Chapitre 4

Mon directeur me précède, me laissant avec mon meilleur ami : mon sentiment de malaise. Après cette belle séquence, Dieu seul sait ce que les autres vont croire ? Non, mais, imaginez le truc :

—  Mais où est Maya ?

— Dans le bureau du directeur de la rédaction, elle connaît déjà le chemin jusqu'à la braguette de son pantalon.

Vive la rumeur de la promotion canapé.

Je saisis donc mon bloc-notes, un stylo, et je file chez Raphaël sous le regard amusé d'une partie de mes collègues.

Quand j'y entre, Raphaël est assis derrière son fauteuil, il me dévisage sans rien dire. J'ai l'impression d'être une petite fille convoquée chez le proviseur.

« Venez ici, mademoiselle, ricane-t-il à voix basse. » Non, mais ça ne va pas, Maya !

Nos regards se croisent et je me tortille, mal à l'aise. Maya, bordel, on dirait une ado !

— Assieds-toi, je t'en prie, murmure-t-il d'une voix douce.

J'ai des frissons partout quand je m'exécute.

Note pour plus tard : avoir une libido sélective, je ne peux pas fantasmer sur mon collègue et sur mon directeur. Ça fait mauvais genre.

— Avant de commencer, j'ai besoin de savoir...

Quoi ?

— Es-tu heureuse chez nous ?

La question de Raphaël me déstabilise.

— Très heureuse. L'équipe est super sympa (canon : ça, je ne l'ai pas dit), les projets sont géniaux.

— Tant mieux, j'en suis ravi. Cela m'attristerait que ma recrue préférée ne s'épanouisse pas dans notre belle rédaction.

Je rougis un peu : n'est-ce pas un ange ? Est-ce que tous les supérieurs sont aussi attentionnés avec leur personnel ?

J'envisage surtout deux options : soit c'est le boss le plus gentil de toute la Terre, soit il veut juste que je finisse dans son lit.

Qui vient de dire : pense à l'option n°2 ?

Une nouvelle fois, je me force à sourire pour cacher mon malaise. Sans attendre, Raphaël enchaîne :

— Je viens de recevoir la liste des restaurants promus par TripAdvisor. J'aurais besoin d'une interview de la patronne du nouveau n°1. Je me demandais si Terry et toi pouviez vous en charger.

— Euh oui, bien sûr !

Ça tombe bien, je trouve qu'on n'avait pas assez de boulot.

— Parfait.

Il me remet une clef USB avant de me raccompagner jusqu'à la porte. Quand il tourne la poignée, sa main frôle ma taille. D'une voix douce, il ajoute :

— Au fait, il me faut le premier jet pour ce soir.

Je repars en traînant les pieds et en modifiant mon emploi du temps mental : eh oui, ça fait partie des joies du métier de journaliste, tu bosses jusqu'à pas d'heure et avec le sourire en plus !

***

Quand j'arrive à mon bureau, mon cœur chante une louange : Terry est là ! Sourire de bad boy aux lèvres, il contourne mon petit espace de travail pour venir me faire la bise.

— Bonjour Maya !

Salut, beau gosse.

— D'où viennent ces vilains cernes sous tes yeux ?

J'hésite à lui dire que c'est lui le fautif. Avec tout ce qu'il m'a fait cette nuit en rêve...

— Une nuit un peu agitée, rien de plus.

— Je vais en vouloir à ce type qui dénature le si joli minois de ma collègue de travail. Alors, qu'avons-nous au programme de notre journée ?

Je n'écoute qu'à moitié, mon cerveau s'est arrêté sur une info : il me trouve jolie ! Je me redresse.

— Enfin, je dis un homme, peut-être était-ce une femme ? Je ne connais pas encore tous tes secrets, belle Maya de l'Ohio.

Je prétexte la lecture du dossier pour plonger la tête dans les feuilles posées devant moi. Trop tard, je ne vois plus la liste des adresses des restaurants, mais mon magnifique collègue à poil. Respire, Maya, respire.

Note pour moi-même : mais gourdasse, réfléchis avant de lui parler.

Je soupire et essaye de reprendre le contrôle de la situation. Terry, lui, bien sûr, est hilare !

— OK, c'est bon, monsieur le play-boy. Nous avons un article prioritaire à rendre à Raphaël pour ce soir.  Allez, hop ! Au boulot !

— Oui, madame, tout de suite ! Il ne s'agirait pas de contrarier monsieur Spencer, lance mon beau brun.

— Ce qui me semble une excellente idée.

Un silence de mort tombe sur la rédaction : personne n'avait remarqué la présence de Raphaël.

Son regard d'ordinaire si chaleureux est glacial quand il se pose sur mon doux Terry qui serre les dents. Pourquoi ai-je le sentiment que ces deux-là ne s'apprécient guère ?

Heureusement, la situation ne s'éternise pas. Raphaël tourne les talons en se contentant d'ajouter :

— Je loue la patience de mademoiselle Smith, monsieur McAlistair.

Terry serre les poings. Entre ses dents, il murmure à mon intention :

— Tu viens ? J'ai besoin d'un café.

Moi, je n'en suis pas certaine.

***

Lorsque nous arrivons à la cafétéria, Terry n'a toujours pas décroché un mot. J'essaie de trouver un truc drôle à lui dire, mais tout ce qui me vient est d'une platitude mortelle. Je préfère donc me taire.

Nous nous retrouvons avec quelques collègues des rubriques sport et faits divers autour du plan de travail où se trouvent une machine à thé et à café ainsi qu'un micro-ondes.

Ce coin de la boîte est un peu notre refuge, à Terry et moi. Certes, ce n'est ni glamour ni intime, mais ça nous donne le sentiment d'avoir un petit endroit à nous pour discuter de tout et de rien lors de nos pauses.

Soucieuse de lui changer les idées, nous parlons du reportage que nous avons à faire et de la place que nous allons accorder à l'influence des réseaux sociaux dans l'article. Et nous ne sommes pas d'accord : si à mes yeux, la communication via les réseaux sociaux est aujourd'hui un élément essentiel, mon beau collègue est plus sur la réserve.

— Regarde le resto qui était premier l'année dernière à la même période, me dit-il. Il n'est plus que 15ème cette année. Tout ça pour une série de mauvais avis... Et rien ne nous prouve que les gens sont honnêtes, ou que ce sont de vrais clients.

Sur le fond, il n'a pas tout à fait tort. Je m'en vais lui opposer un argument quand son portable bipe. Il regarde le message qui vient d'arriver et sourit.

— Une bonne nouvelle ?

Je sais, la curiosité est un vilain défaut, mais... c'est plus fort que moi.

— Un pote critique artistique qui peut m'avoir deux invitations pour un vernissage.

— Sympa !

— Tu veux venir ?

Je manque de m'étrangler avec mon café. On est bien d'accord, il vient de m'inviter à sortir.

— Avec plaisir.

Voilà ce qui me désarçonne avec Terry : il y a cinq minutes, on parlait boulot, et là, sans prévenir, il me propose une expo. Que veut-il en définitive, sortir avec moi, oui ou non ?

À travers mes cils, je le regarde répondre à son ami. Il ne se pose pas toutes ces questions a priori. Tout sourire, Terry jette son gobelet à la poubelle en me disant :

— Bon, on va peut-être s'y remettre. Je n'ai pas envie de passer la nuit ici.

Oh, ça dépend, si on reste ici enfermés tous les deux, j'ai environ deux mille scénarios en tête sur la manière dont nous pourrions tuer le temps. Et étrangement, appeler les secours n'en fait pas partie. Soit j'ai parlé à voix haute, soit il est télépathe, mais le voilà qui me sort en plein milieu du couloir :

— Allez, viens, au boulot ! Tu ne vas pas passer la journée à ne penser qu'à moi.

Je me contente de rouspéter pour moi-même :

— Si tu savais ce que j'imagine quand je pense à toi, tu serais choqué, garçon.

— Eh bien, mademoiselle Smith, vous arrive-t-il de travailler entre deux pauses ?

Je sursaute et suis à deux doigts de m'ébouillanter. Je fais un quart de tour et affiche un regard mauvais : derrière moi, vêtue d'un chemisier toujours beaucoup trop petit pour elle, se tient Tiffany.

Nous nous toisons quelques secondes en silence sans la moindre gentillesse. Elle ne m'aime pas, ça tombe bien, c'est réciproque !

C'est la seule personne du journal avec qui mes relations ne sont pas au beau fixe. Heureusement, je ne la croise pas souvent, mais le peu de fois où nous nous trouvons dans la même pièce, il y a, comme qui dirait, un peu de tension dans l'air.

Vous vous demandez sans doute pourquoi elle me déteste ? Eh bien... je n'en sais rien.

— De ce que je sais, monsieur Spencer vous a confié un article pour ce soir. Vu votre enthousiasme à vous mettre au travail, je crains qu'il vous soit compliqué de tenir les délais, mademoiselle.

J'hésite entre lui coller une grosse gifle et faire preuve d'une retenue digne d'un maître zen. Ma première idée me tente beaucoup, mais je pense à mon job et surtout à mon collègue ; si je veux les garder tous les deux, autant prendre sur moi.

Je respire en serrant un peu trop fort le carton de mon gobelet entre mes doigts.

— Mon collègue et moi sommes une bonne équipe.  Monsieur Spencer aura son premier jet ce soir, comme convenu.

— Je vous le souhaite, mademoiselle, je vous le souhaite.

La garce fait demi-tour en faisant claquer les talons de ses escarpins et quitte la cafétéria en me laissant de très mauvaise humeur.

Quand j'arrive à mon bureau, j'ai imaginé environ dix mille manières de l'étouffer avec le string qu'elle porte sûrement. Constatant mon état, Terry m'interpelle à voix basse :

— Que t'arrive-t-il ?

— Rien, je viens d'échanger quelques mots avec cette pétasse de Tiffany. Sans rire, elle est éditorialiste, je suis une petite main. Pourquoi agit-elle comme ça avec moi ?

Mon séduisant collègue me regarde comme si j'étais la dernière des crétines :

— Voyons, Maya, c'est évident.

–— A priori, plus pour toi que pour moi ! Si tu veux bien éclairer ma lanterne, bon génie.

Terry me sourit tendrement - dois-je préciser que je fonds littéralement ?

— Tu ne te vois pas, Maya ? Vu la tonne de peinture dont elle s'enduit tous les jours, elle ne doit pas supporter la beauté au naturel.

Plongeant ses yeux dans les miens, il ajoute :

— Tu es super belle, miss.


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