Chapitre 13 partie 1 Amnis

Cela fait plusieurs heures que nous marchons vers Sunfild en suivant le cours de la large rivière qui sépare les deux royaumes. Elle est si large que nous voyons à peine les montagnes bleutées de l'autre côté de la rive, presque comme si, en réalité, elles n'étaient qu'un mirage.

Tout en marchant, j'essaie de me concentrer sur la création d'une flamme dans le creux de mes mains. Je suis tellement obnubilée par mon entrainement qu'à chaque trois pas, je manque de trébucher à cause des petites pierres à nos pieds.

- Regarde où tu marches, Amnis, m'avertit Ison avec un petit sourire alors qu'il me rattrape pour la millième fois. Je comprends que tu veux rapidement apprendre, mais il ne faudrait pas que tu te blesses.

- Je sais, lui ai-je répondu avec un sourire nerveux. Mais je ne veux pas dépendre des autres pour ma propre sécurité. Je veux pouvoir me défendre seule et ne plus me sentir comme un fardeau.

Ou plutôt, c'est une raison pour tenter de m'endurcir et ne plus penser aux circonstances du décès de père et mère. Je ne peux pas me permettre de me noyer dans mon chagrin. Mes larmes ne feront pas baisser les armes de mes ennemis. Si je veux gagner la bataille, je dois puiser dans la force et le courage qui se trouvent au plus profond de mon cœur.

- Tu n'es pas un fardeau, réfute-t-il en reportant son regard sur Ester et Midas qui marchent à plusieurs pas devant nous. Et je suis sûr qu'ils ne pensent pas cela de toi non plus.

- À vrai dire, ai-je commencé avec un sourire triste tout en regardant mes paumes. Quand Ester a dit que j'étais faible, je me suis emportée parce que je sais qu'il a raison. Je suis faible.

Ison reste silencieux, car bien évidement, il ne peut pas me contredire. Il sait que mon corps est aussi fragile que mon âme... même si je m'efforce de me montrer forte. Je sais qu'il ne tentera pas de me faire croire le contraire. Et je sais aussi que ma faiblesse est l'unique raison pour laquelle il veut me protéger. C'est parce qu'il a un cœur vaillant et l'instinct de protéger les plus chétifs que le dieu de la lumière, Luz, lui a accordé sa bénédiction.

- Pour l'instant, finit par dire Ison en me tapotant la tête. Mais je suis sûr qu'un grand pouvoir sommeil en toi.

Du coin de l'œil, je vois Ester lever les yeux vers le ciel et dire quelque chose à grand-oncle Midas avant de se tourner vers nous.

- Une petite pause, cela vous dit, nous demande mon frère en marchant vers nous. Il est presque midi.

Je reporte mon attention sur l'éther pour constater que le soleil est presque à son zénith.

- Cela me va, ai-je acquiescé en posant une main sur mon ventre, qui, je le sens, a besoin de faire le plein. Je pourrai mieux me concentrer sur ma pratique.

Et... je ne l'avouerai pas, mais je commençais à avoir mal aux jambes.

Je m'assois sur les pierres qui longe la rivière et me mets aussitôt en position de méditation. Ison propose d'aller chercher des baies, s'il en trouve, alors que mon frère pêche de nouveau, mais cette fois-ci, en contrôlant l'eau face à nous. Grand-oncle Midas s'installe près de moi alors que je me concentre sur mes sens. Je repère la chaleur de mon corps et imagine la propulser jusqu'au creux de mes paumes. Je la visualise alors qu'un courant d'air vient caresser ma peau. J'ouvre les yeux et reste un instant surprise et ce n'est pas à cause de la minuscule flammèche entre mes mains, mais d'un drôle d'oiseau possédant des écailles qui vient de sortir de l'eau en bondissant.

- Il s'agit d'un Meri Korppi, m'explique grand-oncle Midas en voyant mon étonnement. Un corbeau des mers, si tu préfères.

Quelques autres suivent l'exemple du premier, sautant et replongeant dans une chorégraphie rythmée. Leurs écailles luisantes sont d'un noir profond, leurs pattes sont palmées et plutôt que d'avoir des ailles, ils ont de très grande nageoire qui semble leur permettre de planer. Leur bec est court et fin, leur yeux ronds, d'un bleu-vert cristallin.

- C'est rare d'en voir autant, ajoute le grand mage en caressant sa longue barbe blanche. D'ordinaire, ce sont des êtres solitaires.

- Cela ne me surprend pas qu'un vieux sage comme vous connaissez autant sur les bêtes magiques, émet Ester en revenant vers nous avec plusieurs poissons en main. Et Amnis, ce n'est pas avec cette minuscule flamme que tu pourras partir un feu.

Je lui tire la langue et ma grimace le fait sourire.

- C'est déjà mieux que rien du tout. Si je continue à travailler dur, j'arriverai peut-être à quelque chose d'ici quelques jours.

Il hoche la tête, puis regarde vers le bois alors qu'Ison revient, des branches sous le bras et un arbuste en main. À en croire la couleur des fruits, cela serait un framboisier sauvage.

- J'ai dû me battre contre des petits animaux espiègles pour l'avoir, nous apprend le prince de Sunfild en nous rejoignant comme s'il cherchait une excuse convenable à ses cheveux blond en bataille.

- Je t'ai presque cru, rétorque mon frère avec un rictus tout en secouant la tête. Mais tu sais, si le dieu Wise m'a choisi, c'est parce que je ne suis pas bête.

Je fronce les sourcils devant ses mots alors qu'Ison garde un sourire figé. Il semblerait, pour une raison quelconque, que mon ainé n'est pas d'humeur à plaisanter.

- Tu as eu une nouvelle vision, lui ai-je demandé alors qu'Ison laisse tomber le tas de branche avant de l'allumer en un claquement de doigt, utilisant la magie du feu qu'il a hérité du dieu Luz.

L'humeur de mon frère s'assombrit un instant. Je me lève en faisant disparaitre la flammèche, puis m'approche de lui pour lui toucher doucement le bras.

- Est-ce que ça va, l'ai-je questionné avec inquiétude. Il... c'était...

Je me tais en pinçant les lèvres, ne sachant pas comment l'interroger et si je le devrais.

- Je n'ai pas envie d'en parler, marmonne Ester, le regard dans le vague. Je ferai tout pour que cet avenir ne se réalise pas.

Je l'observe avec angoisse alors qu'il se force à sourire pour tenter de m'apaiser, ce qui ne fonctionne en aucun cas.

- Dis-moi seulement que personne d'autre ne va mourir, l'ai-je imploré avec une voix tremblante, la gorge nouée.

- Personne ne va mourir, me répond mon ainé en secouant la tête tout en tapotant la mienne, un sourire bizarre collé sur ses lèvres. C'est juste que... une fois arrivé au château de Duskstone... tu...

Il secoue de nouveau la tête comme s'il cherchait à effacer les images qui venaient de réapparaitre dans son esprit.

- Père et mère ont dit que nous devons nous retrouver là-bas, ajoute Ester en fronçant les sourcils. Mais en aucun cas je permettrai cet avenir de se réaliser!

Ses mots me laissent comprendre qu'il ne s'agit pas d'évènement joyeux et teinté de rose, de fleur et de paillette. Un avenir que j'aurais eu si l'empereur de Duskstone n'essayait pas de conquérir le monde.

- Il va m'arriver quelque chose de désagréable, c'est ça, l'ai-je questionné en redoutant d'entendre la réponse. Et ce sera une chose contre laquelle tu ne pourras pas t'opposer, n'est-ce pas?

Ester pousse un long soupir alors qu'Ison se racle la gorge pour attirer notre attention.

- Nous devrions rapidement manger et reprendre la route. Je suis presque sûr qu'ils ont envoyé un groupe à notre poursuite.

Mon frère et moi hochons la tête avant de nous installer près du feu, où grand-oncle Midas est déjà assis et grignote des framboises sauvages. Nous mangeons dans un silence complet. Seul le bruit du vent dans les arbres et le court d'eau nous accompagnent. La brise, pourtant légère, me fait frissonner. Mes cheveux décoiffés dansent autour de mon visage, m'empêchant parfois de me nourrir convenablement.

Une dizaine de minutes plus tard, nous reprenons la route.

J'espère que Liore va bien, ai-je pensé alors que c'est moi qui ferme la marche. Elle avait une mine horrible.

J'observe le dos d'Ison qui marche à quelques pas devant moi. Il semblerait qu'il ne soit pas aussi chaleureux que je le croyais... il peut s'avérer cruel s'il juge cela nécessaire...

Mais dans ce cas... ce n'était pas essentiel d'utiliser la grande puissance du dieu de la lumière, Luz, pour blesser autrui.

Ison se retourne comme s'il s'était senti observer. Son expression s'adoucit alors que nos regards se croisent. Un sourire tendre étire ses lèvres et il ralentit la cadence pour que je puisse marcher à sa hauteur. Mon cœur fait un bon devant son expression inattendue.

- Tout va bien aller, dit-il en me prenant la main pour la serre légèrement. Un fois que nous serons arrivés à Sunfild, Ester et toi pourrez envoyer une missive aux généraux de Moonleaf. Une fois nos deux armés réunis, nous pourrons venger tes parents et les miens, ainsi que sauver mes frères.

Je ne sais pas pourquoi, mais j'ai la certitude que nous ne pourrons même pas envoyer un signal à Sunfild avant que Callidus nous retrouve. J'ai l'impression qu'il pourrait me rattraper même si je me trouvais à l'autre bout du monde... alors que, techniquement, c'est moi qui le pourrais. C'est presque comme si, inconsciemment, il m'appelait et m'attirait vers lui... comme s'il lui suffisait de tirer sur une corde invisible pour que je me retourne près de lui.

- Amnis?

Je lève les yeux vers Ison alors qu'il m'observe avec curiosité.

- À quoi penses-tu, me questionne-t-il alors que ses magnifiques iris bleu-gris me regarde avec attention.

- Même si, par miracle, nous arrivons à atteindre Sunfild... tôt ou tard, je suis destinée à me retrouver au palais de Duskstone. Mon père la vue... et Ester aussi. Que ce soit dans une semaine ou un mois, je vais finir par y aller. Essayer de fuir ce futur ne changera en rien le fait qu'il finira par se réaliser.

- Tu m'en veux, c'est ça, grimace Ison en resserrant ma main dans la sienne. Je sais que j'y suis allé fort. N'importe qui à sa place serait mort. Je... m'étais dit que...

Il se tait en baissant les yeux tout en se mordillant la lèvre inférieure.

- Je sais pourquoi tu l'as fait, dis-je en relâchant sa main. Les disciples de Luz doivent avoir un cœur vaillant et pur. Mais malgré cela, je pense qu'il faut utiliser la force seulement pour se défendre... et en tout dernier recours. C'est la raison pourquoi je t'en veux d'avoir agit égoïstement. Malgré leur apparence et leurs antécédents, je sais que Callidus et Liore sont en réalité des bonnes personnes.

- Qu'est-ce que tu en sais, grommèle Ester qui semble avoir entendu notre conversation alors qu'il est à plusieurs mètres de nous avec grand-oncle Midas. Tu n'as aucune idée de ce qu'ils feront dans le futur. Peut-être même que c'est lui qui te tuera.

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