » ou « C'est quoi cette nouvelle mode ? Ah les jeunes j'te jure... » en profitant des crêpes chaudes tartinées de beurre, de sucre, de Nutella, de confiture, de jus de citron, de sirop d'érable et d'autres trucs donc j'ai pas vraiment retenu le nom, ce fût à notre tour de poser des questions à tout le monde. J'appris donc que la première rentrée Karine s'était bien passée, qu'elle s'était fait deux copines qui s'appelaient Iona et Lorie et un copain qui s'appelait Mickaël (elle précisait bien « Comme toi Papi ! » et insistait sur les prénoms à chaque fois) ; que mon père avait changé de boîte et que Linda comptait déménager dans l'année. Isaac voulait ouvrir un magasin de chaussures après ses études et Valérie ramait un peu depuis le départ de son copain ; elle est tombée enceinte par accident mais son petit-ami est resté auprès d'elle. Ce n'est que deux ans après la naissance qu'il est parti, en laissant juste un petit post-it comme justification :

« Je sais que tu débrouilleras bien avec elle.

Au revoir,

Julien. »

Cette rupture a été vraiment dure pour ma sœur et nous restés avec elle jusqu'à l'annonce de ma maladie, un mois après le troisième anniversaire de la petite. Comme si c'était pas déjà assez le bordel dans cette famille. On s'est donc retrouvés avec des parents qui ne s'adressaient pas un mot, une grande sœur célibataire avec sa fille de trois ans et une autre avec un cancer incurable. Sympa l'ambiance !

J'ai été diagnostiquée assez tôt, mais les médecins ont été surpris que j'aie le cancer du pancréas. Contracté par des hommes deux fois sur trois, et la plupart du temps après cinquante ans, j'étais un peu hors-normes. Complètement hors-normes ; mais étant fumeuse, les risques étaient plus élevés.


La nuit venue, une fois toute la maison couchée, je me levai et pris quelques vêtements à l'aveuglette en veillant à ne pas réveiller mes sœurs. Je sortis de la chambre, descendis les escaliers et rejoignit Tête d'Anchois devant la maison.

« T'as tout ce qu'il faut ? Lui demandai-je.

- Ouaip ! Blanc, rouge, noir, bleu, vert... toutes les couleurs », me répondit-il.

Pour illustrer ses paroles, il sortit les bombes de peinture du sac en toile, puis me sourit. Cette nuit risquait d'être mouvementée.

- Se colorer les cheveux dans un dégradé bleu/vert : Check !

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