Chapitre 19 partie 2 Amnis
En tournant dans un couloir, je percute presque le prince Spes qui lit tout autant. Nous sursautons tous les deux avant de nous observer un moment, puis d'éclater de rire devant la situation.
– Qu'est-ce que tu lis. Lui ai-je demandé en m'essuyant le coin des yeux.
– Les théories de Solange Brunch sur l'écosphère, l'anthropologie et l'astronomie. Ils sont regroupés en un seul volume.
Je le regarde, surprise, alors qu'il me tend l'ouvrage des études de Brunch.
– Tu lis ce genre de chose à ton âge, ai-je lâché en me rappelant qu'il a à peine dix ans.
– C'est plus intéressant que les livres que mon précepteur me donne à étudier, répond-t-il en haussant les épaules. Ceux-là sont tellement simple qu'ils en sont ennuyants.
Je ris en entendant ses mots. Il y a six ans, au contraire de lui, je passais mon temps à importuner nos domestiques. Comme je n'avais pas beaucoup d'occupation et que j'étais restreinte dans d'innombrable de chose, je passais le plus clair de mon temps à parler avec nos employés et à les observer aux travails. Je me retrouvais surtout avec nos chefs cuisiniers qui finissaient par m'offrir une gourmandise. Un sourire nostalgique flotte sur mes lèvres alors que je redonne le volume à Spes.
– Tu veux connaitre la langue ancienne de Duskstone, m'interroge le jeune prince en pointant ce que j'ai en main.
– Je m'intéresse surtout aux différences de chaque royaume, ai-je acquiescé avant de lui tapoter la tête. Je pense que c'est important pour mieux connaitre et comprendre les autres.
Il grimace devant mon geste, ce qui me tire un sourire.
– J'imagine que tu allais voir la reine, dis-je en faisant un geste vers le couloir derrière moi alors que les deux grandes portes menant au reste du château se trouve à plusieurs pas derrière lui, après un couloir qui tourne sur la droite.
– Je vais toujours la rejoindre après mes cours, me répond Spes en hochant la tête. Il semblerait qu'elle ne fasse plus beaucoup de chose depuis que mon père est devenu l'empereur.
Je pince les lèvres et hésite un instant à le questionner sur sa relation avec Malum. Spes dû le comprendre, car il eut un sourire triste.
– Il ne s'intéresse pas à moi, si c'est cela que tu veux savoir. Depuis ma naissance, nous ne nous sommes jamais vraiment parlé... à moins qu'il jugeât cela nécessaire.
– Callidus, Liore et toi n'avez pas vécu dans un monde chaleureux, ai-je platement constaté alors qu'une part de sa tristesse devient la mienne.
– Au moins, j'ai toujours ma mère, contrairement à ma cousine. Elle ne se souvient même pas à quoi ressemblaient ses parents. On m'a dit qu'ils ont été tués par mon père quand Liore n'avait que six ans. Son père était le frère ainé de ma mère... et il était un bon ami au père de Callidus, mon oncle.
Vu ce qu'il vient de dire et de ce que je sais de Malum, il semblerait qu'il n'a aucun intérêt ni aucunes émotions amoureuses à l'égard de la reine... ce qui veut dire qu'une seule chose. Il la fait sienne par vengeance... et il utilise Callidus et Liore pour la même raison. En revanche, je ne vois absolument pas ce qui l'aurait poussé vers des actions aussi extrêmes.
Qu'a fait l'ancien roi de Duskstone pour pousser son cadet à le haïr autant?
Spes me salue d'un signe de tête avant de se rendre, sans doute, jusqu'au salon privé de la reine. Je le regarde un moment s'éloigner avant de me diriger vers les quartiers que l'on m'a assignés, une semaine plus tôt.
Cela me fait toujours étrange de parcourir ses couloirs silencieux. Personne ne parle. Les domestiques se contentent de faire leurs tâches et, lorsque je passe près d'eux, je leur souris et les salue, mais ils ne font que me fixer.
C'est tout le contraire de Moonleaf. On ne voyait jamais quelqu'un aussi... froid. Dès que deux individus étaient ensemble, peu importe le poste, il était impossible de ne pas les voir discuter avec entrain.
Je pousse un soupir et entre dans la chambre que j'utilise depuis mon arriver. La pièce est vaste et possèdes de grandes fenêtres qui donnent sur un lac et quelques collines. Les rideaux vaporeux sont rouge corail et brodés de fils d'argent. Dans un coin, il y a un grand tapis à fourrure, deux causeuses placées en « L » et une table basse fait en bois sombre. À l'opposer, il y a un lit baldaquin dont les couvertures sont rouge bourgogne. Une large table de travail a été posé devant les fenêtres, où sont empilés les quelques ouvrages que je me suis mise à étudier. Une porte près du lit mène à une salle de bain et à côté, une autre donne accès à une spacieuse penderie.
Je marche vers la grande table, puis dépose le bouquin que j'ai en main sur les autres qui y sont déjà. Je pose une main contre l'un des carreaux d'une fenêtre et ressens aussitôt la légère froideur de l'extérieur qui annonce l'arriver de l'hivers. Quelques flacons tombent doucement, comme pour renforcir le changement de saison.
Selon mes connaissances, Sunfild et Dawnrold sont les endroits où l'on retrouve le plus de neige. L'hivers à la capitale de Moonleaf est généralement doux et il neige rarement. J'imagine que Duskstone n'est pas bien différent.
Mes pensées dérivent vers Callidus, comme si son absence renforçait mon envie de le voir alors que mon âme le rejoint chaque soir. Il y a une chose que j'ai remarqué par rapport à cette capacité. Il est plus facile de sortir de mon corps lorsque je dors. J'ai tenté à plusieurs reprisent de rejoindre Callidus en restant consciente, en vain chaque fois. C'est presque comme si le magnétisme parlait de lui... qu'il est le fer et je suis l'aimant. Je me demande comment c'était pour mon arrière-grand-père, le père de Midas. C'était sans doute grâce au dieu de la sagesse, Wise, que mon grand-oncle savait par rapport à ce pouvoir.
Quelque chose d'épais, à la fois humide et frais, se manifeste près de moi et je sais, sans même regarder, qu'il s'agit de la divinité des ténèbres, Noche. Depuis ma toute première confrontation avec l'empereur de Duskstone, il est quelque fois arrivé que le dieu de la nuit vienne me voir.
– Pour quelle raison absurde êtes-vous ici, lui ai-je demandé en tournant mon attention vers lui alors que ses lèvres s'étirent en un sourire provocateur.
– Je ne fais rien de bien méchant, ma chère, déclare Noche alors que ses longs cheveux noirs dansent autour de son visage pâle. Ma présence ici est toujours la même.
Je vais m'asseoir sur le bord du lit alors qu'il me rejoint en flottant.
– Je vous ai déjà dit que je ne souhaite aucunement renforcir le pouvoir des ténèbres qui coulent en moi.
– Tu en auras pourtant besoin... et l'une des raisons se trouvent déjà derrière la porte de ta chambre, ma chérie, divulgue le dieu de la nuit en faisant un geste vers celle-ci.
Je tourne mon attention vers l'endroit qu'il indique alors que Malum entre sans mon consentement. Je me lève précipitamment et m'incline rapidement en me demandant pourquoi il est là. N'avions-nous pas terminé notre conversation?
– Que me vaut votre visite, majesté, lui ai-je demandé en reculant d'un pas alors qu'il s'approche lentement de moi.
De tous les endroits, j'aurais préféré qu'il ne mette jamais les pieds ici... mais étant donné la position qu'il souhaite m'imposer, il est inévitable que l'empereur de Duskstone vienne à ma rencontre dans une telle pièce. Malum sourit en voyant que je me tiens raide, sur mes gardes.
– Je ne t'ai toujours pas dit la véritable raison pour laquelle je te garde en vie, ma jolie.
Il fait un pas vers moi et m'empoigne agressivement le bras pour m'empêcher de m'éloigner de lui. Malum se penche et son souffle chaud vient désagréablement chatouiller mon oreille.
– Ton intérêt ne va pas que dans un sens, petite brebis. J'ai vu mon neveu grandir. Je sais lire ses expressions même sur son visage de marbre.
L'empereur rapproche ses lèvres de mon oreille, presque à la frôler.
– L'illusion de Matar ne marche que si la personne veut y croire. Callidus et Liore se sont techniquement eux-mêmes emprisonnées dans l'indifférence... pour eux, c'était leur seule protection.
Malum me serre tellement fort le bras que je suis sûr qu'on pourrait y voir la trace de ses doigts.
– Vous... torturiez des enfants, ai-je marmonné en pinçant les lèvres pour ne pas trembler, autant de peur que de douleur.
Malum me propulse sur le lit avant d'emprisonner mes deux poignets avec l'une de ses mains. Noche, près de nous, se contente d'observer la scène avec un petit sourire, comme si son expression voulait dire : « Tôt ou tard, tu auras besoin de moi. ».
Je me mordille la lèvre inférieure alors que l'effroi grandit en moi. Le monarque semble le remarquer, car un sourire malsain étire les siennes.
– Je veux détruire tout ce qui a un lien avec lui, commence Malum en rapprochant dangereusement son visage du mien. Et comme Callidus est son fils... et que mon très cher neveu c'est pris d'affection pour toi, sans même le savoir... il aura sauvé ton corps de la mort, mais pas ton âme qui le souhaitera.
Je me mets à trembler en sachant pertinemment ce que ses mots cachent réellement... surtout en sachant qu'il veut me prendre comme concubine.
Si je ne fais rien, il me volera complètement mon innocence par un corps à corps.
Je ne peux pas le laisser faire... mais ma force physique est trop faible...
Je...
Je ne peux pas le vaincre...
Je...
Je dois...
Noche!
Noche peut m'aider!
Mais il reste là.
Attendant que je fasse silencieusement appel à son pouvoir qui sommeille en moi.
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