Chapitre 15 partie 2 Amnis

Je me tourne doucement vers lui et plonge aussitôt dans le néant de ses prunelles. Je lui souris avec hésitation alors qu'il sort quelque chose d'une des poches de son gilet.

– Midas m'a demandé de vous remettre ceci.

Je baisse les yeux pour constater qu'il me tend un collier de perte et de coquillage dont celui du centre fait presque mes deux mains. Je le prends avec précaution avant de le passer autour de mon cou.

– Votre sphère est à l'intérieur, m'apprend-t-il alors que j'observe avec curiosité le grand coquillage qui descend sur ma poitrine.

Je l'ouvre doucement pour voir le Lumen Lotus à l'intérieur.

– Mais pourquoi est-ce que, ai-je commencé avant de comprendre.

Grand-oncle Midas ne viendra pas au château avec nous. Me redonner le Lumen Lotus est sans doute sa manière de me protéger, même s'il n'est pas avec moi. Je reporte mon attention sur Vanésia tout en cachant le collier sous mes vêtements. J'ai la sensation que je devrais garder secret le fait que je suis en apprentissage de la magie du feu. Vanésia pense que je suis inapte à quoi que ce soit. Tant et aussi longtemps que le roi de Duskstone pense que je suis comme un bébé lapin, tant qu'il croit que je suis faible, j'aurai peut-être une chance de le prendre au dépourvu. Je baisse les yeux sur mes mains en sachant pertinemment que je vois grand et que je le sous-estime un peu trop. Être devant lui en chair et en os sera complètement différent du fait d'y être que par esprit. Je frissonne malgré moi en repensant aux tortures qu'il a infligées à Callidus.

– Avez-vous froid, me demande celui-ci alors que la chaleur de son souffle vient chatouiller mon oreille.

Je secoue la tête en pinçant les lèvres alors que mes joues s'empourprent.

– Je... me suis souvenue de quelque chose de désagréable, ai-je bredouillé alors qu'il rapproche ses bras plus près de moi.

Je le sens se crisper, puis je tourne la tête pour voir sa mâchoire légèrement contractée, seul signe que mes mots l'ont fait réagir.

– Est-ce qu'au fond, vous m'en voulez, me demande Callidus en fixant devant nous. Si vous voulez vous venger et me tuer, je n'aurais rien contre.

Je l'observe avec surprise alors qu'il baisse lentement les yeux vers moi. Je lui souris tristement avant de reporter mon attention vers l'avant.

– Au début, je ne cacherai pas que vous m'effrayez, ai-je avoué en caressant doucement la crinière de notre monture complètement noire. Mais plus maintenant. C'est... enfin, encore un peu, à vrai dire... mais je n'ai jamais pensé ou même souhaiter votre mort. Ni à vous ni à Liore. Ni à...

Je reste un instant silencieuse avant de secouer la tête.

– À vrai dire, il n'y a qu'à votre souverain que j'en veux réellement... et pas seulement à cause du décès de mes parents.

Je reporte mon attention sur Callidus qui m'observe avec calme et indifférence, son corps plus détendu.

– Je lui en veux pour ce qu'il vous a fait subir, à vous et à Liore... mais... je me demande s'il n'y a pas une raison qui l'a poussé dans cette voie. Je suis portée à croire que tout être nait lumière... et que c'est le temps et les évènements que chaque individu vit qui les assombrisse.

– C'est sans doute pour cela que le dieu du jour, Luz, vous a choisi, murmure Callidus d'une voix à peine perceptible. Vous êtes aussi pure que moi je suis ténèbres.

Je pose mes mains sur les siennes dans l'espoir de lui offrir un peu de réconfort alors qu'il tient fermement les rênes. Soudainement, je sens ses lèvres se presser sur le haut de ma tempe. Mes joues s'empourprent alors que je me demande ce qui lui prend.

– Ce n'est pas votre faute, ai-je bredouillé en frissonnant alors que je sens de nouveau ses lèvres près de mon oreille. Vous vivez et agissez sans vraiment savoir ce que vous faites et pourquoi vous le faites. Un... peu... comme... en ce moment j'imagine.

Callidus se dégage subitement, comme si sa raison avait brusquement repris le contrôle de son corps.

– Je ferais attention, dit-il alors qu'il semble se reculer le plus loin possible de moi.

Je vais pour lui dire que cela ne me dérange pas spécialement, mais pour une raison que j'ignore, je me retiens alors qu'Ison et Midas, sur la même monture, arrivent à notre droite. Le premier lance un regard noir à Callidus avant de me faire un sourire rayonnant.

– C'est la première fois que tu montes à cheval, n'est-ce pas, me demande Ison alors qu'Ester et Liore apparaissent à notre gauche.

– Il y a beaucoup de chose qu'on m'interdisait de faire, ai-je acquiescé avant de baisser mes yeux sur mes mains qui caressent de nouveaux le cheval.

Quand j'y repense, à part lire et collectionner des bibelots, je ne faisais pas grand-chose. Il m'arrivait de peindre, de jouer et composer des partitions au piano, mais ce n'étaient pas des choses qui m'intéressaient spécialement. J'ai passé la plus grande partie de ma vie dans ma chambre, à la bibliothèque royale ou à arpenter les couloirs en observant les employés à la tâche.

– Amnis sortait rarement en dehors du château, ajoute mon frère qui est assis devant Liore, étant donné qu'il est plus petit qu'elle de plusieurs centimètres. C'est pour ça que son teint est aussi blanc.

– Mon seul mérite est d'être cultivé, dis-je avec un petit rire en jouant avec mes doigts. Je connais l'histoire de chaque royaume... depuis les tous premiers écrits aux derniers évènements de cette année.

– Tu connais même l'histoire de Duskstone, s'étonne Ison qui ressert sa prise sur les rênes de son étalon blanc alors que grand-oncle Midas gigotte un peu derrière lui.

– La plupart des ouvrages disent qu'il s'agit d'un royaume de barbare depuis des siècles. C'est le seul royaume où il y a eu des régicides à presque chaque quarante ou cinquante ans. Il y a aussi eu beaucoup de conflit interne et de guerre civile qui ont causé énormément de mort.

– Comme c'est rassurant, grimace Ester en entendant mes mots.

– Il n'y en a pas présentement, l'ai-je rassuré en souriant devant sa réaction. L'ancien souverain avait mis en place une loi qui donnerait la peine de mort à quiconque tenterait de commencer une révolte. Et il y a une autre qui dit que si un individu cause un problème à grand échelle, il sera emprisonné pendant dix ans.

– Mon père avait mis en place ces lois pour éviter les conflits. Il n'a jamais approuvé la violence.

Je pince les lèvres en essayant de m'imaginer la réaction qu'aurait pu avoir son père s'il le voyait aujourd'hui.

Serait-il déçu?

Serait-il rebuté?

Aurait-il pitié de lui?

Comprendrait-il que son fils ne peut pas faire autrement?

Qu'il est prisonnier dans sa nature de bête.

Je me demande si Callidus lui aurait ressemblé s'il avait pu ressentir quelque chose.

Je jette un regard vers celui-ci alors qu'il baisse les yeux vers moi au même moment. Nous nous observons un instant avant que la voix d'Ison me fasse sursauter.

– Et bien entendu, votre empereur ne va pas changer cette loi, puisqu'il aime la violence, grogne le prince de Sunfild avec une expression de dégoût.

– Il... fait des exécutions publiques, leur ai-je appris en pinçant les lèvres, me rappelant qu'il utilise Callidus pour jouer aux bourreaux. Et il se réjouit des tortures et des tourments.

– Tu, commence Ester en fronçant les sourcils, puis en me regardant avec tristesse. Tu as même dû endurer cela.

– J'ai assisté à toutes sortes d'atrocité, cher frère, ai-je avoué avec un sourire triste. Pire que ce que tu peux imaginer...

– Est-ce que cela l'inclue, me questionne Ester en jetant un regard vers Callidus. Cet homme.

– Cela tourne toujours autour de lui, lui ai-je répondu comme si nous parlions de quelqu'un d'autre alors que l'homme en question est juste derrière moi.

Je me souviens nettement de cette fois où le monarque de Duskstone torturait Callidus à coup de chalumeau... et les fois où il tirait des flèches sur lui pour voir à quel point son corps pouvait être blesser sans le tuer. Je ferme fortement les yeux en tentant de chasser ses horreurs de mes pensées, mais rien n'y fait.

Je ne pourrais même plus compter les fois où Callidus aurait dû mourir. Il ne perdrait même pas sa tête même si on essayait de la couper. Même son cœur de fer ne peut pas se faire percer. Je me demande si c'est à cause de cela qu'il n'a plus aucune émotion... ou si c'est simplement à cause d'une des runes qui parcourt son corps.

Nous sortons de la forêt alors que nos montures trottinent calmement en suivant la courbe des collines qui surplombent la vaste plaine. Un peu plus loin, une famille de Tähti Vixen, si je me souviens bien, nous observent avant de se sauver en courant. Il s'agit de renard au pelage entièrement doré et lumineux. Si je me rappelle bien, il est courant d'en voir à Sunfild. Il est même utilisé comme emblème pour la famille royale, avec un soleil qui l'entoure et un drapeau complètement doré. Celui de Moonleaf est représenté par un Jää Tiikeri, un tigre de glace, avec une feuille derrière et une lune, plus un drapeau bleu clair. Pour Duskstone, c'est un Susi (un loup) avec un drapeau rouge et noir et pour Dawnrold, c'est un Hiekka Kani (un lapin des sables) avec un drapeau ivoire et gris.

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