2.

Allongé sur son canapé, une tasse de café dans les mains, il se force à se redresser pour avaler le liquide brûlant. Toute force l'a quitté dès que le soleil s'est trouvé à mi-chemin, comme habituellement. Son corps semble las alors qu'il débordait d'énergie à peine vingt minutes plus tôt ; alors, il jardinait au beau milieu de son massif de roses rouges et jaunes, avec quelques exceptions colorées de blanc qu'il aime tant.

Son seul ami, assis sur un simple banc en bois de chêne placé sous un cyprès, regarde son joli jardin. Çà et là, des touffes de fleurs sortent de terre, toujours bien présentées et soignées. Il ne s'est jamais occupé de ça, en réalité il n'aime pas particulièrement gratter la terre, c'est plutôt la passion de son ami. Mais ça n'empêche pas l'homme de lui venir en aide au besoin, et de jouir du paysage si bien taillé sans arrêt.

Non loin de lui, trois ou quatre mètres à l'est de son reposoir, trône un tamaris agité par la brise chaude de ce mois de mai. Ses branches, secouées avec douceur, laissent tomber sur leur passage une multitude de minuscules fleurs qui recouvrent la dalle devançant la maison d'un magnifique tapis fleuri. Le cyprès au dessus de sa tête bouge légèrement, au rythme de ce vent sudiste, sans perdre une seule de ses vertes épines.

Devant ses yeux, un beau prunus s'ouvre en une dizaine de branches, aux feuilles d'un sublime rouge bordeaux, tirant vers le brun clair sans toutefois le devenir. Autour de son tronc, un massif de fleurs bien entretenues se dresse, comptant mille et uns myosotis au milieu de quelques jaunes iris ; sans oublier une fine touffe de fougères resplendissantes.

Au loin, au fond de ce jardin paradisiaque, un grand ceriser pousse entre des centaines d'encolies. Entre ses branches épaisses est suspendue Marie-Louise, pour protéger les cerises de leurs nombreux oiseaux. Cette jeune femme, composée d'un simple chemiser bleu et blanc à carreaux et d'un disque légèrement rayé par les régulières brindilles tombantes, leur est d'une grande aide. A l'autre bout du jardin, surplombant les tomates rouges, Guguss protège le potager. Leurs prénoms ont été trouvés par l'ami du jardinier ; aimant nommer toute chose concrète et habituelle.

Le sol, tout recouvert d'herbe verte et bien taillée, est parsemé de pâquerettes, ou de marguerites, en réalité la différence entre les deux reste inconnue pour le non-jardinier, malgré les nombreuses fois où son ami la lui a expliquée ; tels des flocons de neige sur la pelouse.

Devant la vieille porte d'entrée de la maison, d'un blanc écaillé, un rhododendron blanc aux touches violettes attire tous les bourdons de la région ; une multitude d'entre eux volent de fleur en fleur en s'y posant quelques centièmes de secondes, avant de reprendre leur course au pollen effrénée. Grimpant au dessus de la taille des hommes et se décalant toujours plus sur les côtés, le rhododendron est comparable à un mur de ronces sans épines et les aurait protégés de la vue des voisins s'il y en avait eu.

La maison d'en face, disposée au centre d'un jardin abandonné, est inhabitée. Ses murs sont recouverts de lierre, grimpant jusqu'aux fenêtres et s'engouffrant dans l'étage par le verre brisé. La pelouse au sol monte de plusieurs mètres, plus composée de mauvaise herbe que de brins verts semés exprès. Quelques fleurs pointent leur nez çà et là, recouvertes par la hauteur verdâtre tirant vers le jaune paille avec la sécheresse. Les plus braves des pissenlits ressortent à travers les herbes, leur couleur or si modifiée qu'on les croirait presque blancs crème.

L'homme jonchant sur le canapé aux tons bruns se relève, passe une main dans ses rêches cheveux et pose sa tasse, vide, sur la table placée au milieu du salon. Le bruit de la porcelaine rencontrant le bois brut lui arrache un sourire, ses lèvres s'étirent sans un bruit et embellissent son visage. Il avance de quelques pas, descend la petite marche délimitant la cuisine du séjour et ouvre la porte avec délicatesse. Sortant dehors, ses pieds encore chaussés de chaussons, il respire le doux parfum du rhododendron que le vent fait venir à sa rencontre ; son sourire s'agrandit.

Comme pour célébrer sa venue, une grive se met à chanter, bientôt suivie d'une multitude d'autres oiseaux ; pinsons, moineaux, tourterelles, mésanges et ramiers sifflent leur bonheur à deux jeunes habitants de profonde campagne.

Toujours plus souriant, il rejoint son ami en quelques longues foulées, applatissant l'herbe sous ses semelles ; herbe se redressant à peine quelques secondes après son passage. Il s'assoit à gauche de son ami, qui tourne sa tête vers lui en lui adressant son plus beau sourire. Tous deux regardent en face, dans la direction du prunus. Le vent chaud s'est calmé, plus aucune feuille ne bouge ; le paysage semble figé.

Un soupir de mélancolie résonne dans l'air brûlant de ce milieu d'après midi, suivis de quelques mots las.

- Tu t'en souviens..

- Amarante?

- Oui.

- Oui.

Autrefois majestueux arbre surplombant le chemin de graviers, plus aucune trace de cette créature de dame nature ne subsiste dans le paysage. Pourtant, il semblait immortel ; une tempête avait eu raison de lui. C'était leur arbre préféré, malgré le peu de fruits qu'il produisait. C'était l'arbre qui les avait fait tomber amoureux de cette propriété, qui les avait poussés à la visiter, puis à l'acheter, à quitter la grande métropole la plus proche pour venir y passer le restant de leurs jours. C'était l'arbre qui avait augmenté leur folie des campagnes, qui avait charmé deux jeunes hommes et ce pendant de nombreuses années. Cet arbre avait sauvé la vie au jardinier, une fois, en le rattrapant par le pantalon quand il avait dégringolé de son sommet, un jour attribué à sa coupe.

C'était l'arbre de leur amitié. Aussi étrange que cela puisse paraître, c'est Amarante qui lui avait été attribué. Un nom de belle fleur, symbole d'immortalité, pour qualifier un arbre producteur d'amandes, détruit. Leur réelle amitié avait débuté sous les branches courbées de l'amandier, et ne s'était jamais terminée malgré sa disparition.

Leur chagrin alors n'avait eu d'égal que celui d'une mère perdant son enfant ; celui d'un homme amené à perdre ses valeurs ; celui d'un jeune perdant son seul repère et point d'accroche. Petit à petit, ils avaient échangé leurs larmes par des sourires ; leur peine par de la joie ; leur douleur par de l'espoir. Le temps avait réparé leurs coeurs et les avait refait battre, et ils s'en étaient sortis ensemble haut la main ; comme ils ont depuis triomphé de bien des problèmes. L'espoir avait gonflé leur cage thoracique et même s'ils n'avaient pas l'habitude d'en parler, l'amandier restait comme une épine plantée dans leur coeur ; elle les empêchait d'oublier, elle les rendait parfois mélancoliques mais elle était trop infime pour leur causer de grande douleur.

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