Chapitre 7 : La Nation des Glaces
Bellamy
-Non mais ça va pas, t'essaies de te faire tuer ou quoi ?!
La silhouette se dégage brusquement de mon étreinte et fait volte-face. À travers l'obscurité de la tour, à laquelle mes prunelles finissent par s'habituer, je distingue péniblement les traits du visage de Clarke ; la jeune fille fronce les sourcils, puis, semblant me reconnaître, ses yeux s'écarquillent et me bombardent d'éclair qui transpercent l'ombre.
-Bellamy ?! Putain, tu m'as fait p...
-Tais-toi, chuchoté-je en lui faisant un geste de la main, pour lui intimer de parler moins fort.
Mais évidemment, c'était sans compter son manque d'éducation désespérant et son caractère insupportable. La blonde s'insurge et sa voix éclate à nouveau dans le couloir :
-Comment ça, tais-toi ? Non mais pour qui est-ce que...
Exaspéré, je souffle, lève les yeux au ciel et plaque une main sur sa bouche pour l'interrompre. Aussitôt, elle la repousse violemment, visiblement vexée comme un pou, tandis que moi, le cœur trépidant, je me penche par-dessus la cloison pour m'assurer que nous ne nous sommes pas faits repérer. Un soupir de soulagement m'échappe en voyant le groupe d'hommes s'éloigner d'un pas ferme. On l'a échappée belle.
-Qu'est-ce que tu fais là ? peste-t-elle dans un souffle, en croisant les bras sur sa poitrine.
Je reporte mon attention sur elle et ne peux m'empêcher d'arquer un sourcil moqueur en l'entendant. Imitant sa posture qui se veut pleine d'assurance, je lui réponds du tac au tac :
-Tu es aussi discrète qu'un sanglier. Sérieusement, je vois vraiment pas comment tu as fait pour survivre jusque là. Mais permets-moi de te retourner la question : qu'est-ce que tu faisais à déambuler comme ça dans la tour, en pleine nuit ?
Mon arrogance la met hors d'elle et moi, je jubile. Elle roule des yeux, à son tour, et ne me répond pas. Tant mieux. Je m'en fous complètement, de toute façon.
Moi, j'étais descendu au temple, pour la première fois depuis un bon moment, et je n'ai pas envie de lui parler ; cette crypte ancestrale datant de Becca Pramheda est le lieu le plus sacré de tout notre territoire. Les guerriers s'y rendent pour prier et demander aux Esprits de les accompagner dans leur combat. Je n'y étais pas allé depuis la dernière bataille. Pourtant, cette nuit, j'avais ressenti le besoin de me replonger dans l'univers mystique et rassurant de ce lieu ; de remplir ma tête des écritures, des peintures ; de revoir la capsule dans laquelle elle était descendue. De m'imprégner de sa puissance. Comme si je sentais que ma force, physique et mentale, avait été affectée et qu'il me fallait une cure.
Mais c'est bien trop long à expliquer et je n'ai ni le temps, ni l'envie d'entendre les remarques provocantes et moqueuses de Clarke. D'ailleurs, je m'aperçois que celle-ci me fixe d'un œil mauvais.
-Quoi ? la questionné-je en haussant les sourcils.
-Je n'avais pas besoin de ton aide, j'aurais très bien pu me débrouiller seule, siffle-t-elle. J'étais sur le point de...
Je ricane silencieusement et les mots meurent sur ses lèvres ; même dans le noir, je crois apercevoir ses joues se teinter de rose. Reprenant mon sérieux, je lui désigne le couloir d'un geste de la main. Elle me regarde, l'air renfrogné.
-De quoi ? De les tuer ? me moqué-je. Crois-moi, tigresse, si je ne t'avais pas attrapée, tu te viderais de ton sang, à l'heure qu'il est.
Elle hausse les épaules, semblant refuser de me croire. Ça ne m'étonne pas.
Ignorant la jeune femme, je dégaine mon épée et m'avance dans le noir, sur les pas des quatre guerriers, essayant de repérer dans quelle section de la Tour nous sommes ; ce qui est sûr, c'est que l'endroit est désert.
Des Azgedas à Polis, et qui plus est en pleine nuit, à l'intérieur de la tour, ce n'est pas normal. J'ai un mauvais pressentiment, et je dois m'assurer que la Commandante est en sécurité.
Mais à peine une seconde plus tard, d'autres pas que je commence à reconnaître résonnent dans mon dos. Je soupire et me retourne vers Clarke.
-Qu'est-ce que tu fous ?
-Je viens avec toi !
-Pas question. Tu me ralentirais.
Au regard qu'elle me lance, je comprends à contrecœur qu'elle ne me lâchera pas. Et vu la situation, je n'ai vraiment pas le temps de tergiverser avec elle. Je suis donc contraint de céder à son caprice. Alors, me remettant en marche, je murmure par-dessus mon épaule d'un ton ferme et sans appel :
-Tu la fermes, tu restes derrière moi et tu ne fais rien tant que je ne te le dis pas.
-Oui, papa.
Nouveau roulement d'yeux. Qu'est-ce que j'ai fait pour avoir un boulet pareil... ? J'avance prudemment, longeant les murs nus de la tour, me guidant grâce aux chandeliers qui projettent une faible lumière sur le sol. Soudain, des éclats de voix me parviennent, au bout du couloir ; je ne comprends pas ce qu'il se dit, mais clairement, il ne s'agit pas d'une discussion cordiale. Je plisse les yeux mais ne distingue rien, alors, instinctivement, mon corps se tend et je me mets à courir, jetant des regards inquiets autour de moi, sentant le corps de Clarke bouger dans mon dos.
Lorsque je distingue des silhouettes s'agiter, à quelques mètres devant moi, je me cache précipitamment derrière un angle et observe discrètement, fébrile. Je tourne la tête vers la jeune blonde accroupie à côté de moi ; sa bouche forme silencieusement la phrase : "Qu'est-ce qui se passe ?" et, soucieux, je hausse les épaules en fronçant les sourcils. C'est vrai, je n'en ai aucune idée, et ça m'inquiète. Le clan de la Nation des Glaces, les Azgedas, ont toujours occupé une position délicate au sein de la coalition ; probablement parce que leur reine est une psychopathe assoiffée de pouvoir et de sang.
Perdu dans mes pensées, je ne remarque pas l'ombre qui se faufile à côté de moi et se dirige dangereusement vers les quatre monstres armés. Quand je reprends mes esprits, je tends le bras précipitamment pour essayer de la retenir.
-Clarke ! soufflé-je.
Mais il est trop tard : Clarke est déjà en danger. Son poignard ridicule en main, elle a bondi, à la manière d'un félin, jusqu'à ces ennemis dont elle ne connaît rien. Quelle imbécile... Elle aurait pu s'en tirer assez bien, si elle n'avait pas trébuché. Lorsque les hommes se retournent sur elle, comme une vague immense s'apprêtant à engloutir une ville, je crois que le même frisson traverse le corps de Clarke et le mien.
-Bon sang, c'est pas vrai..., grincé-je.
Un sourire carnassier se dessine sur les lèvres de la petite troupe d'Azgedas ; Clarke n'est qu'une proie insignifiante, un morceau de chair divertissant à leurs yeux. Ils vont la tuer. Je ne peux pas les laisser faire.
Tout se passe beaucoup trop vite, les silhouettes ne sont que des spectres dont les grognements et les mouvements fendent l'air. Une odeur acre me prend à la gorge. Je me lève en une seconde et, plaqué contre le mur, cherche un angle d'attaque, le cœur battant à tout rompre. Je n'ai pas peur : je me sens dans mon élément. Les hommes ne tardent pas à faire reculer la jeune blonde ; et pourtant, celle-ci ne se rend pas. Ses attaques sont prévisibles, faibles, peu efficaces, mais jamais elle ne se fait toucher. Alors pendant une poignée de secondes, je me perds dans la contemplation de son corps qui se mouve avec habileté, qui esquive la masse d'hommes qui l'encercle pour la tuer. Il y a en elle quelque chose de fascinant, quelque chose qui m'attire indéniablement, et je n'ai toujours pas réussi à trouver dans mon esprit les mots justes pour décrire ce dont il s'agit. Cette fille est une battante. Une guerrière. Le défi le plus palpitant que j'aie jamais eu à affronter.
Alors, quand je la vois projetée à terre et que je l'entends crier, je ne peux faire autrement que me jeter sur ses quatre adversaires. Je me retrouve à mon tour assiégé. Mais moi, j'ai l'habitude. Ce n'est pas la première fois que j'ai l'occasion d'affronter ce genre de lourdauds sans cœur. Ils sont forts, mais je suis rapide. Mon épée se loge dans l'abdomen de l'un d'eux, tranche la gorge de l'autre avant même qu'ils aient le temps de m'asséner un seul coup. Le liquide vermeille sur ma lame flamboie à la faible lueur d'une chandelle. Mais je n'ai pas le temps de reprendre mon souffle : en un instant, la froideur d'une arme sur ma peau laisse place à la chaleur du sang, et une douleur brûlante se propage dans mon bras. Je pousse un grognement furieux et me retourne, l'adrénaline me rendant encore plus agressif, lançant mon épée en avant et transperçant le cœur de mon attaquant, qui s'effondre à mes pieds dans une mare d'hémoglobine, en suffoquant, les yeux révulsés.
Je relève les yeux, mon torse suant se soulevant rapidement, et je sens le sang noir qui pulse dans mes veines se figer une seconde devant la vision qui s'offre à moi : il reste un seul homme.
Et il tient Clarke.
Et il y a une lame sous sa gorge.
Aussitôt, une rage insubmersible monte à l'intérieur de mon être et mon corps se tend, tremblant de colère, tandis que mes yeux fixent l'homme sans ciller. L'esprit alerte, je réfléchis pour essayer de trouver à toute allure la stratégie à adopter. Parce qu'au combat, le corps ne suffit pas : il faut aussi savoir utiliser sa tête.
La voix de Heda résonne alors à l'intérieur de mon crâne : "Il faut parfois que l'un des nôtres soit blessé pour que tout notre peuple soit sauvé".
Ça y est. Je sais quoi faire.
Je sais que ça ne va plaire à personne, alors je prends une grande inspiration pour me préparer... avant de plonger mon épée dans l'épaule de Clarke. Dès que l'acier rencontre la peau, une souffrance insupportable se peint sur le visage de la jeune femme, ses yeux s'écarquillent et elle blêmit, avant de pousser un hurlement effroyable. Et comme je l'avais prévu, la lame atteint le cœur de celui qui la retient captif. Son visage peinturluré de craie blanche se tord sous l'effet de la surprise, de la douleur, et puis il s'écroule, entraînant Clarke dans sa chute, l'écrasant sous son corps puissant expirant dans un gémissement rauque.
Il y a une seconde d'absence, pendant laquelle je reste immobile, perdu, hébété. Et puis je me souviens.
-Clarke...
Je me précipite sur le corps du guerrier Azgeda et le fais péniblement rouler sur le côté, tachant mes mains de son sang rouge en esquissant une grimace de dégoût. Plus délicatement, je saisis la jeune blonde par la taille et la retourne pour voir son visage, essayant d'ignorer la tache sombre au niveau de son épaule gauche. Elle est inconsciente - la douleur a dû lui faire perdre connaissance - et sa peau est livide. Pour la première fois de ma vie, un sentiment désagréable étreint mon cœur : la culpabilité.
Je souffle longuement et, en me remettant sur mes pieds, je prends le corps frêle de Clarke dans mes bras avant de m'éloigner vers l'ascenseur, abandonnant là les quatre cadavres baignant dans leur sang. Mes yeux se posent sur les paupières fermées de Clarke.
-Tu ne peux pas mourir maintenant, tigresse...
A cet instant, j'ignore si ce que je viens de dire, c'est parce que j'éprouve toujours le même besoin inextinguible et foudroyant de prendre sa vie moi-même, ou alors le désir nouveau et chimérique qu'elle vive.
_________________________________
Hey!
Encore beaucoup d'action dans ce chapitre... Je pense que nos deux héros ont mérité le droit de souffler un peu, qu'est-ce que vous en pensez? :) J'espère que vous avez apprécié ce rebondissement. Et dites-moi, vous êtes plutôt Team Clarke, ou Team Bellamy ?
Comme d'hab', faites-moi savoir si ça vous a plu ou non, que ce soit en laissant une petite nétoile ou bien en venant causer avec moi dans les commentaires!
xoxo
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top