Chapitre 2 partie 2 Callidus

Lorsque je tourne à une intersection, Regina Rotenberg et son fils Spes marchent lentement dans ma direction en discutant et en se tenant par la main. Je m'arrête brusquement alors qu'ils me remarquent. Mon petit cousin fronce le nez en voyant mes habits tachés de sang sèche. Ses grands yeux bruns chaud, comme ceux de sa mère, m'observent avec une expression que je n'arrive pas à décrire.

– Votre majesté, dis-je en faisant une révérence. Prince Spes.

Regina me sourit tristement et s'avance vers moi comme si elle avait l'intention de m'enlacer. Je fais un pas vers l'arrière et tends une main pour l'arrêter.

– Vous devriez garder vos distances, votre altesse.

La reine pince les lèvres alors que des larmes lui montent aux yeux. Spes agrippe sa robe violette pour l'inciter à reculer.

– Est-ce qu'un jour je pourrai de nouveau t'entendre m'appeler mère, dit-elle d'une voix brisée en laissant couler quelques gouttes salées sur son visage. Callidus... mon cher fils...

Je contracte légèrement la mâchoire en n'osant pas la regarder dans les yeux. Outre d'avoir volé le trône par la force alors qu'il n'avait que dix-huit ans à l'époque, mon oncle a même contraint ma mère à le marié... et Spes est né de cette souillure. Il est donc autant mon demi-frère que mon cousin.

Je pose mon regard sur lui alors qu'il continue à m'observer. Il a les mêmes cheveux noirs et bouclés que moi, gène qui vient du côté de nos pères.
Dire qu'il n'a que dix ans... j'étais deux ans plus jeune que lui lorsque Malum à assassiner Caesar Rotenberg, mon père.

Nous nous fixons un instant alors qu'il me fait un sourire incertain. Je passe à côté d'eux après m'être incliné bas. Je n'avais que treize ans lorsque mon demi-frère et cousin est né. Dès lors, ma mère ne pouvait pas m'approcher comme bon lui plaisait.

J'étais le sujet d'expérience de Malum...

J'ignore ce qu'il aurait fait si elle s'était mise en travers de sa route. Il dit qu'il l'aime, mais j'en doute fort. Les seules choses qui l'intéressent, c'est le pouvoir et lui-même. Cela a toujours été ainsi.

Du plus loin que je me souviens, il m'a toujours utilisé comme cobaye.
C'est à cause de lui que je ne ressens plus rien... que je suis une coquille vide... une bête sans âme.

Je me demande parfois si je peux encore me considérer comme un être humain.

Je finis par entrer dans ma chambre, petite pièce où il n'y a presque rien. Uniquement le strict minimum. Je retire ma cape et la laisse tomber au sol, puis enlève mon fourreau et ma rapière. Je fais de même avec ma ceinture pour les accrocher sur le présentoir en bois, le deuxième meuble de la salle. À côté de ce dernier, il y a une penderie en bois brute où sont accrochés mes quelques vêtements. En la voyant ainsi, personne ne croirait que c'est la chambre d'un prince.

Je pousse un soupir et marche vers la petite salle adjacente en me débarrassant de mes habits. Je plonge dans le bassin et frissonne à cause de l'eau froide sans pour autant ressentir sa température. Des feuilles de menthe et des pétales de lavande flottent à la surface, formant une toile violette et verte.

Liore a sans doute entendu que j'étais revenu et l'a préparé en sachant que je voudrais me débarrasser de l'odeur du sang. Je ferme les yeux en accotant ma tête sur le rebord en bois.
Ma cousine est prise au piège de la même manière dont je le suis. Liore est la nièce de ma mère. Ces deux parents ont été tués par Malum, car ils étaient les bras droits de mon père. Liore n'avait que six ans à l'époque. Dès ce moment, nous sommes devenus l'unique soutient l'un pour l'autre. Elle a été élevée dans l'environnement froid du palais.
Cela remonte à plusieurs années auparavant, mais je m'en souviens comme si cela datait d'hier.

La voix glaciale de mon oncle.
Les marques de sorts et de runes qui parcourent encore mes bras, mon dos et mon torse. Chacune d'elles sont la preuve des tortures qu'il m'a fait subir jusqu'à mes seize ans, lorsqu'il a encré en moi la rune finale qui m'a transformé en bête sans émotion.
Le toutou du roi.

Je prends une grande inspiration alors que je replonge dans mes lointains souvenirs :
« Il avait fait noir et froid.

Le silence m'avait englobé.

Un épais cocon.

Je m'étais tenu en boule.

Crisper.

Apeurer.

Le néant avait semblé infini autour de moi.

Un grincement avait résonné.

Puis des voix.

Des murmures presque imperceptibles.

Où est-ce que mon oncle m'avait emmené? Était-ce un cachot?

J'avais levé ma main pour me cacher les yeux de la lumière aveuglante qui était soudainement apparue. Quelqu'un s'était penché vers moi. C'était Malum. Son visage de jeune adulte avait été effrayant sous le contraste du clair obscure.

– Qu... qu'est-ce que vous voulez me faire, avais-je bredouillé en me raidissant devant son sourire amusé.

– J'ai appris quelque chose d'intéressant qui est encore plus puissant que la torture physique.

– Que... vous... je ne suis pas un co... cobaye... je... je suis l'unique fils du roi!

– Plus maintenant... mon cher neveu.

Il avait pris une pause alors que ma peur m'avait noué les entrailles, me rappelant comment il avait assassiné mon père devant mes yeux et ceux de ma mère. Son sourire mesquin s'était élargi en voyant mes émotions transparaître sur mon visage de jeune prince.

– Tu ne sortiras pas d'ici avant un long moment, Callidus, Et bien entendu, personne ne viendra te sauver... Pas même Regina.

– Pourquoi, avais-je pleurniché en tendant une main vers lui pour agripper ses vêtements. Pourquoi me faites-vous cela, oncle Malum?

Il s'était dégagé et m'avait regardé de haut avec une expression froide.

– Parce que je hais mon frère! Parce que je veux tout lui prendre! Tout ce qu'il aime, je veux le détruire! Il n'était pas fait pour être l'empereur de Duskstone! Il était trop doux! Trop faible! Un jour, nous nous serions fait piétiner à cause de lui! Est-ce que cette réponse te suffit?

J'avais secoué la tête en laissant mes larmes ruisselées sur mes joues rondes.

– Je ne comprends pas, avais-je murmuré en serrant les poings. Qu'a fait père pour que vous accumulez autant de rancœur envers lui?

– Tu n'as pas besoin de le savoir, m'avait-il répondu avec un regard noir. Tout ce que tu as à faire, mon petit, c'est d'être sage. Tu me remercieras de ne pas t'avoir tué immédiatement... et d'avoir fait de toi ma machine de guerre.

– Que... machine, avais-je balbutié en écartant les yeux de terreur. Mais je n'arrive même pas à bien manier l'épée... Co... comment pourrais-je...

Malum avait eu un sourire effrayant alors qu'il avait fait signe à quelqu'un derrière lui. Le duc Darney s'était avancé près de lui en tenant un plateau, sur lequel il y avait eu un stylet, un encrier et un parchemin jauni, peint de courbe formant une langue ancienne et des runes.

– C'est le premier pas vers le nouveau monde, avait dit Malum en prenant la fine lame. Un univers qui sera uniquement régné par Duskstone.

Il avait trempé la pointe de la petite dague dans l'encre noir avant de me faire un sourire carnassier. J'avais tenté de reculer loin de lui, mais le mur s'était déjà trouvé dans mon dos.

– Ne t'inquiète pas, avait dit Malum d'un ton qui ne m'avait pas rassuré. Tu ne souffriras pas longtemps. Juste... quelques heures.

J'avais mordillé mes lèvres tremblantes alors qu'il avait empoigné rudement mon bras gauche, mon côté dominant. J'avais tenté de m'échapper de son emprise, mais j'étais trop petit et trop faible pour le battre. Malum avait commencé à pourfendre ma chair en marmonnant une sorte d'incantation incompréhensible.

J'avais serré la mâchoire pour ne pas hurler de douleur.

Ma peau avait été à vif.

L'encre s'était mélangée à mon sang.

La brulure avait été si forte qu'hurler à plein poumons n'aurait pas suffi pour l'apaiser. Une rivière salée avait coulé sur mes joues alors que mon souffle s'était fait plus court. J'avais cherché l'air sans parvenir à en trouver. La douleur avait semblé atteindre mes os au moment où Malum finissait sa gravure. Je m'étais tordu dans tous les sens et un cri inhumain était sorti d'entre mes lèvres.

– Cette rune est pour endurcir tes os, m'avait joyeusement expliqué mon oncle en me voyant souffrir. Ils deviendront aussi solide qu'une barre de fer. Je reforgerai d'abord ton corps, puis je m'occuperai ensuite de ton esprit.

Malum s'était penché vers moi pour m'ébouriffer les cheveux avant de se redresser.

– Tu deviendras ma bête, avait-il dit en s'éloignant avec le duc. Mon arme ultime pour conquérir le monde.

Ils avaient disparu, me laissant seul dans le noir, mon corps s'endurcissant contre son gré. »

Je passe une main sur mon visage, puis dans mes cheveux bouclés. J'ouvre lentement les yeux et fixe un instant le plafond bas.

Même si je voudrais ressentir de la haine, je n'y arrive pas... presque comme si tout mon être s'était figé.
Je pose une main sur mon cœur comme si, inconsciemment, je me demandais s'il battait encore. Ses pulsions sont lentes et régulières, presque imperceptible.

Quelqu'un arrive près de moi et je sais, à sa démarche silencieuse, qu'il s'agit de Liore. Je tourne mon attention vers elle alors qu'elle tient un peignoir dans ses bras.

– Je t'ai apporté quelques choses à manger, dit-elle de sa voix basse et neutre en me tendant le vêtement.

Je le prends, puis elle tourne les talons pour sortir alors que je me lève. Je me glisse dans l'épais tissu avant de rejoindre Liore alors qu'elle prépare du thé.

– C'est tout ce qu'on m'a permis de prendre, ajoute ma cousine au moment où je m'installe sur mon lit, à côté d'où elle a placé un plateau contenant du pain, de la viande sèche et une petite grappe de raisin... en plus des deux tasses et d'une théière.

– C'est bon, dis-je en prenant le pain rond pour mordre à pleine dent. C'est mieux que rien. Ce n'est pas comme si nous pouvions encore ressentir la faim.

Liore tente de sourire, mais je vois bien qu'elle essaie de simuler une émotion, car il se fane presque aussitôt.

– Je n'ai encore rien trouver d'utile, me confie ma cousine en me tendant une tasse, faisant référence à la magie qu'elle essaie d'apprendre en secret. Peut-être qu'il n'y a aucune chance pour nous de brisé les sorts. Ou... je n'ai aucun talent en magie.

– Laisse tomber, ai-je marmonné en engloutissant le simple plat, puis en vidant la tasse qu'elle me tendait toujours. Rien ne pourra nous sauver. Pour que je meurs, il faudrait que quelqu'un utilise la lumière divine, stade de la magie blanche presque inatteignable pour de simple mortel. Après cela, Malum pourra être tué.

Liore hoche la tête, puis ressert sa haute couette blonde.

– Nous n'avons pas trouver de puissant mage lorsque nous avons envahi Sunfild... j'étais pourtant sûr qu'ils utilisaient beaucoup la magie.

– Il n'y a qu'à Moonleaf que le peuple l'utilise en tout temps, dis-je en secouant la tête, tout en regardant ses iris brun sombre. C'est l'une des raisons pourquoi ce royaume est le plus grand obstacle pour Malum.

– Nous avons donc plus de chance de trouver un puissant mage là-bas?

Je hoche vaguement la tête avant de me coucher sur le lit presque trop petit pour moi. Liore prend le plateau et sors silencieusement de ma chambre.

Même si nous pouvions ressentir de l'espoir, nous savons tous les deux que nous n'en possèderions pas beaucoup. Chaque chose que Malum me faisait subir, il le faisait ensuite sur Liore en voyant le succès à travers moi. L'unique chose qui nous différencie, c'est que je ne suis pas seulement l'épée de sa majesté, mais aussi son bouclier. Si mon oncle est tué, il n'y a que moi qui mourra... mais comme je l'ai dit, seule la lumière divine peut causer ma mort.

Les autres sorts ou les armes ne le peuvent pas. C'est ça manière de se protéger contre d'éventuel assassinat. Tant que je ne meurs pas, le roi ne mourra pas. C'est le cycle vicieux auquel il a longuement réfléchi.
Je ferme les yeux en espérant enfin trouver quelqu'un qui pourra m'achever. Le moment venu, Liore pourra tuer Malum... ainsi, tout le monde sera libéré de lui. Regina règnera ensuite le temps que Spes devienne assez âgé pour être couronné roi.

C'est la reine qui l'a élevé, alors que je sais qu'il sera un bon empereur... du moins, si nous arrivons à achever notre but avant que Malum décide de graver des sorts sur son propre fils... pour qu'il devienne comme Liore et moi... sans une once d'émotion... régnant seulement en suivant des principes... qui ne sont pas toujours moraux.


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