Je sais, sans même qu'il ait à le dire, qu'il fait référence à Callidus. Il sait pour mes visions et je sais qu'il juge que je fais trop facilement confiance aux autres. Je ne peux pas le nier, car j'en ai parfaitement conscience... mais c'est dure de considérer Callidus comme quelqu'un de foncièrement mauvais et dangereux en sachant pour qu'elle raison il agit ainsi. Même malgré ses actions immorales, je n'arrive pas à le voir autrement que comme une marionnette. Comment pourrais-je pensé différemment alors que depuis le tout début, mon âme s'est toujours réfugiée auprès de lui... avant même d'être consciente de mes propres réflexions.

– Il est quelqu'un qui a énormément souffert, ai-je marmonné, le regard dans le vague, alors que je me remémore toutes les scènes atroces de son enfance. Il n'a pas choisi d'être qui il est et comment il est. S'il venait à me tuer, je pourrais lui pardonner en sachant qu'il le ferait contre son gré. Je suis sûr qu'il n'a jamais pensé un instant que tuer est une chose agréable et que, s'il pouvait, il en prendrait grandement plaisir.

Ison m'observe en fronçant les sourcils, se demandant sans doute comment je peux parler de lui ainsi alors que je ne le connais pas vraiment.

– J'ai... toujours eu des visions de lui, ai-je expliqué alors que mon cœur se serre rien qu'en pensant à tout ce que Callidus a vécu. Plus précisément. Mon âme l'accompagnait dans les moments les plus noirs de son enfance. Ça à commencer quand j'avais à peine un an et quelques mois, je crois.

Je lui jette un coup d'œil alors qu'Ison m'observe, choqué par cette révélation. Il eut un air triste pendant un moment, puis blesser, avant que son expression s'assombrie et que son visage montre une froideur qui me donne un frisson désagréable.

– Pourquoi lui, articule Ison d'un ton dur, la mâchoire contractée, comme s'il connaissait déjà la raison alors que moi-même, je l'ignore. Je t'aurais accueilli à bras ouvert. Il n'y aurait jamais eu de tel complication. Tu aurais vécu dans la lumière et l'abondance.

Ces mots que je rêvais tant d'entendre dans d'autre circonstance me laisse présentement une sensation déplaisante. Cela me donne l'impression d'être un objet de grande valeur et non une personne possédant un cœur et une raison.

Je me souviens d'avoir été submergé par sa beauté solaire et l'aura éblouissante qu'il dégageait. Quand je lui avais adressé la parole pour la première fois, le prince Ison m'avait semblé doux et distingué... en outre, un vrai gentleman... mais ce n'était qu'une facette de lui parmi tant d'autre plus violente et plus laide. J'ai conscience que j'idéalise à tort les gens que je rencontre. Peut-être même que, s'ils pouvaient ressentir quelque chose, Callidus et Liore prendraient du plaisir à la brutalité. Je porte à croire que ce n'est pas le cas... mais je ne peux pas savoir ce qui se passe dans leur esprit.

– Nous arrivons bientôt, dit Ison qui, sans que j'en ai eu conscience, s'est retrouvé en tête de notre escouade. Je dirais... dans moins d'une heure, tout au plus.

Je lève les yeux vers le ciel nuageux et le soleil en déclin avant de jeter un coup d'œil derrière moi, comme si je m'attendais à y voir Callidus et Liore. Je pousse un soupir et marche plus rapidement pour rejoindre Ester et Midas.

À quoi est-ce que je m'attendais?

À ce qu'ils apparaissent comme par magie?

Liore est gravement blessée et je doute qu'elle puisse marcher. Callidus est peut-être même resté avec elle. Il ne semble pas très amical au premier abord, mais je suis sûr qu'en vrai, il se soucie des autres. Du moins... je veux y croire.

Les habitants de Duskstone ne sont surement pas tous aussi désagréable et violent que ce que les rumeurs et les ouvrages disent sur leur compte... comme ce n'est pas tout le monde à Moonleaf et Sunfild qui est bienveillant et distinguer. C'est une réalité que je connais... et je sais que nous ne pouvons pas juger qu'une personne est tout blanc ou tout noir... peu importe d'où elle vient. Je sais qu'Ester pense que je suis naïve de croire qu'il y a une part de bon dans chaque personne. Moi, je pense qu'il y a toujours une raison qui pousse les gens à se rebeller et à se tourner vers le mal. Dans certain cas... c'est contre leur propre contrôle.

Je baisse les yeux vers le sol rocailleux, puis observe mes petites mains qui me renvoient ma fragilité. Grand-oncle Midas a dit que je suis celle qui pourra aider Callidus à traverser certaines épreuves... mais si nous atteignons Sunfild avant qu'il nous retrouve... est-ce que l'avenir sera le même?

Midas a dit que ceux qui sont empath peuvent changer ce que les possesseurs de la précognition ne peuvent pas. Est-ce que cela veut dire que je pourrais influencer les décisions d'autrui en sachant trouver les bons mots? Puisque je comprends leurs émotions du moment?

Je secoue la tête et fronce les sourcils.

Comment pourrait-on changer quelque chose qui est destinée à arriver?

Si cela ne survient pas, c'est que ce n'était pas dû à se produire, c'est aussi simple que cela. Il existe mille et un chemin, mais pour mille et une raison, le trajet que l'on prend reste tout de même la destinée, non?

Notre décision finale est ce qu'elle est. Ce n'est pas parce que quelqu'un s'infiltre près de nous pour nous conseiller qu'il est sûr à cent pour cent que notre choix sera influencé par cette personne.

Être réceptif aux émotions des autres ne fait pas tout. La manière d'y répondre aura aussi un grand impacte... ou peut-être qu'il n'y aura aucune influence...

Alors que je suis complètement plongée dans mes pensées, je percute le dos de mon frère ainé qui s'est subitement arrêté.

– Qu'est-ce qu'il y a, lui ai-je demandé en levant les yeux vers lui tout en lui touchant doucement le coude.

Son silence me fait froncer les sourcils avant que je ne reporte mon attention sur Midas qui se tient près de lui. Il caresse sa longue barbe blanche comme s'il réfléchissait soudainement à une question épineuse. Je regarde devant eux pour voir Ison tout aussi raide, les poings serrés.

Plus loin, trois silhouettes élancées avancent vers nous. Je plisse les yeux et marche pour rejoindre le premier prince de Sunfild.

– As-tu déjà envoyé un signal, lui ai-je demandé en essayant de voir le visage des personnes qui marchent vers nous.

Son silence attire mon attention sur lui et sa mine sombre répond d'elle-même à ma question.

Il ne connait pas les gens qui viennent à notre rencontre.

– Amnis, marmonne Ison d'une voix dure. Recule derrière Ester et Midas.

Il me pousse derrière lui comme s'il s'attendait à tout moment à ce que les inconnues nous attaquent.

– Nous devrions d'abord, ai-je commencé avant de me figer sur place alors que je regarde par-dessus l'épaule d'Ison.

L'individu en tête est un homme. Grand. Costaud. Étrangement familier. Ses traits se font plus net à mesure qu'il avance vers nous.

Des iris sombres. Une mâchoire large. Des lèvres boudeuses. Un nez long et fin. Des pommettes hautes qui accentues son aspect bestial et froid.

Je me détends en le reconnaissant. Je vais pour courir vers lui, mais Ison m'en empêche, attrapant mon bras comme si sa main était un étau.

– J'aurais dû te foudroyer aussi, grogne le prince de Sunfild en fronçant les sourcils.