Chapitre 1 partie 1 Amnis

Je me redresse vivement alors que les images nébuleuses flottent encore dans mon esprit. Je frissonne d'horreur et frotte mes bras parsemés de sueur froide. Ma chemise de nuit colle à ma peau alors que mon cœur palpite comme un cheval en plein délire.

Cet homme...

Il est de nouveau apparu dans mes rêves...

Mon ventre se tord et ma gorge se noue de plus belle lorsque je me remémore la scène.
Pourquoi ai-je ressenti tant de douleur et de tristesse emmener du jeune homme?

Je secoue la tête en prenant une grande inspiration.

Il n'est pas réel.

Tout cela n'était pas vrai.

Ces gens n'existent pas.

Si j'avais possédé le même don que le reste de ma famille, cette scène aurait pu se réaliser dans un future proche... mais ce n'est pas le cas. Pour une raison que tous ignorent, moi y compris, je n'ai aucune capacité hors du commun, détail qui caractérise en générale la royauté de Moonleaf.
Je me frotte les yeux alors qu'un mal de tête surgit brusquement. Depuis que cet homme est couramment apparu dans mes rêves, cette sensation se déroule toujours de la même manière. Elle arrive et repart aussi fugace que le souffle du vent. Une tornade qui apparait dans mon esprit pour y mettre le bazar. Et comme toujours, les détails finissent par s'envoler. Seul son regard sombre reste graver dans ma mémoire.
La seule marque qui prouve que mes rêves deviennent de plus en plus chaotiques.

Je porte mon regard vers les grandes fenêtres de ma chambre, couvertes par de minces draperies fleuries. Je repousse mon édredon au même moment où Vanésia, ma servante, entre avec un petit bassin d'eau et une serviette.

- Vous êtes réveillez, votre altesse, dit-elle en parcourant difficilement ma chambre, essayant de ne piler sur aucun de mes nombreux bibelots, dont certains se demanderaient pourquoi je garde des objets aussi moche et vieillot.
Pour moi, ils ont tous quelque chose d'unique et spéciale. Comme les gens.

- Voulez-vous vous débarbouillé le visage tout de suite, me questionne Vanésia en réussissant à venir près de moi s'en avoir renversé toute l'eau, chose qui arrive couramment de si bon matin.

Elle dépose le bol sur la petite commode près de mon plumard avant de traverser la pièce pour aller dégager les rideaux des fenêtres, laissant entrée plus de lumière dans ma chambre. Je repousse les volants légèrement transparents de mon lit baldaquin, puis me lève avant de m'étirer. Je mets mes mains dans l'eau froide, puis m'asperge le visage pour me revigorer. Je m'essuie ensuite sur une petite serviette blanche alors que Vanésia s'apprête à ramasser mon œuvre d'art.

- Ne touche à rien, s'il-te-plait, lui dis-je en me faufilant vers ma garde-robe grande ouverte.

- Mais vous risquez de vous blessez, votre altesse, me répond-t-elle en se redressant, puis en me regardant avec inquiétude. Une simple coupure peut vous être fatale.

- Je ferai attention, dis-je avec un petit rire tout en farfouillant pour trouver ma robe du jour.

Comme l'a dit Vanésia, en plus de ne pas avoir les mêmes capacités que le reste de la famille royale, je suis née petite, frêle et malade. L'hémophilie est la maladie que j'ai malheureusement hérédité de mon père, ma mère en étant aussi porteuse.

Je me glisse derrière un paravent, puis retire ma chemise de nuit bleu clair, la balance au sol, avant d'enfiler une toilette jaune et souple, brodée de fils d'argent qui forme des torsades et des roses sur le bustier serré.

- Voulez-vous que je coiffe vos cheveux, princesse, me demande Vanésia en prenant mon vêtement alors que j'enfile des escarpins dorés.

Je prends une mèche de mon épaisse chevelure rousse et réfléchie un instant à sa question.

- Je vais me contenter de mettre l'un de mes diadèmes, lui ai-je répondu en envoyant ma cascade de cheveux vers l'arrière.

Vanésia part chercher ma boite à bijoux alors que je danse d'un pied à l'autre pour me rendre jusqu'à ma coiffeuse. Elle revient vers moi, dépose le coffret sur la table avant de prendre la brosse juste à côté. Alors qu'elle me peigne les cheveux, mon frère Ester entre vivement dans ma chambre comme si un monstre quelconque le poursuivait dans les couloirs. Il passe une main dans sa chevelure blonde mal coiffée en me fixant avec supplice de ses yeux vert limpide.

- Amnis, sauve-moi, s'exclame Ester en venant près de moi, sautant d'une surface libre à une autre en une sorte de lapin dansant.

- C'est encore la même raison, l'ai-je questionné en souriant largement devant son expression anxieuse.

- J'ai tout fait pour dissuader mère, mais elle insiste à me trouver une fiancée!

- N'est-ce pas normal, dis-je en riant devant sa lamentation alors que Vanésia met mon diadème de rubis sur mon crâne, puis mes boucles d'oreille qui vont de pair. À ton âge, père était déjà marié avec mère.

Ester pousse un long soupir exaspéré tout en voutant les épaules, signe qu'il est vraiment à bout de toutes ses soi-disant bonnes cartes.

- Très bien, cher frère, ai-je rigolé en le voyant avec si peu d'énergie. J'essaierai de dissuader mère... pour le moment.

Je me lève et passe à côté de lui pour sortir de ma chambre, lui tapant l'épaule au passage.

- Dieu suprême, merci de m'avoir accordé une sœur aussi mignonne et attentionnée, prie Ester en me rattrapant dans le couloir.

- Ta sœur chérie ne te garantit pas la liberté, me suis-je esclaffée devant ses mots.

Nous traversons les couloirs de l'aile ouest et descendons quelques étages jusqu'à l'aile nord où se trouve la salle à manger. Au passage, je salue joyeusement les serviteurs que nous croisons. Ils me rendent mes sourires en s'inclinant bas. Lorsqu'Ester et moi entrons dans la vaste pièce, mère et père sont déjà attablés et roucoulent comme deux jeunes amoureux. Deux paons qui se font mutuellement la cour. Je souris avec envie devant leur complicité, leurs flatteries et leurs mots tendres alors que mon frère ainé grimace, écœurer à la simple vue du couple.

- Bon matin, me suis-je joyeusement exclamée en marchant vivement vers eux.

Leurs regards brillants dérivent vers moi et leurs sourires s'élargissent.

- Tu es de bonne humeur, dit père alors que je lui donne un baisé sur la joue, puis fait de même avec mère. Est-ce parce que tu n'as pas eu de cauchemar?

Je m'installe à côté de mère alors qu'Ester prend place près de père.

- Non, dis-je en secouant la tête, faisant virevolter ma chevelure rousse, gène que je retiens de père, tout comme ma petite taille. Les yeux sombres de l'homme sont encore venus dans mes rêves. Je ne me rappelle pas les détails, mais c'était effrayant.

Mère et père échange un regard inquiet alors que je prends une tranche de pain d'avoine pour y garnir une bonne couche de confiture de pêche, puis d'y faire couler du miel.

- Comment peux-tu toujours garder ta bonne humeur, ma chérie, me demande mère en me caressant les cheveux.

Ses iris bleues, si semblable aux miens, m'observent avec douceur.

- C'est cela mon pouvoir, mère, dis-je en lui souriant. Puisque je possède un corps faible, le mieux à faire est de posséder un esprit fort.

- Après le mariage de ton frère, nous te chercherons un mari parfait pour toi, dit-elle en me souriant tendrement.

- Mère, s'exclame Ester alors qu'il prenait une grappe de raisin. Je ne veux pas me marier!

- N'as-tu pas toi-même dit que tu avais vu ta future fiancée dans ta dernière prédiction, l'interroge mère avec un regard intense. Ton père m'a tout raconté.

Ester lance un regard de reproche à père, qui lève les mains en signe de défense. Mon frère tourne ensuite son attention vers moi avec des yeux alarmés. Je lui fais un sourire avant de prendre la main de mère avec les miennes, ce qui la force à me regarder.

- Mère, vous savez aussi bien que moi à quel point mon grand frère est bête et immature, dis-je alors que, du coin de l'œil, je vois Ester se pointer du doigt avec une expression outrée. Il n'a aucune idée de la manière dont il faut prendre soin d'une femme. Moi, en revanche, je ne dis pas non pour me trouver un bon mari.

- Tu es encore jeune, dit père en secouant la tête alors que je prends une bouchée de ma tartine. Nous n'avons pas à accélérer les choses.

- Mère était mariée à vous à son âge, proteste Ester en faisant un geste vers moi.

J'adore énormément ma famille, mais j'aimerais aussi rencontrer un gentleman qui sera doux et qui me murmurera des mots mielleux à l'oreille comme père le fait couramment à mère. Je souris toute seule en m'imaginant un beau jeune homme me faire la cour. Il aurait une jolie chevelure blonde, comme Ester et mère. Des iris clair et séducteurs comme ceux de père. Il serait un peu plus grand que moi, pour que je doive légèrement lever les yeux vers lui. Il serait d'une nature pure et dégagerait une énergie solaire comme mère. Il serait cultivé sans prendre de grand air de savant et tout le monde l'apprécierait.

Le gloussement qui m'échappe fait lever un sourcil à mon frère qui engloutit une poignée de raisin. S'il était au courant de tous mes fantasmes, je n'ai aucun doute qu'il me taquinerait sur cela.

- Quand est-ce que je pourrai rencontrer des jeunes hommes, ai-je demandé à père et mère alors qu'ils se donnent la becquée.

- Après le mariage de ton frère, me dit mère en essuyant avec ses doigts une trace de miel sur les lèvres de père.

- Le moins rapidement possible, ajoute père en donnant une fraise à mère.

Ester m'envoie un regard intense et je hausse les épaules devant l'entêtement rédhibitoire de mère. Celui-ci pousse un long soupir et mange son déjeuner avec un air triste et agacé.

- Cette femme n'est même pas une bonne personne, marmonne Ester en grignotant un morceau de fromage.
Je l'observe un instant en sachant qu'il fait allusion à la jeune femme de sa vision du futur.

- Elle est peut-être contrainte, lui ai-je répondu en finissant ma tartine, ce qui me vaut un regard boudeur de sa part.

- Les gens ne tuent pas par contrainte, proteste Ester en prenant un croissant au chocolat pour y planter sauvagement ses dents blanches.

- Bien sûr que si, ai-je répliqué en prenant un petit gâteau aux citrons et à la crème. C'est exactement comme la chasse. Nous tuons pour manger la chair des animaux et pour obtenir leur peau. Bien que je trouve cela cruel, nous le faisons par nécessiter. Ce qui veut dire que nous sommes contraints par notre nature humaine de tuer ses animaux. Peut-être que ta future fiancée tue pour ne pas elle-même mourir.

- Et tu trouves que c'est pardonnable, s'exclame Ester avec indignation.

- Non. Bien sûr que non. Ce n'est peut-être pas pardonnable, mais compréhensif. L'instinct de survie domine lorsqu'on se sent en danger. Tu ne peux pas savoir si tu ne réagirais pas de la même manière à sa place.

- Je ne tuerai jamais pour me sauver, clame Ester en secouant la tête. D'ailleurs, je ne crains pas la mort.

Je pouffe de rire devant son ton hautement confiant. Il dit cela maintenant, mais qui sait s'il se laissera réellement mourir facilement. Il réagirait peut-être même comme une autruche fasse à la peur, se terrant la tête dans le sol en prétendant n'avoir rien vu.

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