Chapitre 7 partie 2 Amnis

Je pince les lèvres devant ses mots alors qu'une boule se forme doucement dans ma gorge.

– Archiduchesse Liore, pouvez-vous, commence Midas en faisant un geste vers mon frère, bien que celle-ci ne puisse le voir.

Malgré le manque de précision, Liore semble tout à fait comprendre ce que le grand mage attend d'elle. Elle attrape Ester comme s'il était un sac de pomme de terre et sort du salon sous ses protestations.

– Comment... est-ce que je dois procéder, ai-je demandé avec hésitation à grand-oncle Midas alors qu'il prend place près de moi.

– Ton cas est particulier et plus complexe que tous les élèves que j'ai eu par le passé. Cela prendra donc du temps.

Je jette un coup d'œil vers Callidus qui croise les bras et écoute silencieusement.

– Tout d'abord, tu dois prendre une position de méditation, sans quoi, le départ sera plus difficile, m'explique Midas alors que je suis son instruction, croisant les jambes, me tenant le dos droit, les mains sur les genoux, paumes vers le plafond. Tu dois ensuite faire le vide dans ton esprit. Comme tu es quelqu'un de très sentimental, ton énergie intérieure devient aisément chaotique. Techniquement, cela peut s'avérer une bonne chose, mais comme tu es empath, tu es facilement influençable... ce qui te rend vulnérable.

– Empath, ai-je répété avec surprise en clignant plusieurs fois des yeux. Que voulez-vous dire par là, grand-oncle Midas?

– Je vois qu'ils ne t'ont vraiment rien dit, soupire le mage en caressant sa longue barbe blanche. Tu as la capacité de percevoir les émotions d'autrui, ma petite. C'est là une capacité divine dont j'ai appris à posséder, malgré le fait que je ne sois pas un disciple de Luz, le dieu de la lumière. En ce moment, tu n'es pas uniquement surprise, mais aussi perturber par ma révélation. Et bien que les émotions du prince Callidus sont figées par une sorte de croute de glace, je peux voir qu'ils s'agitent et qu'ils cherchent à sortir de leur prison de givre. Tu ne possèdes pas la précognition parce que ton pouvoir divine est plus puissant. Avec cela, tu peux changer ce que ton frère ne peut pas.

– Mais, ai-je commencé en jetant un coup d'œil hésitant vers Callidus. Si ce n'est vraiment pas de la précognition... mes rêves... je... j'ai vu Callidus dans mes rêves... et le roi de Duskstone...

– Ah, fait Midas en fronçant les sourcils tout en continuant de caresser sa barbe. C'est donc cela.

Je l'observe sans comprendre et il ne semble pas vouloir me révéler quoi que ce soit. Je ferme les yeux en réfrénant ma déception, puis me concentre sur un seul élément pour faire le vide dans mon esprit. L'étrange obscurité derrière mes paupières. Il ne me faut pas longtemps avant que de nouvelles pensées défilent dans ma tête. Des messages futiles qui passent d'un à l'autre sans suite logique. Un brouillon de mot qui apparait et disparait comme les lignes d'une carte qu'on dessine et redessine. J'essaie de me reconcentrer, mais mon esprit s'égare encore, tirer vers les profondeurs de ma conscience. Plus je tente de rebrousser chemin, plus je me perds et divague. Mes souvenirs défilent, se mélangent, se dissout comme de la poudre à canon qui finit bruler en un instant.

Je me sens triste.

Apeurer.

Agiter.

Une vague d'émotion accrochée aux souvenirs douloureux, relier un par un par une chaine qu'on ne peut ni briser ni soustraire.

Je ne sens plus mon corps et n'entends pas vraiment les voix qui m'appellent.

Je ne suis que sensation intérieure.

Je n'ai plus conscience de ce qui se passe à l'extérieur de moi.

Tout tourne trop vite.

Trop intense.

Incontrôlable.

Douleur et chagrin ne venaient pas seulement de moi.

C'était l'accumulation d'un tout.

À ce moment-là, malgré leur résolution, père et mère étaient effrayés.

Pour eux.

Pour nous.

Pour l'après.

Et Ester...

Lui aussi... il l'était...

Et pourtant, j'avais cru que cela ne venait que de moi.

Qu'il n'y avait que moi qui avais peur et qui souffrais.

J'éclate en sanglot alors que mon corps se met à trembler violement. Je pousse un couinement alors que ma respiration s'accélère et se dérègle. La main de Callidus se pose sur ma tête et j'entrouvre les yeux en m'agrippant à lui, ma tête posée contre son ventre.

– Il semblerait que tu doives procéder autrement pour te détendre, soupire grand-oncle Midas en caressant de nouveau sa longue barbe blanche.

Je me calme lentement alors que Callidus me caresse les cheveux, un peu comme s'il aspirait mes émotions. J'essuie mes joues humides en rougissant et me dégage de lui sans oser le regarder. De toute manière... il ne me voit pas...

– Ils avaient peur, dis-je tout bas, la gorge nouée, en me cachant le visage entre mes mains. Ils étaient effrayés... j'avais cru que... qu'il n'y avait que moi qui...

– Je vois, dit doucement grand-oncle Midas. La séance n'a donc pas été futile... Bien qu'elle n'ait pas prise la direction à laquelle je m'attendais.

Mon cœur se serre et des larmes me montent de nouveau aux yeux.

J'ai été égoïste de croire qu'ils partaient l'âme en paix... même s'ils n'ont pas souffert... leur mort reste indésirable...

Et tout cela est arrivé à cause du roi de Duskstone.

Parce qu'il veut être le seul maitre du monde.

– Tu es toi-même quelqu'un de très sensible, alors il te sera difficile de distinguer ce qui est tien et ce qui ne l'est pas, continue Midas en jetant un regard vers Callidus. Je me demande si dans ton cas, il faudrait que tu commences par quelque chose de corsée plutôt que quelque chose de simple.

Je jette à mon tour un coup d'œil vers Callidus tout en baissant mes mains, les posant sur mes genoux

 – Vous voulez dire... que j'essaie de distinguer la cage qui bloque les émotions de Callidus?

– Oui, mais pas tout de suite, acquiesce grand-oncle Midas. Tu as besoin de repos et de tranquillité après tant d'énergie émotive. Nous ferons une autre séance plus tard ou demain.

– Très bien, dis-je avec une légère déception qui tire un petit sourire au puissant mage.

Il se lève, me tapote la tête, puis va s'installer sur l'autre divan au moment où Ester revient comme une furie, Liore à quelques pas derrière lui. Les yeux verts de mon frère passent de Callidus à moi et il fronce les sourcils en voyant la courte distance qui nous sépare.

– Tout va bien, dis-je en me levant pour aller le rejoindre.

– Tu as pleuré, dit Ester en me caressant la joue tout en me regardant tristement.

– Désoler, ai-je marmonné en l'enlaçant. Je ne savais pas que toi aussi, tu as eu peur... J'ai été égoïste de penser que j'étais la seule à vouloir que les choses se passent autrement.

– On ne peut pas changer le futur ni le passé, dit Ester en me caressant les cheveux. Père et mère ne pouvaient que se préparer mentalement à ce qui allait arriver. Ils ne t'ont rien dit et n'ont pas voulu que je le fasse, car ils connaissent très bien ton caractère émotif. Tu aurais cherché une solution jusqu'à la dernière minute... tu aurais même mis ta propre vie en danger si je ne t'avais pas empêcher d'agir.

Je pousse un soupir et accote mon front sur son épaule.

– T'ont-ils dit ce que père a vu, ai-je demandé d'une voix nouée. Pourquoi ils... ils étaient...

Ester secoue la tête alors que je me dégage de lui pour le regarder tristement.

– Ils ne m'ont rien révélé de très précis... seulement qu'ils allaient bientôt être tuer et que toi et moi devions suivre leurs assassins sans essayer de les combattre, car se serait inutile. Je leur ai demandé plus de précision, mais ils n'ont rien voulu me dire de plus. Midas semble savoir quelque chose... mais j'ignore s'il nous révèlerait quoique ce soit si je l'interrogeais. Tu sais aussi bien que moi qu'il aime garder un certain mystère.

– Je l'ai questionné par rapport à mes rêves, dis-je en hochant la tête. Mais il m'a dit qu'il ne s'agissait pas de précognition... car je suis empath.

Ester me regarde avec surprise alors que Callidus et Liore s'éloignent de nous pour discuter entre eux.

– C'est pour cela que tu es extrêmement émotive?

– En partie, oui, ai-je acquiescé en jetant un coup d'œil vers les cousins. Grand-oncle Midas a dit que les émotions de Callidus étaient emprisonnées dans une sorte de cage de glace. Qu'il pouvait les voir s'agiter dans l'espoir de sortir. Je serai peut-être un jour capable de faire la part entre mes émotions et ceux des autres.

Ester hoche la tête avant de s'asseoir sur le canapé capitonné pourpre. Il tapote la place à côté de lui pour m'inciter à m'y installer.

– Je sais qu'avec la précognition et la rétrocognition, l'empath est un pouvoir divine puissant, dit mon frère en regardant ses mains comme s'il y voyait quelque chose d'intéressant. Si Midas ne t'a rien dit par rapport à tes rêves... c'est sans aucun doute parce que c'est quelque chose de redoutable... et peut-être même dangereux.

Je secoue la tête en fronçant les sourcils.

Si c'est une capacité périlleuse, grand-oncle Midas ne devrait-il pas plutôt m'aider à le contrôler? Et puis, comment des rêves pourraient nuire à qui que ce soit? À part moi-même... mais cela ne fait que me traumatiser et avoir des sentiments ambigus envers Callidus.

Il m'effraie autant qu'il m'apaise...

Je secoue de nouveau la tête et me souviens d'un détail important.

Je n'ai pas vu Callidus seulement en dormant... je l'ai aussi vu dans une sorte de vision alors que j'étais pleinement réveiller... mais...

Grand-oncle Midas semble persuader que ce n'est pas de la précognition. Est-ce la rétrocognition alors? Cela devrait fonctionner de la même manière que de voir le futur. Ce n'est donc pas voir le passé.

De quoi s'agit-il alors... pour que même un puissant mage comme Midas n'ose rien me dire à ce sujet.

Est-ce le pouvoir offert par la bénédiction du démon?

C'est pour cela qu'il n'a rien dit?

Mais pourquoi?

Quel est exactement cette faculté?

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