3.
Montant rapidement les escaliers du
hangar, tout en faisant attention à ne pas faire déraper un de ses pieds, le jeune homme rit aux éclats. Derrière lui, à peine deux mètres plus loin, son acolyte grimpe à sa suite, plus vite que lui, en souriant. Une fois arrivé au sommet des escaliers, il dévie à gauche, tournant le dos à la porte d'entrée de leur grange reconvertie en maison. Il laisse glisser ses pieds sur une solide poutre d'à peine vingt centimètres de largeur, la traversant toute entière en sautant sur celle d'à côté, légèrement plus fine.
- Alors?
- Reviens là, petit salopiaud !
- Jamais ! Viens me chercher !
Le jardinier regarde son ami, puis le sol, puis son ami, puis le sol, pâlissant à chaque mouvement de tête. Son visage prend rapidement la couleur du linge séchant sous eux, secoué par le faible vent ; et il se met à trembler violemment. Son murmure se fait plus haché ; son cerveau calculant la distance les séparant du sol.
- Re-reviens..
- Viens !
Bien embêté, le jeune homme reste immobile sur les planches de bois séparant la poutre de la porte. Il garde son regard fixé sur son ami et essaye de se raisonner pour franchir le pas. Le jardinier aime les défis, il n'y en a pas un seul qu'il ait abandonné ; seulement son vertige semble avoir pris possession de son corps, empêchant tout mouvement. Malgré son envie de déguerpir de l'endroit et de retourner s'asseoir sur son cher banc, l'homme de blanc vêtu avance un pied avec hésitation, le laissant quelques longues secondes dans l'air avant d'oser le poser sur le pilier de bois horizontal.
Depuis l'autre côté du garage, esquissant un sourire, son ami l'observe vaincre sa peur avec mal.
Soulevant et reposant son pieds à intervalles réguliers, mettant toujours plus de force dans la deuxième action, le jardinier se convainc de la solidité de la poutre porteuse et finit par s'avancer de tout son poids. Chancelant, il vacille légèrement avant de fermer les yeux pour recouvrer son équilibre ; ses bras formant une ligne droite et horizontale au niveau de ses épaules, comme s'il allait se lancer au sol pour tenter de planer de la même façon que ses nombreux amis volants. Il rejoint lentement son acolyte, en prenant son temps entre chaque mouvement de ses jambes ; s'accordant de longues et nombreuses pauses.
Une fois de nouveaux rassemblés, les yeux toujours clos, le jardinier attrape le poignet de son ami avec douceur, avant de parler fermement ; sans méchanceté mais sans possibilité de réchanchérissement quelconque.
- On y va.
- Je te suis.
- Non. JE te suis.
- D'accord, d'accord. Laisse moi passer alors.
- Ton derrière n'a pas assez de place pour passer?
- 'Spèce de tardos..
Un grand sourire prend place sur le visage des deux hommes, tout aussi beau et sincère. Chez l'un, il étire ses lèvres et rehausse son nez ; chez l'autre, il fait ressortir ses fossettes et bouger ses sourcils. Deux sublimes sourires pour deux sublimes hommes ; deux sourires si différents pour deux hommes si différents. Chez l'un comme chez l'autre se remarque la joie profonde, se lisant à travers leurs yeux rieurs, se distinguant dans leurs sourires ravissants et s'entendant grâce à leurs rires amusés.
Petit à petit, ils effectuent le chemin en sens inverse ; l'un plus facilement que l'autre, l'autre plus bravement que le premier. Une chose est sûre : ils prennent tous deux autant de plaisir à passer du temps ensemble, à rire en harmonie, à se courir après comme les deux enfants qu'ils restent au fin fond d'eux. Arrivant finalement aux dernières marches de l'escalier, le jardinier se retourne vivement et pose sa paume de main sur l'épaule de son ami, déjà bien plus à l'aise que perché sur les poutres en hauteur ; puis part en courant à vive allure, laissant son acolyte le suivre du regard avec amusement.
- C'est toi le chat !
Une petite heure plus tard, après s'être couru après pendant plusieurs rounds endiablés, les deux jeunes hommes se laissent tomber au sol, côte à côte, sous les rayons brûlants d'un soleil amical. L'homme à tout faire du jardin cherche mécaniquement la main de son ami dans l'herbe et entrelace leurs doigts, se laissant basculer en arrière jusqu'à toucher le sol de ses cheveux également.
- J'ai gagné.
- Ouais, ça annule ma dernière victoire.
- Comment ça? Ta dernière victoire annulait justement la mienne d'avant !
- Quoi? Non ! La tienne annulait celle d'encore avant, qui était mienne !
- J'aime pas quand tu mens, je sais que tu n'aimes pas perdre mais même !
- C'est toi le menteur, tu veux pas admettre que je suis le meilleur !
- N'importe quoi ! C'est moi le meilleur !
- Ouais ouais.
- Tu oses en douter?
- Évidemment.
Le jardinier lâche la main de son ami et croise ses bras sur son torse en prenant un air boudeur. Il bascule légèrement son corps à l'opposé de celui de l'homme se tenant à sa droite.
- Boude paas.
- ...
- T'es un gamin.
- 'Uais
- T'es vraiment un gamin.
- Ça te pose un problème?
- Ah tient, tu t'es réveillé?
- 'Spèce de débile.
- Et toi de gamin !
- Ouais, sauf que moi je l'assume et pas toi.
- Parce que je le suis pas.
- Ouais ouais.
- Tu oses en douter?
- Arrête de m'imiter, tu sais très bien que je déteste ça !
- Arrête de m'imiter, tu sais très bien que je déteste ça !
- Mais arrête, espèce de con !
- Mais arrête, espèce de con !
- MAIS TAIS TOI !
- MAIS TAIS TOI !
- Tu me gonfles.
Le jardinier se relève, époussetant son jean bleu délavé, et s'éloigne avec de longues foulées de son ami, riant aux éclats dans l'herbe, fier de lui. Sa phrase lui parvient aux oreilles, amenée par le vent, et il serre les poings ; ses phalanges blanchissent et ses ongles se plantent dans sa peau. Un faible «désolé» retentit dans le jardin, auquel il répond rageusement en contrôlant difficilement son ton.
- Va te faire.
Le jeune homme entre dans la maison, gravit rapidement les escaliers et fonce vers sa chambre, au fond du long couloir. Il saute sur son lit et écrase avec colère son oreiller sur sa tête ; se retrouvant sur le ventre, la tête bloquée entre le drap et le coussin. Il déteste ça, quand les gens l'imitent ; surtout quand c'est son ami. Ça lui rappelle de mauvais souvenirs, c'était sa soeur qui le faisait à longueur de journée pour l'agacer et il finissait toujours par éclater en pleurs tant elle était persistante, la faisant cesser jusqu'au jour suivant ; ce même schéma se répétant jour après jour.
Une silhouette ne tarde pas à franchir la porte et à venir s'asseoir à ses côtés ; faisant onduler le matelas et grogner le jardinier, le sortant de ses souvenirs affreux par la même occasion.
- Dégage.
- Mec..
- Ouais, je sais, 'désolé'. Je m'en fous.
Un sourire malicieux prend place sur le visage du coupable alors qu'il répète sa phrase en un murmure.
- MAIS DÉGAGE, T'AS PAS FINI? TU ME CASSES LES COUILLES !
Le jardinier bondit sur ses pieds, essuyant avec plus de rage encore les larmes perlant à ses yeux sous le regard désolé de son ami. Sa peine de se sentir trahi par lui, ami si cher à ses yeux, n'a d'égal que sa colère envers ce comportement qu'il qualifie d'odieux et insupportable. Plus que la tristesse provoquée par l'action en elle même, la promesse non-tenue de ne jamais plus le faire de son ami résonne dans sa tête et broie son coeur comme un moulin broierait du blé.
- Par..
- TA GUEULE.
Le jeune homme court en dehors de sa chambre, claquant avec force la porte ; laissant son acolyte assis sur son lit. Il mordille sa lèvre, soupirant longuement. Ses pensées s'échappent de sa bouche, à voix si basse qu'elles semblent disparaître à peine prononcées. Une pointe de remords transperce son coeur, détestant être à l'origine d'une des crise de larmes de son ami. Trop sensible, il n'en faut pas beaucoup pour le blesser et ce n'est pas la première fois qu'il fond en sanglots par sa faute ; il s'en veut toujours autant.
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