1.
Courant à contre-vent, ses cheveux se faisant décoiffer par la fraîche brise, il s'éloigne de la vieille maison. Légèrement en retrait, d'un pas léger, son ami suit sa trace. L'air doux et pur, sans trace aucune d'humidité orageuse, leur assure un agréable après midi, peut être parsemé de petites bourrasques sans importance ou de deux trois gouttes d'eau.
Les pieds du coureur dévient à gauche, suivant le trajet habituel de la route mal goudronnée, saupoudrée de mauvaises herbes verdâtres et sans grand intérêt, autre que s'immiscer sous le goudron pour former de légères bosses peu agréables pour les conducteurs de voitures et leurs passagers. Les baskets de l'homme, mal attachées, laissent trainer leurs lacets sur le sol au rythme de ses longues foulées.
Vu de loin, la course du premier homme serait agréable, et peut être même qu'avec des jumelles l'on pourrait sourire en voyant la lueur d'attendrissement illuminant le regard de son ami. Seulement, personne n'est assez fou pour sortir quelques secondes de sa zone de confort, même pour aspirer une bouffée d'air frais face à ce joli spectacle. Les faibles probabilités qu'une personne le fasse disparaissent si l'on observe le village perdu au beau milieu des champs, sans trace aucune de connexion internet ni de réseau. Non, vraiment, personne n'irait y vivre.
Personne sauf deux jeunes, tout à fait étranges, s'autorisant des moments en harmonie avec la nature et une vie coupée du monde. Ces deux mêmes jeunes arpentant les chemins dénués de vie de cette profonde campagne ; un grand sourire sublimant leurs visages aux traits lumineux. Le genre de sourire qu'on ne peut avoir que sous les rayons du soleil au beau milieu de nulle part en étant entièrement empli d'une joie et d'un bonheur inexprimables d'une toute autre façon ; le genre de sourire devenu inexistant.
La course effrénée de l'homme s'arrête subitement, devant un près seulement entouré d'une barrière abîmée en bois ; dont le verni est parti depuis maintes années et les fissures se multiplient de jours en jours. Une mine dépitée remplace le grand sourire du garçon, effaçant toute joie. Son regard cherche désespérément une forme dans la parcelle délimitée, tout en sachant d'avance qu'il ne la trouvera pas. Son espoir l'oblige à chercher encore, à regarder encore ; espoir débile, inutile, futile ; espoir humain.
Son ami, sûrement son meilleur ami puisqu'il n'a que lui, pose une main sur son épaule dans le vain espoir de le soulager ; geste tout à fait inutile. Il oblige l'homme à se tourner, d'une pression sur ses épaules. Ce dernier, le regard perdu dans le vague, souffle quelques lettres formant un mot que seul son ami peut comprendre.
- Régal..
Ce n'était même pas la peine pour le jeune d'obliger sa gorge à produire un son, son ami avait compris bien avant. Il ne peut rien y faire et répond simplement un «je sais», inutilement blessant et stupidement idiot. Seulement, c'est les premiers mots venus à son esprit embrouillé et c'est ceux qu'il a prononcé sans se poser plus de questions. Un souffle étranglé passe à nouveau les lèvres de l'homme attristé.
- Pas là..
- Je sais.
Ces mêmes mots, répétés une deuxième fois, toujours aussi stupides, toujours aussi blessants. Non, il ne sait pas tout ce que son ami ressent, toutes les émotions qui traversent son corps ; et c'est un mensonge que de lui faire croire le contraire. Non, il ne sait pas où son ami veut en finir ; il ne connaît pas le fond de sa pensée même s'il a émit des hypothèses plausibles. Non, réellement, il ne sait rien.
- Régal..
Ce mot simple, deux syllabes assemblées et agissant comme un appel à l'aide à quiconque l'entendant. Un appel à l'aide envoyé dans le vide, à côté de son ami ne sachant comment y répondre et restant donc sans réaction. Deux supposés amis, côte à côte, l'un se noyant, l'autre sensible à sa douleur mais restant sur la rive à chercher une bouée pour la lui lancer ; attendant trop pour finir par agir trop tard, comme d'habitude.
- Régal..
Trois fois, trois appels, trois bouées introuvables. Trois mots, six syllabes, aucune aide.
- Régal..
Soudain, une larme apparaît sur la joue de l'homme, bientôt suivie d'une autre puis d'encore quelques unes, jusqu'à former un torrent déchaîné ; retenu trop longtemps par la barrière de ses paupières. Les flots d'eau salée viennent s'écraser sur ses pommettes, comme des vagues brisées sur des rochers.
- C'est rien, ça va aller.
Toujours plus de mots inutiles et mensongers. Ce n'est pas rien ; c'est tout. Rien, ça n'existe pas ; rien c'est une notion stupide, inventée par un con n'arrivant pas à comprendre un concept mille fois plus complexe que rien. Rien, c'est un ensemble ; rien c'est une multitude de choses formant un tout. Même en prenant le mot rien, ce n'est pas rien, puisque c'est rien. Rien reste rien tant que ça n'existe pas, une fois que le mot rien est posé dessus, ça devient quelque chose. En conséquent, rien n'existe pas car il faut penser pour trouver rien et que dès qu'on y pense ça n'est plus rien. Rien est un mot stupide, annonçant le contraire de son sens premier.
Ça ne va pas aller. Ça va aller, c'est la phrase typique d'une personne qui ne connaît pas son destinataire, qui cherche des mots réconfortants et qui ne trouve qu'une suite de mots stupides et plus blessants que réconfortants. Dire ça va aller, c'est mentir en en ayant conscience ; c'est faire croire que ça va s'améliorer sans laisser le doute d'un possible chagrin, sans laisser la possibilité d'être mal. Dire ça va aller, c'est comme annoncer un passage de a à z, sans arrêt sur les autres lettres de l'alphabet. Dire ça va aller, c'est se donner bien trop d'importance, parce qu'au final, ça n'ira que si le concerné parvient à surmonter le problème, et ce n'est pas trois mots à la suite qui l'y aideront. Ça va aller, c'est dire tout ira bien, tu ne souffriras pas, c'est pas grand chose, tu vas t'en sortir sans mal ; alors que c'est faux.
- Quand..?
- Bientôt.
Ça aussi, c'est un mensonge. Bientôt est un concept étrange, seulement compris par l'être humain. En fonction de la personne, bientôt peut correspondre à une infinité de dates exactes. Bientôt, ça n'existe pas ; c'est faire croire qu'on sait sans savoir. Bientôt, c'est dire que ça arrivera sans trop d'attente sans même savoir si c'est vrai ou non. Bientôt, ça donne autant d'espoir que ça en enlève. Bientôt, c'est demain et dans trois ans, c'est dans une heure et dans un siècle. Bientôt, c'est une notion imprécise et inexistante, aux variantes si nombreuses qu'elles en effacent le sens premier du mot.
Sans prêter attention aux idiotes paroles de son ami, l'homme en pleurs prend sa main et entame le chemin du retour, sans bloquer le torrent coulant sur son visage, déjà moins agité. Un dernier regard derrière lui brise son dernier espoir que la silhouette tant recherchée soit apparue, mais ses pas lourds sur le chemin font renaître en lui un espoir inutile et vain, mais impossible à réprimer. L'espoir qui va le tuer le lendemain mais qui lui remonte le moral dans l'immédiat ; l'espoir meurtrier mais intarissable. L'espoir inaliénable et si propre à l'être humain.
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