Chapitre 17


Derek pesa longuement le pour et le contre mais fut bien obligé d'admettre que Lydia avait raison sur certains points. Il n'allait pas séparer Stiles et Isaac indéfiniment, d'autant plus que boucle d'or se montrait des plus respectueux et attendait son accord pour aller rendre visite son ami dans la pièce voisine. Ami qui, de son côté, se renfermait progressivement sur lui-même et parlait de moins en moins.

- Maintenant, le tout est de savoir si Stiles serait ok, conclut Lydia.

Le loup esquissa un semblant de grimace. Connaître l'opinion de l'hyperactif à ce sujet nécessiterait une discussion et Derek n'avait aucune envie de le mettre mal à l'aise ou de faire remonter à la surface des souvenirs indésirables. Isaac lui avait fait sa crise juste après l'agression de Liam ; Stiles reliait plus ou moins les deux évènements, alors c'était délicat. Malgré ses efforts sincères pour se contrôler et essayer de garder la tête hors de l'eau, l'hyperactif restait profondément instable mentalement. Derek n'était pas dupe et sentait à son odeur qu'il avait beaucoup de mal à passer outre. Il ne s'occupait pas beaucoup malgré tout ce qu'il mettait à sa disposition et passait beaucoup trop de temps à faire ce qui lui était le plus néfaste dans ce genre de situations : réfléchir.

- Il est hors de question qu'on le brusque avec ça, fit le loup d'un ton catégorique.

Son regard, lui, l'était moins.

- Mais à rester dans cette situation, on patauge. Je suis bien consciente qu'il est fragile, mais il faut qu'on essaye, ne serait-ce que pour connaître notre marge de manœuvre, insista Lydia.

Parce que plus le temps passait, plus la jeune femme trouvait bénéfique une réunion entre les deux amis. La solitude pouvait les aider un temps, mais l'étirement de cette situation ne pouvait que les faire sombrer chacun de leur côté. La seule personne que voyait Stiles de manière régulière, c'était Derek. Pour être honnête, la banshee n'osait pas aller lui rendre visite. Elle était forte, oui, mais restait fragile sur certains points. Et les blessures que s'étaient infligées Stiles lui faisaient plus de mal qu'à quiconque parce qu'elles représentaient un passé qu'elle faisait tout pour enterrer. Néanmoins, elle était prête à faire un effort également. Stiles avait besoin d'Isaac, de Derek et d'elle. Et Isaac avait besoin d'eux également. L'image d'un cercle apparut dans son esprit. Il y avait quelque chose d'extrêmement étrange qui les liait tous, elle le savait. C'était clair comme de l'eau de roche.

- Ecoute, commença la jeune femme. C'est le plus sain. Lui parler, être franc avec lui. Il faut que tu lui parles, Derek. Au fond, peut-être qu'il en a besoin mais qu'il ne le dit pas et je pense qu'il vaut mieux lui parler de tout ça plutôt que de le prendre au dépourvu.

Derek voulut soupirer, mais se retint. Il n'aimait pas sa position. Celle de devoir prendre une décision tout en sachant que les deux possibilités qu'il avait possédaient chacune des avantages et des inconvénients. Le protéger. Oui, tout ce qu'il voulait, c'était le protéger et pour cela, il faisait de son mieux. Dans un sens, il était conscient que les arguments que lui déballait la banshee étaient tout à fait justifiés et recevables. En d'autres termes, elle avait raison. Mais une peur insidieuse continuait de dicter la plupart de ses gestes et toutes les précautions qu'il prenait. La terreur de faire une erreur et de manquer à son devoir le terrifiait. Était-ce pour cela qu'il continuait d'écouter les battements de cœur de l'hyperactif alors même qu'il parlementait avec Lydia ? Sans doute, oui. Et tout allait bien, de son côté. Rien à déclarer du côté de son rythme cardiaque.

En d'autres termes, Stiles ne semblait pas sur le point de se faire du mal.

Derek avait d'ores et déjà veillé à retirer de la chambre tout ce qui pourrait lui donner des idées, mais... La peur continuait de le pousser à se méfier. Elle était là, ancrée en lui. Elle l'enserrait dans une étreinte tordue, l'oppressait à un point inimaginable.

Alors oui, Lydia avait raison, mais il était terrifié. Lui qui avait déjà vécu les plus grandes horreurs ne pouvait oublier le jour – récent – où il avait trouvé Stiles. Un jeune homme à la peau blanche au milieu d'un bain de sang. Le regard fuyant, sa main serrant une lame argentée tâchée de pourpre, la confusion peinte sur son visage.

Un appel à l'aide silencieux.

Une main se posa sur la sienne. Derek releva les yeux vers Lydia qui semblait tout d'un coup plus âgée, plus... Calme que lui. Et pourtant, son odeur était fort parlante : elle angoissait, sans doute presque autant que lui. Comme ça, juste avec un contact, le loup se sentit à nouveau respirer. Dire qu'il avait retrouvé sa sérénité serait mentir.

Mais Lydia avait néanmoins réussi à effacer, pour l'instant, l'image sanglante qui le paralysait.

- D'accord, finit-il par souffler.

Lydia sourit doucement, même si le cœur n'y était pas. Derek, malgré l'étrange manière dont il s'était plus ou moins calmé, ne parvint même pas à essayer d'esquisser le moindre rictus.

xxx

Il y avait des fois où Stiles ne se comprenait pas. Emmitouflé dans la couette, le visage à moitié fourré dans l'oreiller on ne peut plus confortable, il n'arrêtait pas de penser. De réfléchir. A tout, à n'importe quoi. Parfois, à ce qu'il ne fallait pas. La seule consolation dans tout ça, c'était la quasi absence de douleur. Tant qu'il ne bougeait pas, ça allait. Alors, il réduisait ses mouvements au minimum. Il était plus simple de ne pas raviver la douleur outre mesure que de se bouger dans le but de faire quelque chose de sa vie. Surfer sur son téléphone. Lire un livre. Stiles leva le regard sur les étagères de la petite bibliothèque aménagée dans la pièce. Il avait de quoi s'occuper, mais il avait décidé de rester là, à simplement réfléchir. Et il s'en voulait. Il s'en voulait car il ne comprenait pas pourquoi les mêmes pensées tournaient dans sa tête. Entêtantes, insistantes, elles le harcelaient, le submergeaient. Plus il essayait de les repousser, plus elles s'accrochaient à lui et lui donnaient envie de... De recommencer. Il savait que c'était mal, il en était plus que conscient ! Mais c'était plus fort que lui, impossible de faire comme si l'envie – ou plutôt le besoin étrange – n'était pas là.

Parce qu'un prénom revenait sans arrêt et avec lui, le souvenir de ce qui l'avait fait basculer.

Liam.

Mais il y avait aussi Isaac, et Scott. Cependant, aucun de ces deux noms n'avait autant de puissance que celui du louveteau. Il se souvenait de la souffrance dans son regard, de la manière dont il se retenait avant de lui sauter dessus. Il entendait encore ses mises en garde, ses demandes insistantes pour qu'il s'en aille, demandes qu'il n'avait pas écoutées, parce qu'il voulait l'aider.

Mais il se souvenait aussi du reste. Des mains sur lui. Des paroles de Scott. De tout ce qu'il lui avait sous-entendu. De l'horreur qu'il lui avait souhaitée, le rabaissant plus bas que terre pour son bon plaisir. Le point de départ de tout ça, c'était Liam.

Et pourtant, Stiles n'arrivait pas à lui en vouloir. C'était idiot, mais... Il était incapable de ressentir la moindre rancœur le concernant. Peut-être parce que dans sa tête, c'était le bordel. Peut-être parce que dans le fond, une petite part de lui se disait que Liam lui-même ne voulait pas lui faire le moindre mal, que ce qui l'avait pris s'était révélé trop fort pour lui. Peut-être parce qu'il avait mal pour Liam. S'il le voyait face à lui, il prendrait peur. Néanmoins, il le laisserait s'approcher, sans doute. Parce qu'il n'était pas du genre rancunier et que s'il pouvait aider... Il le ferait. Toujours. Il était comme ça. Trop gentil. Bien que conscient de cela, Stiles n'essayait pas de changer à ce niveau-là. Il aimait s'occuper des autres, de cette meute si chère à son cœur, meute pour laquelle il donnerait tout. Tout, oui, sauf ce que Liam avait voulu lui prendre par la force.

Or, Stiles continuait de se dire que le Liam qu'il connaissait n'aurait jamais fait ça de son plein gré.

C'était peut-être idiot, mais l'hyperactif n'arrivait pas à se retirer cette idée de la tête. Et elle le torturait, sans cesse. Ses souvenirs combattaient ses certitudes qui peu à peu s'ébranlaient. Stiles était incapable de se fixer sur une idée tant elles lui paraissaient toutes plus floues les unes que les autres. Il se sentait lui-même instable, comme s'il passait ces derniers jours à marcher sur un fil, comme si sa vie elle-même... Pouvait s'effondrer à tout moment. Il le sentait, et ça le terrifiait.

Des coups portés sur la porte le tirèrent brutalement de ses pensées. Pas que Derek – parce que c'était forcément lui – avait été particulièrement brusque lorsqu'il avait toqué, simplement... Stiles surréagissait au moindre bruit, comme s'il avait gagné, avec tout cela, une hypersensibilité des plus dérangeante. Tout le stressait, tout lui faisait peur, tout le crispait, tout le faisait sursauter. Alors, il articula péniblement un pauvre « oui » qui permit ainsi à Derek d'entrer sans trop attendre. Le loup lui laissait son intimité, tout comme il lui laissait toujours le choix d'accepter sa compagnie ou non. Stiles appréciait le geste, mais il était incapable de le dire. Parce qu'il avait peur que cela dérape. Dans quel sens ? Il n'en avait aucune idée. Il était juste terrifié et la manière dont ses blessures le tiraillaient parfois lui rappelaient à quel point il pouvait mal tourner. Il suffisait parfois de gestes, d'autres fois de mots, et il basculait. Ainsi, il baissa légèrement la couette et leva son regard vers le loup dont le visage semblait défait. Pas complètement, mais assez pour que Stiles entrevoie une différence avec son air habituel, un mélange d'indifférence contrôlée et de bienveillance à peine dissimulée. Stiles voulut faire l'effort de se redresser, avant de se raviser rapidement. Il était bien, ainsi et... Bouger ne ferait que faire renaître la douleur et l'inconfort dans leur entièreté.

- Je peux m'assoir ? Demanda le loup en désignant le lit d'un geste presque... Timide ?

Si Stiles avait été dans son état normal, sans doute lui aurait-il rétorqué qu'il n'avait nul besoin de lui demander quoi que ce soit étant donné que ce loft était le sien et ce, dans son entièreté. On dit que l'invité est roi, mais l'hôte a tous les droits, au fond. Cependant, il hocha doucement la tête et abandonna définitivement tout idée relative à un changement de position. Connaissant le loup, celui-ci chercherait à lui prendre sa douleur alors même qu'elle pouvait rester latente. S'il restait allongé ainsi, tout irait bien. A nouveau, Stiles ressentit une certaine culpabilité à l'idée de se dire qu'il était l'unique auteur de son malheur et que Derek avait eu une trop grande bonté d'âme pour l'abandonner à son sort. Stiles songea qu'il aurait pourtant dû. Pourquoi s'encombrer d'un parasite tel que lui ? Son comportement actuel dénotait d'une certaine toxicité. Si elle était pour l'instant uniquement tournée vers lui-même, qui lui disait qu'elle ne finirait pas par se diriger vers les autres ?

- Comment tu te sens ? Demanda doucement le loup en se rapprochant un peu.

Derek commençait toujours leurs maigres entrevues avec cette question et comme toujours, Stiles ne savait pas exactement quoi répondre. Toutes ses idées et ses réflexions se bousculaient dans sa tête, mais une seule ressortit du lot à cet instant et il la verbalisa sous la forme d'un seul et unique mot.

- Stable, articula-t-il.

Stable, parce qu'il arrivait à contrôler les pulsions horribles qui ne cessaient pourtant de l'assaillir. Elles continuaient de le harceler, guettant le moindre moment de faiblesse pour le mettre à terre et le pousser à les exécuter. Faible, il l'était pourtant beaucoup à cet instant. Disons simplement... Qu'elles n'étaient pas assez fortes pour détruire sa volonté de ne pas se charcuter de la sorte. C'était difficile, parce que ces pulsions ne le quittaient pas, agissant en continu sur son mental des plus précaires. Comment pouvait-on ressentir un tel mal-être sans que celui-ci ne s'arrête une seule seconde ? Alors oui, stable était le mot adéquat pour décrire la manière dont il se sentait, son état.

Derek laissa passer quelques secondes, avant de hocher la tête, sans doute satisfait du rythme des battements de son cœur.

- J'ai à te parler, finit-il par souffler avec difficulté, comme si cela lui coûtait.

Et il le fit. Il lui présenta la situation telle qu'elle était, sans lui parler de l'étrange lien qu'il avait potentiellement avec Isaac. Il fut honnête dans chacune de ses paroles et si le regard de l'hyperactif le clouait sur place tant il était douloureux, Derek savait qu'il l'écoutait. Il avait peur, mais il l'écoutait.

Et il finit par lui donner son aval sans aucune réticence, alors que sous les draps, ses mains tremblaient, se tendaient sous l'assaut d'une nouvelle pulsion d'horreur.

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top