"- Allez ! Dépêchez vouuus ! nous pressa Antoinette.

 - Eh, ça va, elle va pas s'enfuir la parade, protesta mon frère, récemment arrivé.

- Mais bouge toi, s'teuplait ! Des Gay Prides, t'en verras pas quinze dans ta vie !

- Nan mais tu comprends, madame broute des minous donc elle est mille fois plus concernée que nous, simples hétéros voulant juste s'amuser un peu, déclara Tête d'Anchois, en imitant une espèce de nana maniérée.

- Bla bla bla... Vous avez fini ? On peut y aller maintenant ?"

Nous partîmes en riant. Nous ne mîmes pas longtemps avant d'apercevoir une centaine de personnes affluant dans les rues. Nous nous dépêchâmes de les rejoindre.

Du rouge, du orange, du jaune, du vert, du bleu, du violet, les couleurs nous assaillaient le regard. Des confettis, des poudres colorées jaillissaient de partout ; des hommes, des femmes, des adolescents étaient vêtus de déguisements plus fous les uns que les autres. Certains avaient même déguisé leurs animaux de compagnie, avec des tutus arc-en-ciel ou bien de la simple peinture, que j'espérais spécialisée. Pauvres bêtes, ils ne devaient déjà pas être ravis d'être au milieu de centaines de personnes, alors peinturlurés comme ils l'étaient, ils ne devaient vraiment pas comprendre ce qu'il leur arrivait. Je pouffai bêtement lorsqu'une image de Lee Roy en tutu s'imposa à mon esprit.

Nous nous incrustâmes dans le cortège en nous faufilant dans toute cette foule. Un grand sourire aux lèvres, nous tentions de discuter par-dessus le bouhaha.

"- Woooouhouuuuu ! On y est les gaaaars ! s'époumona la plus jeune.

-  J'y crois pas putain, soufflai-je.

- C'est juste putain d'incroyable !" s'écria mon frère.

Happés par la foule, nous tentions en vain de rester groupés. Je fus aveuglée un court instant par une poudre colorée, mais ce fût un laps de temps suffisant pour me séparer de ma tribu. Commençant à paniquer, je regardai autour de moi en sautillant sur place pour essayer de prendre de la hauteur. Les colorations de leurs cheveux ne suffisaient pas pour se démarquer des autres personnes, portant les perruques et les chapeaux les plus fous que j'ai jamais vus. Néanmoins, je réussis à capter une grande tête d'anchois dépassant de la foule. Nos regards se croisèrent et j'articulai "S.O.S.", malheureusement, me voir dans cette position, les yeux écarquillés et les bras tendus, semblait les faire rire. Ces traîtres ne me lâchaient pas du regard et gardaient un sourire digne du Joker collé aux lèvres. Je leur fit mine de me couper la gorge avec le pouce, signe que je comptais bien leur faire payer leur abandon, et cher.

Au milieu de tous ces gens, je me sentais comme une pauvre petite algue sans défenses au beau milieu de l'océan. Oui, c'est ça, une algue. Une grande algue molle. Perdue et seule. Remarque, vu comme ça, je faisais un sacré duo avec mon cousin, l'anchois et l'algue solitaire. On pourrait même en faire une histoire. Une BD pour enfants, peut être, ou un dessin animé. Un manga, pourquoi pas. Ce serait cool un manga, mais encore faut-il trouver quelqu'un pour dessiner, et c'est vraiment pas la spécialité de la famille. Mais une algue et un anchois c'est pas si compliqué.

Mes réflexions hautement philosophiques furent de courte durée car je percutai quelqu'un dans les secondes qui suivirent ma virée dans les abysses de mon cerveau.

"- Oh pardon, excusez-moi monsieur.

- De quoi ? hurla-t-il, tentant de couvrir le bruit.

- J'ai dit désolée de vous avoir percuté, répondis-je aussi fort que je le pouvais.

- Mais c'est pas grave chérie, aujourd'hui, on s'amuuuuse ! s'écria-t-il soudainement en remuant ses épaules nues. Aujourd'hui on parade ! Aujourd'hui, on milite ! Aujourd'hui, c'est nous les Rois et Reines !"

Il fut acceuilli par un hurlement s'apparentant à un "Ouais !" général et m'entraîna dans sa danse. Je pris alors le temps de le détailler, et je buguais sur le moment, me demandant comment j'avais pu passer outre sa tenue. Des cheveux bruns mi-longs retenus par un bandana aux six couleurs, des yeux verts maquillés d'un arc-en-ciel, mais aussi un justaucorps bleu roi satiné et une paire de talons orange. À côté, je me sentais tellement simple, presque invisible dans toute cette foule de déguisements.

"- Eh, fais pas cette tête chérie, je m'habille pas comme ça tous les jours, tu sais ! Mais toi dis moi, t'es toute mimi dans cette tenue ! Et du coup toi, t'es plutôt quoi ? Branches, buissons ou les deux ?

- Ah euh, merci, bafouillai-je, gênée. Bah, disons branches, j'ai jamais testé autre chose alors...

- Mais teste chérie, teste ! C'est le meilleur moment, celui ou tu découvre une nouvelle chose, une nouvelle façon de faire ! Moi j'te dis, toutes mes premières fois ont été sublimes ! Un truc de fou ! Que ce soit avec un homme, une femme, les deux, avec ou sans accessoires, c'est magique ! Je me souviens, un jour une nana m'a traîné dans un parc en pleine nuit et lorsqu'elle a sorti rabbit de son sac-

- Euh, ça a l'air super tout ça hein, mais je cherche des gens. Loin de moi l'idée d'arrêter cette conversation parce que vous m'avez l'air super sympa, bien qu'un peu cash, mais il faut vraiment que je les retrouve. Ils ont toujours plus ou moins mon âge et des cheveux colorés, vous les avez vus ?

- Tout le monde a les cheveux colorés ici, ma jolie. Alors tu risques de bien galérer. Mais j'vais t'aider. Ils sont comment tes cocos à part de ton âge avec les cheveux multicolores ?

- Bah il y a deux filles, et deux garçons, l'un chataîn et immense et le deuxième avec les cheveux dans un espèce de dégradé bleu-vert, un peu moins grand. Les filles sont plutôt longilignes aussi et elles ont les cheveux roses et violets. Ils sont tous les quatre et ils doivent être en train de me chercher. Quoique, vu la façon dont ils m'ont laissée, ils sont peut-être tout simplement en train de s'amuser quelque part dans la parade.

- T'inquiète chérie, on va t'aider, me rassura-t-il, me donnant l'impression d'être une gamine qui a perdu sa maman au rayon surgelé. Eh Pépito, tu viens nous aider ?"

Un jeune homme, qui semblait être le fameux Pépito, s'approcha de nous, bras levés vers le ciel, et vêtu de la même façon que son ami, dont je ne connaissais même pas le nom, à quelques détails près. Celui ci n'était pas en bleu mais en vert, et portait le même bandana que son ami.

"- Ici pour vous servir, mon maître, s'exclama-t-il en lançant un clin d'oeil suggestif à l homme m'accompagnant. Quelle est notre mission cette fois ci ?

- On retrouve les amis de la miss ici présente, répondit-il en me désignant.

- Merci beaucoup, j'étais vraiment en train de désespérer là, approuvai-je.

- Pas de quoi chérie, on ne dit jamais non à un peu de piment dans notre journée ! Et puis avec une bouille comme la tienne, personne ne peut rien te refuser !"

Je lui souris et les remerciai une énième fois avant que nous partions en chasse de ma tribu colorée. Nous tentions de rester ensemble et de suivre la parade tout en cherchant des yeux des têtes de trolls dépassant des autres. C'est l'un des avantages d'avoir une famille de géants.

Je sortis mon téléphone et envoyai un message à mes sœurs au cas où l'une d'elles aurait la subite envie de me répondre. Ce moment me rappelait ces fois où mes parents nous faisaient sortir quand nous étions petits, dans les parcs, les villes, et qu'ils nous écrivaient leur numéro de téléphone sur le dos de la main, sachant pertinemment que nous n'étions pas le genre de gosses à rester en place. Encore moins au beau milieu d'un parc animalier, d'attractions en tous genres et d'une foule de personnes.