Chapitre 10 partie 2 Callidus

Le rire bestiale du dieu Valor résonne depuis les confins de ma conscience, sorte d’ariette qui revient à chaque fois que je tourne mon esprit vers l’intérieur de moi-même.

Il a soif de sang et de décapitation.

C’est un spectacle qu’il aime par-dessus tout.

Il s’imprègne de l’odeur âcre qui coule des veines des mortels à l’agonie.

Il se réjouie lorsque la douce mélodie des cris de souffrance chante jusqu’à ses oreilles.

Il savoure la faiblesse des cadavres croulant sous ses pieds de tyran.

Il accourt comme une bête folle, ses iris carmin renvoyant parfaitement son esprit ludique et sinistre. Ses longs cheveux argentés voltigent autour de lui comme une cape au vent. Son large sourire de bouffon renvoi sa dentition carnassière de monstre sauvage.

– Mort, mort, quand reviendras-tu, chantonne le dieu de l’instinct en dansant autour de mon moi intérieur. Tu me manques lorsque tu ne joues plus. Laisse couler le sang qui imbibe les têtes. Lâche-toi, toi puissante bête. L’amour à mort, c’est magnifique. Moi j’adore les fins tragiques. Ceux qui se languissent de la plus merveilleuse des souffrances, sont ceux qui ont appris la perfection du mot vengeance. Oh, douce cruauté, tu ouvres les cœurs, au point de briser l’âme qui vit et qui meurt. C’est grâce à toi que j’ai tant de valeur.

Le dieu de l’instinct se laisse tomber face à moi avec son petit rire facétieux, puis m’observe comme un gamin dans l’attente d’une récompense.

– Alors, alors, s’exclame Valor avec sa voix de fausset. Quand est-ce que je verrai de nouveau un bain de sang! Ils sont toujours meilleurs lorsque je les observe à travers tes yeux.

– Je n’en ai rien à faire de vos envies et de vos préférences, lui dis-je alors que je suis dans la même position que le moi réel. Je suis ici pour me recentrer.

– Les mortels sont tellement faibles et fragile, boude Valor en faisant la moue. Portant, si tu es blessé… si tu as mal, ça prouve que tu es encore en vivant pour l’apprécier.

Je me souviens que c’est sa phrase fétiche… il le dit à chaque fois qu’un de ses disciples se plaint de la douleur.

– Selon vos derniers mots, cela voudrait dire que je suis déjà presque mort.

– C’est bien pour cela que tu es mon préféré, rigole-t-il en se penchant vers moi, me faisant un clin d’œil au passage. Il n’y a que deux choses qui nous différencie. Je suis immortel et je ne retiens jamais mes pulsions. Si tu ne réfléchissais pas autant et laisserais aller le court des poussées inconscientes de tes désirs organiques, tu en serais plus heureux, crois-moi.

– Je ne vois pas à quoi vous faites allusions. D’ailleurs, dois-je vous rappeler que je ne peux plus ressentir ni joie ni la moindre sensation de manque ou de plaisir.

– Hélas, soupire Valor avant de ricaner devant sa propre mise en scène. C’est bien le seul aspect de toi que je plains, même si c’est grâce à cela que nous nous sommes rencontrés. Grâce à cela, tu es comme un demi-dieu. Presque mon équivalent!

Je lève les yeux vers lui alors qu’il semble se réjouir au plus haut point de mon malheur.

– Tant mieux si cela vous fait plaisir, lui ai-je répondu avec indifférence. Maintenant, ne me dérangez plus. Je dois me reconcentre sur moi-même et non sur vous et les quelques capacités que vous m’avez accordées.

– Quel être ennuyeux, rouspète Valor en posant son visage pâle dans ses mains griffus, ses grandes oreilles de loup blanc se redressant sur sa tête. Tu es celui qui fait le moins d’effort pour chercher les plaisirs de la vie. Même cette jolie princesse que tu as comme cousine est plus intéressante que toi.

– Ne veniez-vous pas de dire que je suis votre disciple préféré, ai-je répliqué en fermant les yeux, essayant de l’ignorer.

– Bien sûr que non, j’ai dit cela sur le moment sans aucune profondeur. Il est évident que la personne que j’adore le plus est moi-même.

J’ouvre un œil pour l’observer alors que son sourire défigure son visage. Il ricane alors que je me contente de faire abstraction à sa présence.

– Quel sans cœur, rigole le dieu de l’instinct avec amusement. Les autres auraient réagi devant tant d’égocentrisme.

– Vous dites vrai, alors à quoi bon essayer de vous contredire. Si vous ne pensiez pas qu’à vous, vous ne seriez pas qui vous êtes. Vous n’êtes pas quelqu’un qui réfléchit. Pour les démons, la notion du bien et du mal n’existe pas. Elle a aussi perdu son sens pour quelqu’un comme moi.

– Tss. Vous, mortels, vous nous jugez, Noche, Matar et moi comme si nous étions foncièrement mauvais. L’instinct peut aussi sauver des vies, jeune homme. Noche est du genre à offrir sa bénédiction aux malheureux. Il donne un sens à leur vie de misérable. Matar protège ceux qui ont été blessé… autant par les mots que par les poings. Il les emmène dans les illusions pour sauver la pureté de leur cœur. Ce sont les humains qui décident d’utiliser ces ressources comme bon leur semble. L’instinct primitif démontre l’essence de ce qui est vraiment important. Les émotions en sont simplement le prolongement. Ce que j’aime, c’est chamboulé les choses pour les rendre plus concrètes et faire réaliser aux gens ce qui est le plus indispensable pour eux.

Valor se tait, ce qui m’incite à ouvrir les yeux, sachant qu’il n’a pas fini son monologue. Il m’observe en souriant, comme s’il cherchait à me convaincre de sa bonne foi. Je sais qu’il y a une part de vérité, mais je ne suis pas idiot au point de croire complètement cette bête qui apprécie le sang frais et la chair tendre.

Je sais aussi que les mensonges crédibles n’est pas le domaine de ce dieu démoniaque. Il passe le plus clair de son temps à agir sans la moindre réflexion… et à en croire sa manière de « vivre », il suffit d’une seconde pour tout perdre… alors aussi bien se lancer tête baissée, puis assumer les conséquences.

– Ne mettez pas la faute sur les mortels alors que c’est vous et vos compatriotes qui nous inciter dans cette voie de manière subtile, ai-je fini par dire d’un ton neutre. Vos paroles n’ont aucune crédibilité à mes yeux.

– Ce qui est vrai pour quelqu’un ne l’est pas pour tout le monde, ricane Valor en se levant, me dominant de son imposante carrure. Comme un mensonge peut devenir authentique s’il se réalise. Les menteurs ne sont pas forcément des menteurs.

– Vous avez une logique farfelue, ai-je platement commenté devant sa mine réjouit.

– Tu sais, un amour intense peut se transformer en une haine brulante… comme tu peux haïr de tout ton cœur un jour et tomber sous le charme le lendemain.

– Ce genre de chose ne m’intéresse pas, dis-je avant de partir en ignorant ses protestations.

Je ressers la couverture contre moi et promène mon regard dans la caverne pour constater que tout l’équipage est endormi. La pluie ne s’est toujours pas calmée et continue à se déchainer. Mes pensées vagabondes tout naturellement vers Amnis.

Même en ayant plus aucune émotion, je sais qu’elle est fragile et sensible. Je l’ai vu dans son regard lorsque j’ai dévoilé les runes qui parcourent le haut de mon corps. Il serait préférable qu’elle ne s’en veuille pas pour ne pas avoir réussi à me retenir… ou parce que Liore a été foudroyé devant ses yeux innocents de délicate créature.

J’ai l’impression d’encore sentir ses petits doigts accrochés à mon bras… ainsi que la douce chaleur qu’ils dégageaient. Ils m’agrippaient avec légèreté et délicatesse… et pourtant, j’avais l’impression qu’ils me retenaient avec force.

Je secoue la tête alors que son visage apeuré flotte encore dans mon esprit.
Elle est comme une rose qu’on aurait déraciné. Un petit animal qui sursaute au moindre bruit, même infime. Quelqu’un d’aussi frêle qu’elle ne devrait jamais se retrouver seule face au roi de Duskstone. Cet homme qui ne vit que pour violenter et dominer tout ce qu’on appelle un être vivant.

Je passe une main dans mes cheveux humides qui retrouvent lentement leur nature bouclée.

Quand j’y réfléchis franchement, je ne suis pas beaucoup mieux que lui. Je me fiche normalement de ce qui peut arriver aux autres et je n’ai aucun scrupule ni aucune hésitation à tuer.

Il y a bien quelques exceptions… mais si mon oncle, Malum, me donnait l’ordre d’achever l’un d’eux, je ne serai peut-être pas en mesure de contrer cette puissance qui me pousse à lui obéir… comme un pauvre chien soumis à son maitre. Un cabot qui hurle fort sans savoir pourquoi. Ou plutôt si… il le sait que trop bien. Et il comprend aussi qu’il ne peut pas faire autrement.

Depuis le début, c’était son destin… sa nature profonde. Une bête dans mon genre ne mérite aucune pitié… car quand j’y pense… je n’ai jamais essayé de trouver un moyen de sauver toutes ses personnes dont j’ai causé la mort. J’ai même meurtri des gens innocents qui, tout comme moi, n’était fidèle qu’à leur maitre… sans jamais tenter quoi que ce soit pour se libérer de cette soumission.

Il y a peut-être d’autre moyen que ma mort pour supprimer l’empereur de Duskstone. Si la lumière divine peut me jeter dans les bras du néant absolu, elle devrait aussi pouvoir le faire sur n’importe quel être appartenant aux ténèbres… et cela… peut-être… sans me tuer et sans lui permettre d’avoir une deuxième chance dans cette vie.

Je secoue la tête et ferme les yeux en chassant ses pensées qui, normalement, aurait dû me faire ressentir un regain d’espoir.
Ce ne sont que des mots sans profondeur… que des superstitions sur lesquelles s’amarrer pour soulager un tant soit peu la fragilité de ma conscience. 

La fin de ce problème restera le même.  Ma mort sera la clé pour sauver le monde du règne tyrannique de Malum.

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