Chapitre 19 : Le début de l'enfer

Clarke

Tout mais pas lui...

- Comme on se retrouve, Clarke... Je t'ai manqué ?

La voix d'Hayden retentit en m'arrachant un frisson. Elle est rauque, déformée par la haine et une forme d'euphorie sadique. Le jeune guerrier est méconnaissable, ses traits sont tirés pas le chagrin et sûrement pas les heures passées à s'entrainer pour éviter de penser à la mort de Trisha. J'ai l'impression qu'il est encore plus grand, plus fort, plus menaçant qu'auparavant. C'est donc ça que ça fait, de perdre la personne qu'on aime le plus au monde...

Mais il y a une chose qui me frappe dès qu'il fait son entrée : c'est la lueur assassine qui brille dans ses yeux et qui me transperce de part en part.

À cet instant, je sais que je vais mourir. Qu'il va me réduire en pièces. Son regard assoiffé de vengeance et de sang me donne le sentiment écœurant d'être le gibier d'une partie de chasse. La peur me prend aux tripes et puis, soudainement, cède sa place à un sentiment d'abattement total, comme si la partie était déjà perdue. Pourtant je sais que je ne compte pas me rendre aussi facilement. Je tomberai quand j'aurai épuisé jusqu'à la dernière de mes forces. Si mon destin m'a amenée jusqu'ici, ce n'était pas pour que je disparaisse comme une lâche.

Quoi qu'il arrive, j'assumerai les conséquences de mes actes. Bellamy avait raison, je m'en rends compte maintenant : je n'ai fait que me défendre, et protéger celui que... mon seul allié. C'était une question de vie et de mort. Je ne suis pas un monstre. Mais Hayden, si. Cette lueur dans ses yeux, ce n'est pas moi qui l'ai créée. C'est ce que je me répète tandis qu'il avance vers moi d'un pas lourd, son fourreau claquant contre sa hanche. Je déglutis et m'enfonce de tout mon poids dans mes bottes pour me forcer à ne pas reculer davantage. Je ne veux pas lui montrer que je suis terrorisée.

- Eh bien, tu n'es pas contente de me voir ? continue Hayden sans cesser de se rapprocher de moi.

Les portes se referment sur nous dans un grand fracas. Je suis livrée à moi-même.

Bientôt, il est à ma hauteur, et se met à tournoyer lentement autour de moi en dégainant son épée. Ses yeux ne me lâchent pas une seule seconde. Un vrai rapace. Sa lame glacée et aiguisée remonte jusqu'à ma gorge et je dois lutter pour ne pas tressaillir à ce contact.

- Tu as raison, souffle-t-il.

Du coin de l'oeil, je distingue le sourire plein de haine qui se dessine sur son visage. Ses lèvres tremblent, sans doute lutte-t-il pour ne pas m'égorger.

Je rassemble tout mon courage avant de lâcher en évitant de croiser son regard :

- Ne tourne pas autour du pot. Si tu es venu pour venger la mort de Trisha, fais-le. Battons-nous.

J'espère qu'en le provoquant comme ça, je parviendrai à le déstabiliser, ou à gagner du temps. Dans ma tête, je dresse la liste de mes possibilités. L'amadouer n'est pas une option. Et s'il me provoque en duel, je ne serai clairement pas au niveau pour prendre le dessus. Il s'entraîne depuis des années et moi, je suis encore une novice. Pour me sauver, je n'ai que ma tête et le peu de compétences acquises lors de mes entraînements avec Bellamy.

Je ne bouge pas d'un millimètre, attendant sa réaction.

J'aimerais que Bellamy soit là. Où est-il en ce moment ? Que ferait-il à ma place ? Mon cœur se serre lorsque je repense aux paroles de Costya. Disait-elle la vérité ? Bellamy m'aurait vraiment abandonnée aux mains de ce monstre, après que je lui ai sauvé la vie... ? Je n'arrive pas à y croire, je ne sais plus quoi penser.

C'est pas vrai, me voilà menacée de mort par un type qui fait deux fois ma taille et tout ce à quoi je pense, c'est Bellamy. C'est un comble ! Bellamy ne peut pas m'aider, il faut que j'affronte Hayden et que je reste concentrée jusqu'au bout. Au moindre faux pas, c'est la fin.

Hayden s'immobilise face à moi, son visage près du mien, ses yeux noirs perçants prenant un malin plaisir à me dévisager. Je sens son épée s'enfoncer un peu dans ma peau et je cligne des yeux pour chasser mes larmes. Il fait claquer sa langue en secouant la tête.

- Ça ne m'intéresse pas.
- Pourquoi ? répliqué-je sans ciller.

À ces mots, il range enfin sa lame. Je soupire doucement et m'autorise à faire un pas de côté.

- Parce que contrairement à toi, je ne suis pas un écervelé qui agit en ignorant les règles.

Il marque une pause en trépignant. Des mèches auburn retombent sur son front. Il reprend sa tirade :

- La mort d'un Sang d'Ébène est sacrée. Plus encore que la vie. À ton avis, pourquoi organise-t-on des conclaves ?! crache-t-il en me poussant de ses mains crasseuses.

Je ne me démonte pas, et Hayden renchérit d'un ton laissant transparaître tout le dédain qu'il éprouve à mon égard.

- Heda a été bien trop bonne avec toi, lâche-t-il entre ses dents serrées, ses yeux lançant des éclairs dans ma direction. Tu peux dire merci à ton chevalier servant, il a dû se montrer très convaincant. Sans lui, ta tête serait déjà plantée sur un piquet et c'est moi qui la trimballerais pour que tout le monde puisse la voir.

Je glisse un regard vers la porte, toujours fermée. Qu'est-ce que je pourrais répondre qui apaiserait sa colère ? Rien. Je suis condamnée à subir ses foudres.

- TU N'AVAIS PAS LE DROIT !

Je suis projetée au sol sans avoir le temps de réaliser. Une grimace déforme ma bouche lorsque je sens mon coude amortir la chute. Tremblante, je relève la tête, distinguant la silhouette titanesque d'Hayden à travers mes cheveux emmêlés. Le jeune homme me fixe avec une fureur terrifiante dans les yeux. Des larmes roulent sur ses joues. Ses poings sont si serrés que le sang s'est retiré de ses phalanges. Pour la première fois depuis que je le connais, Hayden a cédé face à son chagrin.

- Je te tuerai au Conclave, sois en certaine. En attendant... bienvenue en enfer.

Et aussi vite qu'il est arrivé, Hayden disparaît en faisant claquer les portes derrière lui. Je reste perplexe, abattue sur les pierres froides.

Plus tard, je profite d'un moment de solitude bienvenu pour me rendre aux écuries. L'endroit est désert... enfin, hormis les chevaux, bien sûr. Je m'avance dans l'allée de box, la paille craquant sous mes pas et son odeur emplissant mes narines. Ici, je me sens bien, en sécurité. Tout est calme.

Je ferme les yeux un instant pour humer le parfum du vieux bois, des céréales, du fumier. J'ai l'impression de me trouver dans un endroit familier.

Les chevaux les plus curieux passent la tête par-dessus leur porte, et m'offrent leur jolie tête à caresser. Au fond de l'écurie, je retrouve avec joie la monture de Bellamy, une grande jument grise qui me laisse enfouir ma tête dans son encolure. Je laisse échapper un long soupir dans ses poils soyeux. Je ne peux plus voir Bellamy, mais j'ai sûrement au moins le droit de fréquenter son cheval !

- Tu es bien la seule personne qui ne me déteste pas ici... soufflé-je tristement en caressant la crinière du cheval, dont l'oeil noir plein de compassion me regarde sans ciller.
- Tu en es certaine ?

Je sursaute et me retourne brusquement vers le couloir.

- Niylah ! m'exclamé-je avec soulagement en me précipitant vers elle.

Sans réfléchir, je la prends dans mes bras et souris en sentant que la jeune femme blonde ne me repousse pas, au contraire. J'avais tellement besoin d'un contact non hostile que je ne me suis pas posé de question.

- Je croyais que tu étais emprisonnée ? Ils t'ont enfin laissée sortir ? demandé-je, intriguée, en m'écartant pour regarder mon amie.

Comme lors de notre rencontre, mon regard est attiré par les cicatrices si particulières qui parcourent son visage, de ses tempes à ses pommettes. Elle m'offre un sourire amical et hoche la tête.

- Oui, j'ai eu droit à un interrogatoire musclé, mais ils ont bien dû reconnaître que je n'avais rien à voir avec l'armée rebelle des Azgedas. Je peux enfin récupérer mon échoppe.
- Je suis tellement contente de te voir ! Il n'est arrivé que des malheurs depuis qu'on s'est quittés... Et maintenant, je suis sous la tutelle d'Hayden.

Niylah ouvre de grands yeux noisette ahuris.

- Le Hayden ? Mais comment c'est arrivé ? Et Bellamy ?!
- La Commandante ne m'a pas donné d'explications. Elle a juste dit que Bellamy ne peut plus être mon mentor.

Je soupire à nouveau et me laisse glisser le long du box pour m'asseoir dans la paille. Je pose ma tête dans mes mains, la mine songeuse.

- Je le comprends, je n'étais qu'une source d'ennuis et une perte de temps.
- Ne dis pas ça, Clarke.
- J'ai tué quelqu'un, je te rappelle ! Et pas n'importe qui..., marmonné-je.
- Oui, parce que tu voulais protéger Bellamy. Il le sait, sinon il ne serait pas venu te libérer des cachots. Cette décision vient forcément de Heda, pas de lui.

Je hausse les épaules, l'air renfrogné.

- Je ne sais pas... Je ne veux pas me faire de faux espoir. De toute façon, je dois apprendre à me débrouiller seule, et je vais avoir du pain sur la planche pour survivre aux tortures de Hayden.
- C'est vrai qu'il n'est pas connu pour sa tendresse... Mais ça ira. Il ne peut pas te tuer en dehors du Conclave, sinon il serait banni, répond Niylah en posant une main sur mon épaule.

Je tourne des yeux écarquillés vers elle et un rire nerveux m'échappe.

- Très rassurant ! Mais oui, tu as raison. Ça ira, répété-je pour essayer de me convaincre.

Je sais que c'est grâce à Bellamy si j'ai pu échapper au châtiment. J'aurais dû être condamnée au bannissement, ou à mort, selon la charte du Conseil. J'ignore ce que Bellamy a dû faire ou sacrifier pour m'éviter ça, et j'ignore s'il a vraiment décidé de couper les ponts avec moi ou s'il ne fait que suivre les ordres mais, quoi qu'il en soit, je n'oublierai jamais ce qu'il a fait pour moi.

- Allez, ne reste pas là à te lamenter sur ton sort. Hayden n'est pas là pour te malmener, alors ce soir, c'est moi ton guide ! lance joyeusement mon amie en me tendant sa main.

J'esquisse un sourire timide et attrape sa main, retrouvant un peu d'espoir devant son enthousiasme contagieux. Niylah m'entraîne hors des écuries et nous nous retrouvons dans la rue. Sans lâcher ma main, elle me conduit entre les passants, les cortèges, les chevaux et les stands. Je me laisse gagner par l'effervescence de la ville, tournant la tête à droite et à gauche pour essayer de grappiller le plus d'images possibles de ce spectacle plein de vie.

Au bout de quelques minutes, Niylah s'arrête enfin net, et je manque me cogner contre elle. Je me redresse et réalise que nous avons traversé le centre-ville de Polis. Nous nous trouvons dans une ruelle presque déserte et bien plus tranquille, bordée de petites maisonnettes de pierres à l'aspect bancal mais accueillant. Niylah me désigne celle devant laquelle nous nous sommes arrêtées, avec une porte d'entrée d'un bleu usé et des parterres de fleurs.

Ses yeux pétillent de malice.

- Bienvenue chez moi !

__________________________________

Les aventures de Clarke et Bellamy ne sont pas finies ❤
Merci à tous ceux qui seront encore là pour suivre cette histoire après tant de temps 🙏🏻

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top