15 ~ The Erudites

        Je joue avec mon crayon en ayant l’horrible impression d’être observée, le problème c’est que dans un amphi, il est plutôt compliqué de remarquer parmi la foule celui ou celle qui vous dévisage, il y a bien trop de monde. Mais lorsque je redresse la tête je discerne automatiquement la, ou plutôt les, personnes qui me fixent.

        Quelques rangées plus loin, face à moi, se trouve le groupe des érudits et il me semble que chacun d’entre-deux me fusille du regard. Je déglutis, mal à l’aise sous le poids de leur jugement et reporte mon attention sur le professeur. Ce qu’il dit ne m’intéresse aucunement, mais je préfère me focaliser là-dessus plutôt que sur le petit groupe face à moi. Qu’ont-ils contre moi ? Si c’est encore à propos de mes cheveux il serait grand temps qu’ils passent à autre chose.

*

        Je pose mon plateau sur une table libre du réfectoire en attendant Elonwy qui est censée arriver d’ici peu, je n’ai pas très faim, mais j’ai besoin de passer du temps avec quelqu’un car je me sens terriblement seule aujourd’hui. Alors que je bois lentement mon verre d’eau, je sens la chaise à ma droite être tirée avant qu’on n’y prenne place. En tournant la tête je m’attends à voir Elonwy, ou même Ashton, mais la personne qui se trouve à ma droite n’est ni l’un, ni l’autre. C’est Spencer Dubrand, fils de philosophe, autrement dit membre du club très privé des érudits.

« - Alors ça te fait quoi de te retrouver toute seule Fauste ?

-Je m’en moque –Dis-je en reportant mon attention sur mon assiette-

-En dehors de Rudy tu n’as aucun ami dans cette section, dommage que tu n’aies d’affiliations qu’avec les musiciens –Il sourit en coin me laissant apercevoir ses dents blanches et aiguisées-

-Tu oublies Calum –Dis-je-

-Calum, ami avec toi ? Fauste je t’en prie ne me dis pas que tu as cru qu’il était ton ami ? –Je fronce les sourcils et ignore les battements fébriles de mon cœur-

-C’est mon ami.

-Laisse tomber Spencer, elle est dans son monde, comme toujours –Ricane derrière moi une fille aux longs cheveux blonds, connue sous le nom d’Adélaïde, fille d’un grand écrivain contemporain- j’ai vu que tu parlais avec Ashton Irwin ce matin ? Ton cas ne s’arrange pas Fauste.

-D’où est-ce que tu connais Ashton ? –Dis-je en sentant le rouge me monter aux joues-

-Ce n’est pas ça qui importe, franchement, tu n’as jamais pensé à te reconvertir dans la musique ? Tu y trouverais peut-être ta place. Ils ont l’air d’avoir les mêmes goûts douteux que toi.

-Rien que pour voir ce sourire s’effacer de ta sale gueule je vais me faire un plaisir de rester ici –dis-je à présent énervée contre le duo qui se trouve de part et d’autre de ma chaise, le sang pulsant violemment contre ma tempe-

-Reste polie Fauste –Ricane Spencer dans mon dos, je tourne rapidement ma tête vers lui pour le voir, je n’aime pas me dire qu’il peut me faire n’importe quelle crasse une fois mon dos tourné-

-Alors comme ça tu vas à la soirée d’inté des musiciens ? –Me dit une seconde fille à la crinière rousse qui s’assied face à moi, Marge Belair- ça ne te pose aucuns soucis de dégrader comme ça l’image des littéraires ?

-Si il y a bien quelqu’un ici qui dégrade l’image des littéraires ce n’est pas moi –Dis-je en serrant mes poings jusqu’à me planter les ongles dans la peau- les petits cons prétentieux qui ont choisi la littérature parce que papa maman ont fait de même et qu’ils n’ont aucune personnalité, c’est ça qui dégrade l’image des littéraires.

-Oh parce que tu crois que tu as une personnalité ? –Ricane Marge un tantinet vexée par ma remarque précédente- Ce n’est pas parce que tu as des cheveux blancs que tu sors du lot Fauste, au contraire, tu n’as rien d’une littéraire. Tu devrais sérieusement songer à t’en aller, personne ne te regretterait, regarde pour preuve, tu es toute seule alors que Rudy, sans toi, est entouré d’élèves de la classe. Il en va de même pour Calum. Il n’y a que toi qui soit en décalage.

-Et nous au moins nous avons le soutien de nos parents pour publier nos œuvres –Sourit Adélaide-

-Et toi Fauste, tu vas écrire pour tes parents illettrés ? Non parce que plombier et femme de ménage, ça ne doit pas voler très haut chez toi.

-C’est pour ça que tu as déménagé je suppose ? Pauvre chérie –Suggère Adélaide- oui nous le savons car Calum nous l’a dit, pauvre de lui d’ailleurs, j’espère que tu ne rabaisseras pas son niveau.

-Et bien alors tu as donné ta langue… Aux musiciens ? –Glousse Spencer alors que je reste de marbre, essayant de fermer mon esprit à leurs viles paroles-

-C’est plutôt sa virginité qu’elle va leur donner si j’ai bien compris! »

        Je sens de chaudes larmes assaillir mes yeux si bien que je ne vois bientôt plus très bien le trio qui m’entoure mais j’arrive tout de même à discerner qui a prononcé cette dernière phrase, c’est Marge. Elle rigole de bon cœur de sa blague, entrainant les deux autres. D’un bon je me redresse, faisant reculer ma chaise avec un bruit sourd et attrape brutalement le col de sa chemise impeccablement repassé, attirant son visage vers moi pour me donner l’accès à sa joue sur laquelle j’écrase ma main blessée par mes ongles. Si le bruit de ma chaise écartée à la volée avait fait se tourner quelques têtes, le bruit que produit ma gifle semble faire écho dans tout le réfectoire si bien que la moitié des étudiants nous fixe désormais. Marge se lamente sur sa chaise, la joue en feu alors qu’Adélaide se précipite à son chevet, me laissant seule sous le regard meurtrier de Spencer qui me barre la route, me surplombant de sa hauteur. J’essaie de me faufiler sur le côté mais ce dernier attrape fermement mes épaules pour me pousser vers une des colonnes en pierre du réfectoire, m’arrachant un petit cri de douleur lorsque mon crane percute la pierre rugueuse. Il repose ses horribles mains boudinées sur moi et je me débats avec rage, donnant de multiples coup de pieds qui ne lui font ni chaud ni froid.

        A quoi ressemble la scène vue de l’extérieur ? Je dois être si pitoyable, bloquée contre le pylône de pierre, bougeant pieds et bras pour me sortir de la poigne d’un garçon beaucoup plus grand que moi. Si pitoyable que personne ne vient m’aider, tout le monde m’observe, car en effet je n’ai aucun ami ici et je n’ai jamais cherché à m’en faire. Si Rudy ou Elonwy était là ils m’auraient défendu, mais il n’y a personne. Je tente désespérément de pousser Spencer de contre moi, lutant en même temps pour contenir mes larmes. Je ne veux pas pleurer devant eux, jamais je ne leur ferais ce plaisir. Mais ce dernier durcit un peu plus sa poigne avant de glisser une main dans mes cheveux pour me maintenir contre la paroi rocheuse. Que va-t-il me faire, ici, devant tout le monde ?

Mon cœur bat de plus en plus fort si bien que j’ai l’impression qu’il va s’arrêter, mais je suis encore consciente lorsque Spencer lève sa deuxième main, me faisant me crisper.

« - Arrête ! –J’ouvre de grand yeux et tourne la tête pour apercevoir les cheveux bouclés d’Ashton- lache-la ! –Rugit-il à l’adresse de Spencer qui fait, heureusement pour lui, sa taille-

-Tiens donc Irwin, Calum Hood nous a beaucoup parlé de toi et de ton passé de délinquant –Ricane Spencer alors que je vois clairement le visage jovial d’Ashton se crisper sous une haine soudaine-

-Et je suppose qu’il t’a dit que si tu ne laisses pas cette fille je pourrais t’envoyer à l’hosto ?

-Tu serais assez con pour prendre ce risque alors que ton passé judiciaire est encore derrière toi ? »

        Je me débat encore une fois pour m’éloigner, profitant de la présence d’Ashton qui occupe l’attention de Spencer mais c’est peine perdu et ce dernier me replaque violement contre la colonne. Je pousse un petit cri et me résous à implorer l’aide d’Ashton mais à peine ai-je ouvert la bouche que je vois le bouclé se ruer sur Spencer, lui donnant un coup de poing colossal qui le met à terre. Ma bouche reste grande ouverte mais aucun son ne s’en échappe, qui aurait pu croire que ce garçon si tactile, si jovial, qui ce matin gambadait vers sa fac, cachait en lui une telle violence ?

        Inutile de préciser que les cris résonnant dans le réfectoire ont maintenant alerté les surveillants de l’établissement, bien-sûr c’est Ashton qui prend alors que je m’égosille à leur faire comprendre qu’il n’avait fait qu’intervenir. Mais rien n’y fait, apparemment le passé d’Ashton ne joue pas en sa faveur auprès des surveillants.

« - Si je recroise son chemin à ce fils de …

-Heidi ? –Je me retourne pour voir ma meilleure amie arriver en vitesse- on m’a dit que tu t’étais battue ! Que s’est-il passé ? »

        Je lui explique l’altercation avec les érudits au réfectoire et celle-ci fronce les sourcils. A l’évidence Rudy lui a déjà beaucoup parlé de ce groupe et elle se contente de pester, sachant qu’on ne peut rien contre eux, ils sont intouchables, eux l’élite de la fac de Lettres.

        J’ai beau essuyer mes larmes, de nouvelles prennent rapidement de le dessus si bien que j’arrête et les laisse s’écraser dans mes cheveux en bataille. Je me sens terriblement mal, autant physiquement que moralement. Ces reproches qu’ils m’avaient fait, ces critiques, elles n’étaient en rien justifiées, c’était du bizutage gratuit. Tout ça pour quoi ? Car je suis différente et que j’apprécie quelque chose qu’eux n’apprécient guère. Mais je ne vois pas en quoi je suis plus différente des autres élèves de la classe, tout le monde n’est pas érudit, mais personne n’a les cheveux blancs. Alors c’est vraiment ça ? C’est ridicule.

« - Tu devrais rentrer chez toi –Soupire tristement Elonwy-

-Je suis d’accord avec elle –Ajoute Ashton, la mine toujours ravagée par la colère- Etant donné ma sanction je pense que je vais te suivre.

-Tu as été sanctionné ?! –S’exclame Elonwy à l’adresse du bouclé-

-Ouais, parce que j’ai frappé cet enfoiré qui lui-même maltraitait Heidi.

-Mais ce n’est pas normal ! –Se révolte ma meilleure amie, mais Ahston la calme en laissant échapper un long soupir-

-J’ai l’habitude –Il réajuste son bandana avant de m’observer- tu viens Heidi, je te raccompagne. »

        En règle générale j'aurais refusé, mais je fais oui de la tête avant de saluer Elonwy, lui demandant de ne pas en parler à Rudy, je ne veux pas qu’il s’inquiète et qu’il se force à venir en cours alors qu’il est fiévreux. Le chemin vers les bâtiments étudiants est silencieux. Après ce que Spencer a dit sur Ashton, je ne sais plus quoi poser comme question. Apparemment Calum et lui se connaissaient depuis plus longtemps que je le croyais et je pense que ça a un lien avec leur haine mutuelle.

« - Qu’est-ce qu’ils t’ont dit ? –Me demande Ashton-

-Rien.

-Heidi c’est bon je ne vais rien dire.

-Ils ont critiqué ma famille, m’ont rappelé que mes seuls amis ici étaient Rudy et des musiciens et j’en passe.

-Ils t’observent ?

-Ils m’espionnent oui –Dis-je en repensant à cette histoire de virginité, comment pouvaient-ils être au courrant-

-Je suis certain que c’est Calum qui est à l'origine de tout ça– Tempête-t-il dans son coin-

-Non il n’aurait pas fait ça.

-Il ne s’est pas privé pour leur raconter ma vie alors je ne serais pas étonné d’apprendre qu’il joue un double-jeu avec toi. –Mon cœur se serre un instant en imaginant Calum se servir de moi-

-Mais à quoi ça l’avancerait ?

-A rien, Calum est fourbe c’est tout.

-Lui m’a dit que tu étais un obsédé sexuel –Dis-je pour détendre l’atmosphère-

-Il n’a pas tort, mais moi au moins je sais profiter des bonnes choses et je ne suis pas un lâche comme lui. »

        Une fois arrivés devant nos bâtiments respectifs je finis par le remercier timidement de m’avoir aidé, c’était de ma faute s’il avait été sanctionné et je m’en veux. ‘Si je peux faire quoi que ce soit pour toi’ avais-je commencé, mais il n’attend rien de moi, il a agi en pleine conscience. Ils étaient trois contre un et il n’avait pas trouvé ça juste.

« - Au fait Heidi, comme je rentre maintenant je vais pouvoir passer ta lettre à Michael, attend toi à une réponse rapide de sa part.

-Tu ne lui parleras pas de ce midi hein ? –Dis-je rouge de honte-

-On verra. »

        Je déglutis et prends la direction de mon appartement, passant rapidement devant la porte ouverte de Calum, priant pour que celui-ci ne m’ait pas vue, mais c’était sans compter sur mes bruits de pas sur la moquette. Alors que je glisse ma clé dans la serrure, je vois une tête brune se pencher à l’embrasure de la porte ouverte.

« - Heidi ? Qu’est-ce que tu fais là ? Tu n'es pas en cours ? –Dit-il surpris-

-Toi, ne m’adresse même plus la parole ! –Dis-je sur un ton de reproche, sentant les larmes revenir à la charge devant le visage décomposé du basané-

-Pardon ? Qu’est-ce qu’il te prend ?! –Il sort de chez lui et je force sur ma clé qui ne veut pas se tourner, pour la simple raison que je me suis trompée de clé, ce qui donne largement le temps à Calum de venir à ma hauteur- Heidi ?

-Laisse-moi ! –Dis-je en reniflant-

-Tu pleures ?! Mais qu’est-ce qu’il se passe ? C’est encore à cause d’Ashton ?

-ARRÊTE ! –Je me retourne en criant- Sans Ashton je me serais faite ridiculiser devant le réfectoire au complet ce midi ! –Il ouvre encore plus ses yeux-

-Ridiculisée ? Qu’est-ce qu’il s’est passé ? –Je m’engouffre enfin chez moi mais Calum réussi à entrer aussi-

-T’as qu’à demander à tes meilleurs amis ! –Il hausse un sourcil-

-Heidi je t’en prie calme toi je ne comprends rien à ce que tu dis.

-FAIS PAS SEMBLANT CALUM ! –Hurlai-je les yeux baignés de larmes brulantes-

-Mais semblant de quoi ?! –Dit-il avec impatience, ne comprenant pas ma réaction-

-D’être… D’être mon ami ! –Dis-je d’une voix brisée- Je pensais que je pouvais te faire confiance, mais en fait, tu ne traines avec moi que dans le but de faire un rapport de ma vie aux érudits.

-Attends je ne te suis pas là, déjà je ne fais pas semblant d’être ton ami et puis qu’est-ce que le groupe des érudits a à voir là-dedans ?

-Ils m’ont ridiculisé ! Adelaide, Marge, Spencer, surtout Spencer. C’est Ashton qui m’a défendu !

-Heidi si j’avais été là je…

-Je t’ai dit d’arrêter de me mentir Calum ! Tu n’en as rien à faire de moi, ils me l’ont dit !

-Il ne faut pas que tu crois tout ce qu’ils disent !

-Bizarrement ce n’est pas d’eux que je vais douter en premier –Dis-je énervée alors que je recule à chaque pas que Calum fait vers moi- Tu leurs raconte tout, tu me dégoutes ! Je pensais pouvoir te faire confiance mais tu leurs à tout dit, absolument tout dit !

-Heidi je te prie de me croire que je n’ai rien dit sur toi ! –Dit-il en haussant le ton de sa voix- mais bon sang crois-moi !

-Je ne veux plus que tu viennes chez moi –Dis-je en tremblant-

-Et puis quoi encore –Il attrape mon poignet ce qui me fait trembler de peur mais il se contente de m’attirer dans ses bras chauds- Heidi je t’en supplie fais-moi confiance, je ne leur ai pas parlé de toi.

-Alors comment sont-ils au courant pour certaines choses ?

-Je sais qu’ils t’espionnent et qu’ils en savaient déjà beaucoup sur toi depuis la première année. Tu étais leur cible.

-Pourquoi tu ne m’as rien dit !? –Dis-je en essayant de me retirer de ses bras- et d’ailleurs, pourquoi tout court ? Qu’est-ce que je leur ai fait ?

-Ils sont jaloux car tu réussis mieux qu’eux qui pourtant proviennent de familles littéraires. Ils ont l’impression d’être diminués face à toi. Et comme tu ne rejoins pas leur petit groupe, ils t’ont automatiquement prise en grippe, sans parler de tes cheveux.

-Pourquoi tu traines avec eux si tu es différent ? –Dis-je en essuyant quelques larmes, me laissant finalement aller dans ses bras-

-C’est une longue histoire Heidi. Je n’aime pas ce qu’ils font mais j’ai besoin d’eux si je veux avancer.

-Alors ne compte pas sur moi pour rester auprès de toi si tu continues d’avancer avec eux.

-Comprends-moi, je n’ai pas le choix.

-On a toujours le choix»

        Je renifle et le laisse essuyer mes larmes qui ravagent mes joues pâles. Je n’arrive pas à savoir si oui ou non Calum joue un double jeu avec moi. Je suis perdue, je veux être seule, je ne veux pas être dans ses bras car je doute de lui. Non en ce moment je pense à quelqu’un d’autre. C’est d’ailleurs le bruit familier de la baie vitrée qui me fait me redresser. 

        C’est avec Michael que j’ai envie de parler, car lui me comprend et je sais qu’il ne se joue pas de moi, je sais qu’il est sincère et j’ai besoin de sa sincérité, j’ai besoin de lire ses mots pour me rassurer, j’ai besoin d’écrire mes propres mots, pour retrouver ma place.

C'est là que je vois papier etonnement long glisser sous mon paravent. Je suis sûre qu'Ashton lui aura parlé de ce midi.

Comment a-t-il réagis, lui qui pourtant semble idolatrer ma façon que j'ai de ne pas me préoccuper des autres ?

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