Chapitre 10 partie 1 Callidus

Cela fait quelques jours depuis l'attaque du navire de Sunfild et il ne reste plus qu'une journée et demie avant d'atteindre le port de Duskstone. Depuis, il n'y avait eu qu'une petite brume et une légère pluie, mais aujourd'hui, la tempête a repris le polie de la bête. Elle souffle et frappe le navire au point de faire violemment tanguer celui-ci. Les vagues embarquent sur le pont tellement elles sont agitées. 

Les matelots ont de la difficulté à garder les voiles dans la bonne direction, s'acharnant à plusieurs pour retenir les cordes. Malgré le fait que nous sommes au salon, je sens la turbulence de leur énergie qui vient de l'extérieur. Du coin de l'œil, je vois bien qu'Amnis ne cesse de regarder les hublots avec inquiétude, n'arrivant pas à se concentrer sur les conseils du vieux mage pour sa pratique. Je m'approche d'elle par réflexe et me mets à lui tapoter la tête, dans l'espoir, peut-être, de l'apaiser.

Le prince Ison repousse ma main avec une expression que je n'arrive pas à décrire avant qu'il ne chuchote quelque chose à l'oreille d'Amnis, qui hoche la tête. Lorsque je me penche légèrement pour voir son visage, mes yeux croisent ses prunelles bleues, ce qui la fait virer au rouge. Je tends la main pour lui toucher le front, me demandant si elle est malade ou fiévreuse, mais Ison me repousse de nouveau avant que j'aies pu vérifier.

– Qu'est-ce que tu penses faire encore, ai-je pu lire sur ses lèvres alors que j'ai l'impression qu'il se prend pour son bouclier, comme s'il croyait que mon simple contacte était mortel. Amnis est une jeune fille, je te signale. Arrête de la toucher à ta guise.

Je l'ignore et m'accroupis pour pouvoir regarder la princesse de Moonleaf en face. Elle me jette un regard hésitant, puis détourne les yeux pour les poser sur Midas, assis au sol devant elle.

Ester est installé de l'autre côté de la pièce, sur l'une des causeuses, Liore debout à quelques pas de lui. À en croire sa position, le prince de Moonleaf est en train de méditer pour atteindre la phase finale de sa magie de base.

Je jette de nouveau un regard vers Amnis avant de me lever. Tant qu'à devoir rester enfermer à l'intérieur, aussi bien me cultiver aussi. Alors que je m'approche des hublots, une violente secousse fait presque renverser le navire à bâbord, la vague étant si haute qu'elle aurait pu nous engloutir.

L'énergie provenant de l'extérieur se fait soudainement étrange et à en croire la panique sur le visage d'Amnis, la turbulence presque magique a fait des victimes.

J'échange un regard avec Liore avant de me diriger vers la porte. Amnis se précipite pour tenter de m'arrêter. Elle pose une main sur mon avant-bras en secouant la tête. Je lui tapote celle-ci avant de la repousser doucement pour sortir. Lorsque je me retrouve en pleine air, la pluie s'est transformée en fouet géant au point où j'ai l'impression qu'elle me griffe les joues. Je mets une main devant mon visage pour le protéger et avance à contrevent vers le pont. Lorsque j'arrive, la plateforme est complètement vide et les cordes des voiles sont détachées, voltigeant dans n'importe quel sens.

Je regarde vers la mer et, tant bien que mal, je distingue les matelots emportés par le courant marin.

Le capitaine Poper Scoup accourt vers moi comme il peut, Thay Zentan, Yagami Sho et Coco Munch à sa suite. Un éclair, qui me semble presque magique, traverse le bois d'une voile qui n'a même pas le temps de s'enflammer tant le déluge noie tout. Pousser par les bourrasques provenant de tribord, le navire tangue dangereusement bien que Sho, le navigateur, a mis le vaisseau en cape. Les officiers mécaniciens remontent en catastrophe de la cale au moment même où le foc à l'avant du deuxième mât se déchire et que la drisse du premier se brise. Les mécaniciens hurlent quelque chose au capitaine, mais je ne vois ni n'entends ce qu'ils disent. À en croire l'expression choqué de Poper, cela ne doit pas être une bonne nouvelle.

Je n'ai pas à attendre longtemps pour comprendre que l'eau monte depuis la cale. Je me précipite avec le capitaine vers les canots de sauvetage. Poper me dit quelque chose en me tapant l'épaule avant d'hurler à l'adresse des autres, sans doute pour qu'ils aillent chercher le reste des membres de l'équipage.

Je fais descendre un canot en jouant avec les cordages pour permettre à certain d'embarquer avant de les poser sur les vagues folles. Le capitaine Poper fait de même alors que tout l'équipage se pousse et se bouscule en voulant partir les premiers. Je cherche automatiquement des yeux Amnis, mais je ne la distingue nulle part. Je me hâte vers le salon en laissant tomber mon poste, poussant les matelots qui se trouve sur mon chemin pour me frayer un passage.

Mes cheveux, à présent presque lices, tombent devant mes yeux et se collent à mon front comme si c'était de la glue. Je les repousse d'un geste vif et ouvre la porte du salon pour constater qu'il n'y a pas l'ombre d'un chat. Je regarde autour de moi avant de foncer machinalement vers les cabines. J'ouvre la porte de la mienne à presque l'arracher avant de faire de même avec celle de Liore.

Aucune trace.

Je me tourne brusquement vers la mer comme si je m'attendais à y trouver une réponse. Le torrent de l'océan fait monter les vagues au point qu'elles pourraient engloutir le navire. On aurait dit une bête gloutonne qui ignore ce qu'est la satiété. Je me demande un instant qui a mis la déesse de la mer, Rio, dans une colère noire, mais je réalise que c'est la cacophonie de l'énergie du ciel qui cause se déluge.

Une lumière zèbre le ciel et je sais d'instinct qu'il ne s'agit pas de la foudre normale. Je détale tel un lièvre pourchassé par un loup vers la poupe et manque de renverser le corps méconnaissable de Liore. Sa chair tout entière a été rôti comme un poulet. Des cloques parsèment ses bras, ses jambes et son visage. Ses vêtements ont presque disparu et une bonne partie de ses cheveux blonds ont brulé. Tous ses membres fument encore malgré la pluie torrentielle.

Je la laisse prendre appuie sur moi alors que ses longues échasses ont de la peine à la tenir debout. Bien que je voudrais lui poser des questions sur ce qui vient de se passer, je sais qu'elle n'est pas en mesure de me répondre.

J'ai tout de même une vague idée en voyant la poupe complètement déserte. Étant seule contre un grand maitre et deux apprentis, elle ne pouvait pas les combattre et gagner... surtout contre de la magie blanche.

Même si je sais qu'elle n'est pas là, je cherche des yeux Amnis comme si elle allait soudainement apparaitre avec son petit minois, un doux sourire aux lèvres. Je me demande un instant si, plus tôt, elle avait tenté de m'arrêter en sachant ce qui allait se produire. Quelque chose bourdonne dans mes oreilles avant que j'entende un grondement bruyant.

– C'est le prince Ison, dit Liore d'une voix faible alors que notre ouïe est soudainement revenue à la normale. Il contrôle la foudre... Amnis a voulu me sauver, mais ils l'ont en quelque sorte emmené de force.

– Tu n'y aies pour rien, ai-je marmonné en me dirigeant vers les embarcations. Il n'y a que la magie blanche qui peut nous faire ressentir de la douleur. Il te faudra plusieurs jours pour guérir complètement.

Alors que nous trottinons tant bien que mal dans le tumulte du temps, je sens sous mes pieds que le navire descend de plus en plus dans le ventre de la mer. Je chancelle et lorsque je lève les yeux en reprenant mon équilibre, une vague se lève au-dessus de nos têtes, cachant la folie du firmament. Je n'ai pas le temps de réagir avant qu'elle nous gobe et nous avale tout entier.

L'océan nous bouscule, nous malmène... et j'ai de la difficulté à sortir de l'agitation maritime en soutenant Liore d'un bras. Je me propulse vers la surface, mais nous avons à peine le temps de reprendre notre souffle avant d'être de nouveau submerger et aspirer dans la rage sous-marine.

J'ignore combien de temps cela dura, mais je finis par nous tirer sur la plage, grelottant sans pourtant ressentir le froid ni la fatigue de mes muscles tendus. Je passe les bras de Liore autour de mon cou et la force à monter sur mon dos. Je trottine en dégoulinant sur le sable glacé, cherchant un quelconque abri où nous pourrons nous sécher et nous réchauffer.

Alors que je me dirige à pas trainant vers une pente rocheuse, je tombe sur Coco et les autres membres de l'équipage qui se dirigent vers le creux d'une grotte. Coco se précipite à ma rencontre avec une expression soulagée qui ne dura qu'une seconde. Ses iris clairs s'agrandissent en voyant les blessures qui parcourent le corps de Liore.

– Que lui est-il arrivé, me demande-t-elle alors que nous suivons les autres dans le creux de la montagne. Pourquoi sa peau est tout en cloque?

– Elle a été touché par la foudre de la magie blanche, lui ai-je répondu alors que les autres nous observent marcher parmi eux.

– Alors... les otages?

– Il semblerait qu'ils se sont enfuis, ai-je acquiescé en posant Liore tout au fond de l'antre obscure. Demain, je vais partir à leur recherche.

Ils ne pourront pas aller bien loin, de toute manière... même si la plus courte distance entre Duskstone et Sunfild est d'une journée en bateau, donc douze heures. S'ils arrivent à se construire un canot, ce qui est impossible vu leur rang, cela leur prendrait deux jours, voire peut-être trois ou quatre.

Je m'assois à côté de Liore, puis me mets à tordre mes vêtements lourds. Ils sont tellement pesant que, à cet instant, je dois presque faire un peu moins que le double de mon poids. Mes mains, qui étaient glacées, rougissent encore plus sous l'effort de la torsion et du frottement de ma peau contre les tissus. Malgré cela, je ne ressens aucune douleur ni le froid qui, normalement, aurait dû me tuer. Je baisse les yeux sur mes mains comme si les voir dans cet état me ferait ressentir une infime souffrance.

Coco part chercher des couvertures qu'ils ont miraculeusement réussit à récupérer et à protéger contre la pluie torrentielle. Elle revient vers Liore et moi, puis elle m'en tend une avant de s'emmitoufler dans l'autre avec ma cousine.

– Tu ferais mieux de dormir un peu, me conseil Coco en laissant Liore poser sa tête contre son épaule. Tu vas surement aller les chercher au petit matin, non?

– Le plus tôt serait le mieux, dis-je en fermant les yeux et en m'enroulant dans la mince couverture.

Je pense plutôt que je devrais partir une fois que les perturbations atmosphériques seront calmées, D'ici là, j'ai sans doute quelques heures pour retrouver mon énergie et une température corporelle normale. Je croise les jambes et laisse vagabonder mon esprit à la recherche du néant taciturne qui constitue tout mon être. Cette chose à la fois chaotique et silencieux me berce comme si sa genèse ne partait pas des ténèbres les plus obscures, mais de la floraison d'un printemps.

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