Chapitre 3

De retour dans mon petit nid douillet, je dépose mon sac, allume mon ordinateur et branche mon appareil photo pour y télécharger la centaine de photos faite ces derniers jours : le ciel, les jardins de la ville, la cuvette de mes toilettes, Terry au boulot.

Je laisse mes doigts dessiner l'ovale de son visage, mon pouce tracer la courbe de ses lèvres sensuelles. Si je m'écoute, je vais imprimer son portrait en format poster et le mettre en guise de tête de lit. Putain, ce type est un canon ! Je ne m'en remets toujours pas.

Je jette un coup d'œil à ma pendule : 18 h 30. J'ai une bonne heure avant de rejoindre Karen. Je me cale contre un coussin, allume la télé pour zapper de chaîne en chaîne, sans but.

Je finis par mettre un de ces programmes débiles où des midinettes gonflées au silicone se trémoussent devant un type louche au regard lubrique. Et le pervers du jour se nomme Moses Kingsley. Sa marque de fabrique ? Les choisir toutes vulgaires au possible et moulées dans des tenues qui seraient trop courtes pour une poupée Barbie.

Nichée entre mon chien et mes coussins, je m'imagine regardant la même émission lovée dans les bras de Terry, l'une de ses mains autour de ma taille, l'autre caressant mes cheveux...

... Sa peau est douce contre la mienne, sa main qui passe et repasse dans mes cheveux me berce. Je me niche contre son torse musclé, j'entends battre son cœur à travers son t-shirt. Je suis tellement heureuse que j'ai l'impression de planer. J'ouvre un œil puis souris largement : Terry est penché au-dessus de moi, un doux sourire sur ses lèvres magnifiques.

Conquise, je tends une main pour caresser sa joue, quand mes doigts frôlent sa bouche. Il les embrasse avec tendresse. À ce simple contact, mon cœur chavire, tout mon corps vibre et je réalise combien j'ai envie de lui. Je me redresse pour aller chercher ses lèvres, jetant mes bras autour de son cou. Avec un grognement sourd, Terry répond à mon baiser.

Ma langue part à la rencontre de la sienne. Enivrée, je tire sur ses belles mèches brunes. Je l'entends me gronder gentiment :

Si tu continues, tu vas prendre une bonne claque sur les fesses.

Loin d'être choquée, sa proposition m'émoustille. Je tire plus fort, rien que pour le provoquer.

Dois-je vous rappeler, mademoiselle Smith, que vous êtes seule dans cet appartement en compagnie d'un mauvais garçon ? poursuit Terry au creux de mon oreille.

Son souffle chaud me rend folle.

Même pas peur.

Vraiment ?

Terry me prend au mot et, soudain, il me bascule sur le canapé, sous lui. D'un geste souple, il retire son t-shirt. J'ai chaud, très chaud... Climat désertique dans mon salon.

Il se penche sur moi, ses mains passent sous mon top qu'il remonte centimètre par centimètre. Dans ses yeux danse une lueur sombre. Mon homme est affamé.

Voyons voir dans combien de temps tu vas me supplier d'arrêter, ajoute-t-il d'une voix rauque en dégrafant mon soutien-gorge, son nez entre mes seins...

La sonnerie de mon portable me réveille en sursaut et je chute lamentablement du canapé.

La dépravée que je suis était en plein rêve cochon avec son collègue. Je m'appuie sur ma table basse, le souffle court, encore à moitié empêtrée dans mon fantasme. Je suis trempée, bonne à repasser sous la douche.

Maya, faut que tu te reprennes : soit tu te trouves un mec avec qui tu assouvis toutes tes envies, soit tu trouves le courage d'aller voir Terry... Dans l'espoir de le violer un jour sur ton canapé ou le sien.

Soupirant, je me redresse et me traîne jusqu'à la douche : avec un peu de chance, l'eau froide va m'aider à me sortir Terry de la tête.

***

Ou pas. Lorsque j'arrive au « District », notre bar lounge favori avec Karen, j'ai encore la tête pleine d'un beau brun uniquement à peine vêtu d'un t-shirt.

Alors que je pousse la porte du bar, je vois une queue de cheval blonde déjà accoudée. Je souris en reconnaissant ma copine

Ah oui, vous vous demandez peut-être qui est Karen. Vous vous souvenez de ma première entrée au BT ? Accueillie par une fille craquante que j'ai tout de suite détestée par la même occasion ? Eh bien, cette jolie blonde, c'est Karen ! Pourquoi je ne la déteste plus ? Car nous avons appris à nous connaître, tout simplement. Un midi, alors que je m'apprêtais à déjeuner seule à mon bureau, elle est passée, un dossier sous le bras. Gentiment, elle m'a proposé de venir manger avec elle dans un petit resto qu'elle adore. À force de papotage, on s'est trouvé plein de points communs. On ne s'est plus quittées depuis.

Karen et moi sommes pourtant très différentes : elle est jolie comme un cœur, je suis assez banale ; elle est sûre d'elle alors que je n'ai aucune confiance en moi, c'est une croqueuse d'hommes, je suis un désert affectif. Mais c'est une oreille attentive à qui je peux tout raconter et ses conseils sont toujours avisés.

Lorsqu'elle me voit, son visage s'illumine d'un grand sourire. Relation de cause à effet : les deux types en costume assis à côté d'elle la regardent avec gourmandise. Je sens une pointe de jalousie s'insinuer en moi. Néanmoins, je fais bonne figure en prenant place à ses côtés.

— Salut, ma belle ! s'exclame Karen en me faisant la bise.

— Salut, et c'est toi la belle ; moi, je suis plutôt la bête, c'est à peine si j'ai eu le temps de m'épiler, on dirait un ours.

Ma copine éclate de rire avant de pincer mon nez :

— Arrête de te dévaloriser, Maya ! Tu es une superbe fille, fais-toi un peu confiance. N'est-ce pas, messieurs, que mon amie est ravissante ?

Les deux gars sont heureux d'abonder dans son sens et de nous offrir un verre. Voilà, c'est ça que j'aimerais être capable de faire : aborder spontanément deux inconnus sur un coup de tête. Au lieu de quoi, je baisse les yeux sur le cocktail qui vient d'être posé devant moi.

Après les avoir remerciés, Karen reporte son attention sur moi :

— Tu vois, ce n'est pas très difficile. Je t'assure que tu n'aurais pas grand-chose à faire.

— Je crois que ma marraine la bonne fée a oublié de me donner de la confiance... Mais on ne va pas passer la soirée à parler de moi. Je veux tout savoir de ta dernière conquête : j'aime vivre par procuration.

Karen rit aux éclats avant de se lancer dans le récit de sa soirée interdite aux moins de dix-huit ans. Je rougis jusqu'à la racine des cheveux quand elle attaque les détails de sa nuit dépravée. Je crois que le type assis à côté d'elle est en train de prendre des notes...

— Perso, je ne suis même pas sûre de savoir encore comment ça marche.

— Il y a de bons accessoires pour entretenir la mécanique, ajoute Karen, mutine, en aspirant son cocktail avec sa paille.

Je m'étouffe à moitié avec ma boisson, quant au gars le plus proche de moi, il a failli tomber de son siège ; mon Dieu, qu'est-ce qu'il doit imaginer ?

— Donc, dans tous les mâles sexy de la ville, aucun n'a trouvé grâce à tes yeux ? poursuit-elle.

Je fais tourner mon verre entre mes mains : allez savoir pourquoi, j'hésite à lui avouer mon coup de cœur pour Terry. La peur du ridicule sans doute, c'est tellement cliché la fille qui tombe amoureuse de son collègue de boulot.

— Oh, j'ai mis le doigt sur quelque chose, vas-y raconte. Et je t'interdis d'oublier le moindre détail.

Hésitante, je me lance :

— J'ai bien un début de béguin pour un type grand, beau et sexy, mais comme je suis une poissarde en amour, la peur du râteau comme du ridicule me paralyse.

Le regard de Karen se fait malicieux.

— Il n'y a qu'un moyen de conjurer le mauvais sort, ma belle, c'est de foncer tête baissée.

— Ça, c'est ton domaine de compétence, pas le mien, je te rappelle.

— Je vais te présenter deux ou trois de mes potes dont tu pourras abuser avant de leur piétiner le cœur. Comme ça, tu seras au point pour attaquer ce mâle qui t'impressionne tant.

Nous rions toutes les deux. Après tout, je devrais peut-être parler de mon coup de cœur à Karen, je suis certaine qu'elle saurait me dire quoi faire pour que les choses évoluent dans le bon sens. Après un chouette moment, nous sommes reparties chacune de notre côté, au grand désespoir de nos deux voisins qui s'imaginaient bien nous raccompagner.

***

Seule dans mon lit, mes pensées dérivent invariablement vers Terry.

Que fait-il à cette heure-ci ? Est-ce qu'il dort ? Est-ce qu'il regarde un film ? Est-ce qu'il est seul ? Mon cœur se serre à cette idée. C'est vrai ça, qu'est-ce que je vais faire si je découvre qu'il a une petite copine ?

Si c'est le cas, il me restera le choix entre mourir et mourir + déprimer.

Je me tourne et me retourne encore sous ma couette. Pourquoi ai-je le sentiment que cette nuit va être longue ?

***

Comme je le craignais, j'ai peu dormi. Trop peu pour une fille qui doit se lever tôt et dont le bureau est encombré de dossiers assez urgents.

J'ignore à quelle heure j'ai fini par m'assoupir - si toutefois j'ai dormi - , mais une chose est sûre : je n'ai pas entendu mon réveil ce matin et il a fallu faire vite dans la salle de bain. Allez hop, un coup de brosse, un coup de blush et direction le journal.

J'arrive donc au bureau avec une tête de déterrée - dommage, Halloween est dans plusieurs semaines. Je jette un coup d'œil rapide en face de moi : bureau vide, Terry n'est pas encore là. De toute façon, aujourd'hui, chance de séduction : 0.

Comme je m'assieds, je renverse mon sac, soupire et me baisse pour ramasser son contenu éparpillé sur le sol.

— Bonjour, Maya, est-ce que tout va bien ?

Je sursaute et redresse la tête... Mes yeux sont à hauteur d'une braguette de pantalon - de mon point de vue, c'est gênant, très gênant. Je lève la tête, et là, le malaise s'accentue : le propriétaire du pantalon, c'est Raphaël.

Lui par contre, ça n'a pas l'air de l'ennuyer : je dirais même qu'il y a une certaine malice dans son regard. Avec un petit sourire, il me tend la main avant de me dire :

— Laissez-moi vous aider, mademoiselle Smith.

— Merci, bredouillé-je.

Sa main est douce sur la mienne et, quand il me relève, je prends conscience que je suis le point de mire de toute la rédaction.

J'ai envie de disparaître quand Raphaël ajoute :

— Maya, peux-tu venir dans mon bureau, s'il te plaît ?

***


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