Deux jours ont passé depuis que Callidus et Liore ont perdu la vue. Ils ont étonnement bien réussi à ne pas trop se faire remarquer par l'équipage. Nous restons en générale dans le salon. Ce n'est qu'en soirée, quand il commence à avoir plus de monde en pose de travail, que nous retournons dans nos cabines. Liore et moi en occupons une alors qu'Ester, Midas et Callidus sont dans une autre. Ester était insatisfait de cet arrangement, mais c'était la plus logique des solutions.

En ce moment, je tiens dans le creux de mes paumes le Lumen Lotus, accotter contre le canapé capitonné où Ester et grand-oncle Midas discutent des dernières phases de la magie de mon frère.

Callidus et Liore sont debout à quelques pas de moi, les bras croisés et se tenant comme des piliers. Bien qu'ils aient une apparence tout à fait humaine, je les qualifierais plutôt de statue de marbre. Ils sont si rigides qu'on se demanderait s'ils sont réellement vivant.

Je ferme les yeux et me concentre sur la douce chaleur au creux de mes paumes.

Une apaisante énergie traverse mes doigts pour ensuite voguer comme un petit canoë à travers tout mon corps. Mon esprit se détend et ma respiration ralentie pour se faire plus profonde. Une bulle de lumière chaude et douceâtre m'enveloppe comme le cocon d'une chenille en phase de métamorphose. L'énergie qui, en moi, se battait et s'opposait finit par s'apaiser, puis les deux parties semblent entrer dans une sorte de somnolence. Lorsque je réouvre les yeux, je me sens bien et sereine, un peu comme si je venais de sortir d'une baignade dans de l'eau de source.

– Cela fait longtemps que je ne me suis pas senti aussi bien, ai-je marmonné en regardant la sphère luire entre mes mains.

J'eus un sourire triste en me rappelant que j'avais la même sensation de douceur et de clarté lorsque père et mère m'enlaçaient. En pensant à eux, les larmes me montent aux yeux et le déséquilibre de mon énergie intérieur revient en force.

Une tempête survenue soudainement alors qu'il y a un instant, le ciel était complètement limpide. Un tremblement de terre créé par l'agitation du magma. Une turbulence qui ne laisse place qu'au désastre et à la destruction. Un vent chaud et froid qui se fracassent l'une contre l'autre avec l'idée de domination.

Je pince les lèvres alors que mon corps devient soudainement humide de sueur. Une main se pose sur mon épaule avant de se retirer aussitôt. La voix d'Ester qui m'appelle résonne comme un écho lointain. Des murmures presque imperceptibles bourdonnent tel le claquement d'aile des abeilles.

Mes muscles se contractent et je me sens tombée. J'ai chaud un instant, puis froid le moment d'après, tournant dans une boucle infernale qui me prodigue nausée et douleur. J'entends la voix d'Ester, puis celle de grand-oncle Midas qui leur dicte de ne pas me toucher. Je laisse échapper un couinement alors que mon corps tremble en essayant de supporter l'inconfort. Les battements rapides de mon cœur cognent contre ma cage thoracique au point que je me demande s'il ne s'est pas changé en étalon fougueux.

– Qu'est-ce qui se passe avec elle, demande Ester avec un timbre inquiet et discordant. Ces crises n'ont jamais été aussi violentes.

– Son énergie intérieur a toujours comporté deux parties, répond Midas Horta Flender. Il faut qu'elle apprenne à les contrôler pour qu'ils puissent coexister en elle. La petite a été choisie par le dieu et le diable. Dans les deux cas, cela peut lui procurer un très grand pouvoir, mais pour l'atteindre, elle doit en payer le prix... et cela, même si elle ne l'a pas choisi.

J'ouvre difficilement les yeux alors que je me tiens en boule contre le sol. Un frisson glacial me parcourt suivit d'une chaleur suffocante. Une main se met soudainement à me caresser la tête. Je lève lentement les yeux pour voir le visage de marbre de Callidus. Bien que son regard fixe le vide, il semble savoir exactement où poser sa grande main pour détendre mes soubresauts.

– Comment, commence Ester alors que je sens mon corps se décontracter et s'alléger. N'es-tu pas affecté par son énergie?

Je tourne légèrement la tête pour le voir assis près de moi, Midas et Liore debout derrière lui.

– Ma condition est spéciale, répond Callidus en me soulevant pour me mettre tout contre lui.

Il m'encercle la taille d'un bras et se met à jouer avec mes cheveux presque comme s'il en avait l'habitude. Ma tête est posée contre son torse et je peux entendre les lents battements de son cœur. Une douce musique qui m'aide à ralentir ma respiration et à assoupir mes muscles lourds. Ester le regarde avec suspicion, mais il ne dit rien, se retenant sans doute difficilement de passer un commentaire sur le fait qu'il m'enlace étroitement.

– C'est à cause du Lumen Lotus, finit par dire grand-oncle Midas en voyant la sphère dans ma main. Il détend un instant avant d'intensifier la force intérieure du porteur.

– À quoi cela sert exactement, lui demande Ester en tournant son attention vers le grand mage, les sourcils toujours froncés.

Le regard dur que Midas pose sur moi me fais pincer les lèvres et détourner les yeux. Je sais pertinemment ce qu'il va dire.

– Sa principale fonction est la purification et la seconde, c'est d'augmenter la puissance de la source d'énergie intérieur, c'est-à-dire, le Mana. Puisque la reine le lui a offert, la petite devait connaitre cela.

Je sens le regarde de mon frère se poser sur moi, mais je n'ose pas reporter mon attention sur lui.

– Elle a pris un très grand risque en l'utilisant, continue grand-oncle Midas alors que Callidus arrête de me caresser les cheveux. J'avais pourtant bien expliqué à Stilla et Lendus qu'elle devait d'abord contrôler son énergie intérieure avant de pouvoir utiliser une sphère d'accentuation.

– Je... ce... n'était pas volontaire, ai-je bredouillé alors que le puissant mage tend la main vers moi.

J'observe un instant le petit globe avec regret avant de le lui confier.

– Quand tu sauras maitriser ton énergie, je te la rendrai, dit Midas en la rangeant dans une poche intérieure de sa robe de mage, blanche et or. Je tiens à ta sécurité, mon enfant.

Le plus puissant mage de la tour de la capitale de Moonleaf, Midas Horta Flender, est l'oncle de mon père, donc, mon grand-oncle. Techniquement, soixante-deux ans plus tôt, Midas est celui qui aurait dû accéder au trône plutôt que sa sœur, ma grand-mère. Lorsque Midas a décidé qu'il préférait devenir un mage, ma grand-mère était déjà mariée à un cousin éloigné. C'est la raison pour laquelle la famille royale n'est plus au nom des Flender, mais des Livental.

– Merci, dis-je à Callidus en essayant de dégager son bras de ma taille, mais il ne semble pas vouloir me libérer.

Je lève les yeux vers lui alors qu'il baisse les siens au même moment, faisant faire un bon à mon cœur.

– Votre rythme cardiaque ne semble pas s'être calmer, dit-il alors qu'il ne semble pas s'être aperçu de la courte distance entre nos visages.

Je baisse vivement la tête et me fais plus petite entre ses bras.

– Je... je vais bien, ai-je bredouillé en tentant de me lever.

– Je ne crois pas, réplique Callidus en resserrant sa prise sur mon ventre, son souffle chaud chatouillant mon oreille.

Ester le regarde avec consternation alors que je m'empourpre, inhabitée au contact physique avec des hommes autres que père et Ester.

– Qu'est-ce que tu fais à ma sœur, s'exclame mon frère en prenant la grande main de Callidus qui était sur mon ventre, pour m'aider à m'éloigner de lui.

– Son rythme cardiaque est encore irrégulier, répond Callidus alors que je me lève précipitamment pour aller me mettre en boule sur le canapé le plus éloigner d'eux.

– C'est une réaction tout à fait normale, s'emporte Ester en relâchant agressivement la main de Callidus. L'instinct n'est pas une raison valable pour faire ce que tu veux! Tu es un homme et Amnis est encore une jeune fille! N'est-ce pas normale pour une proie de craindre un prédateur!

Le silence se fait, puis Callidus semble me chercher des yeux et, étonnement, même sans sa vue, il semble savoir exactement où je me trouve. Mon ventre se noue et mon cœur bondit alors que ses iris sombres se posent calmement sur moi.

– Vous ai-je mis mal à l'aise, me demande-t-il doucement alors que Midas m'observe avec un petit sourire en coin.

– Bien sûr que si, répond Ester à ma place en se levant d'un bon. N'importe qui le serait dans une telle situation! Entre homme et femme, il faut garder une certaine distance!

– Ah, fait Callidus avec un visage de marbre. Navrer.

– Tu ne sembles pas du tout désoler, grogne Ester en secouant la tête alors que Callidus se lève, le dépassant d'une bonne tête et même un peu plus.

– Navrer de ne pas pouvoir ressentir le moindre remord, contre-attaque platement le prince de Duskstone en passant à côté de mon frère pour venir se planter devant moi. Vous n'avez pas répondu à ma question, princesse. Vous ai-je mis mal à l'aise?

– Je... je ne suis pas habituée à être enlacer par d'autre que ma famille, ai-je bredouillé en croisant et décroisant mes doigts. Donc... je... je l'étais un peu... mais... je... me sentais aussi apaiser par votre contacte... lorsque j'ai perdu le contrôle...

Je lève un regard hésitant vers lui, puis détourne les yeux alors qu'il reste silencieux. Je remarque qu'Ester m'observe en levant un sourcil, comme s'il s'interrogeait sur la véracité de mes mots.

Croit-il que je mente?

Peu importe la teneur de mon malaise, Callidus n'est pas en mesure de le comprendre et j'en ai pleinement conscience. C'est la raison pour laquelle je n'ai nul besoin de lui mentir. Ni maintenant ni à l'avenir... et cela, bien entendu, ira de même avec Liore.

De tout manière, mentir est une mauvaise chose... et n'apportera que des problèmes lorsqu'il sera mis en lumière. La vérité peut faire mal, mais elle le sera toujours moins que la découverte d'un mensonge.

Comment pourrais-je souhaiter que les gens soient honnêtes envers moi si je ne le suis pas moi-même envers eux?

– Je peux vous aider, finit par dire Callidus, me faisant reporter mon attention sur lui. Pour que vous puissiez contrôler votre énergie.

– C'est une bonne idée, dit grand-oncle Midas en souriant largement tout en venant tapoter l'épaule de Callidus.

– Hors de question, s'exclame Ester en fronçant les sourcils. N'avez-vous pas vu ce qu'il vient de faire! Comment pourrait-elle rester concentrer dans une situation pareille! Je refuse qu'il la touche avec les mains qui ont tué nos parents!