Chapitre 8

Point de vue de Harry

Mon cœur hurle de toutes ses forces quand j'aperçois la porte du bureau se refermer sur la silhouette fine de Madi.

Je me précipite sans hésiter sur la poignée pour la rattraper mais, dans un geste effréné, je me cogne violemment contre le bureau et la douleur m'envahit jusqu'à me faire tomber. Je me recroqueville sur moi-même en étouffant un cri. Ma côte me lance terriblement. En soulevant mon t-shirt, je constate qu'elle a pris une teinte encore plus violette que tout à l'heure. Il faudrait peut-être que j'aille à l'hôpital demain, qu'ils me donnent une crème ou une autre merde trop chère dans le genre.

Soucieux de mon cœur et de mon autre blessure que je dois absolument réparer, je m'oblige à me relever en grognant et réussis enfin à sortir du bureau. Je me traîne tant bien que mal le plus vite possible mais c'est inutile parce que le temps que j'arrive à l'angle du couloir, Madi a déjà disparu depuis longtemps. J'ai définitivement épuisé ma chance, putain de blessure.

Je m'affale contre le mur et les larmes recommencent à couler.

Pourquoi est-ce que je pleure comme une fille ce soir, putain !

Je crois que c'est parce que,malgré ces deux ans passés dans une autre ville, c'est vraiment la première fois de ma vie où je me sens si éloignée d'elle. Et je crois aussi que c'est parce que c'est la première fois de ma vie que je déteste autant un moment passé avec elle. La voir pleurer, son agressivité, le ton de chien battu qu'elle s'est autorisée par moments et le self-control implacable qu'elle arborait à d'autres, comme si je n'étais même plus capable de la cerner !

Mon cœur se comprime de plus en plus quand je la revois me gifler.

Quelle soirée de merde !

Je sais que je me suis comporté comme un con, mais je n'avais pas le choix. Je ne peux pas lui dire pourquoi je suis parti, c'est comme ça. J'ai fait un pacte avec moi-même ce jour-là et elle ne le brisera pas, jamais.

N'empêche, j'aurais tellement aimé ne pas m'être trompé en pensant qu'elle m'oublierait rapidement et que tout irait bien dans le meilleur des mondes sans moi. Peut-être que je ne la connais pas si bien que ça après tout. Et peut-être que c'était la dernière fois que j'entendais sa voix,pour toujours.

Je sais une seule chose. Je ne peux pas vivre dans un monde où elle me déteste. J'ai besoin de me noyer dans le bleu de ses yeux encore des millions de fois, de sentir à pleines narines son parfum fleuri et son shampoing irrésistible à la vanille. J'ai besoin de la faire rire encore et toujours pour les mêmes blagues débiles et de goûter à sa cuisine trop cuite en faisant semblant d'être comblé pour lui arracher un sourire.

J'ai besoin de la récupérer, à tout prix. Et ce n'est ni un petit merdeux qui lui prête sa veste,ni son connard de frère qui se mettront en travers de mon chemin.

Point de vue de Madison

A peine ai-je constaté que le couloir morne de l'administration est toujours désert, que je m'autorise enfin à fondre en larmes, encore une fois. Tout ce que j'ai masqué par une colère violente durant ces cinq dernières minutes refait brutalement surface en cascade et Dieu merci, personne n'est là pour me juger sur mon maquillage sûrement désastreux ou pour remarquer le pouvoir tyrannique que mes émotions ont sur moi.

Je crois m'être rarement sentie aussi énervée contre quelqu'un. Quand je repense à tout ce qui vient de se passer, je suis incapable de voir les bons côtés, comme d'avoir entendu sa voix à nouveau ou de savoir qu'il n'a pas totalement changé, je ne peux que me souvenir de cette phrase absurde qui fait inlassablement écho dans mon esprit depuis qu'elle est sortie de ses lèvres gercées, ces sept petits mots qui me font regretter de ne pas être partie en courant alors que j'en avais encore l'entière possibilité, «Je ne peux pas t'expliquer mon départ».

Je pense que même dans les scénarios les plus fous, je n'aurais jamais pu imaginer une issue pareille à celle-ci. Ce qui est sûr, c'est que tout ça est encore bien pire que d'être restée dans l'ignorance : je sais que la réponse que j'attends était là, dans cette pièce, tout prêt, mais il ne l'a pas autorisée à parvenir jusqu'à mes oreilles. J'étais assise à quelques centimètres à peine de lui, je lui ai tenu la main, et il m'a regardé droit dans les yeux en me faisant comprendre qu'il ne voulait pas que je sache. Un coup de poignard n'aurait pas été plus douloureux.

Je ressens beaucoup trop de choses en même temps durant mes premiers pas à travers les couloirs vides du bahut, mais avant tout je suis profondément fatiguée. Fatiguée de me sentir toujours mal et de ne passer mon temps qu'à pleurer. Fatiguée de trop réfléchir, toujours sur les mêmes choses, et de ne jamais rien avoir d'agréable en tête. Fatiguée que cette soirée de bal de promo se soit passée de cette manière si exécrable et fatiguée de ce poids qui pèse de nouveau sur mes épaules parce qu'une fois de plus, je suis dans une impasse et que je n'ai aucune idée de ce qui est le mieux à faire à présent.

Comme je n'ai plus du tout envie de me forcer à quoi que ce soit, j'enlève enfin mes talons et déambule dans le lycée sans vraiment savoir où je vais et sans vraiment me préoccuper d'où je suis, simplement en prenant au hasard les escaliers et les virages tels qu'ils se présentent à moi. Me perdre comme ça me restitue vite une partie de mon calme, même si je ne parviens pas totalement à stopper mes larmes.

Après plusieurs longues minutes de marche, je reconnais un endroit qui m'est familier, la porte des toilettes du première étage. Je passe d'abord devant en l'ignorant, puis je me rappelle vite qu'il faudra bien, à un moment ou à un autre, qu'un membre de ma famille vienne me chercher, et que je n'ai absolument aucune envie de lui fournir une quelconque explication sur le fait que mon mascara s'est répandu partout sur mon visage.

Je me décide donc à revenir sur mes pas, mais je n'ai même pas le temps d'ouvrir la porte que quelqu'un sort en trombe de la petite pièce mal éclairée et me bouscule. Mes yeux croisent rapidement ceux de la personne, et à ma plus grande surprise, je découvre Hanna, toute secouée et le visage entièrement ravagé par les larmes. Son menton tremblote, et elle se précipite spontanément dans mes bras en murmurant des mots déformés par ses larmes qui l'empêchent de respirer normalement. Inutile de comprendre ce qu'elle dit pour savoir comme s'appelle le mal : Tucker Lewis a encore frappé.

Quand je repense à ce sourire rayonnant qu'elle a arboré en l'apercevant tout à l'heure, je me dis qu'il a vraiment dû se passer beaucoup trop de choses horribles ce soir pour qu'elle en arrive là. Je me rends compte d'ailleurs que c'est la toute première fois que je la vois pleurer. D'habitude c'est toujours elle qui me réconforte et me remotive dans les moments les plus durs, qui me pousse à faire les choses les plus folles et à sortir des sentiers battus pour m'amuser un minimum. Cette inversion des rôles me fait un choc énorme et je me sens encore plus mal qu'il n'y a quelques minutes. Quand je pense que c'est pour lui faire plaisir que je suis venue ce soir...

Est-ce que cette soirée pourrait possiblement être pire ?

Je l'entoure de mes bras en essayant de la rassurer comme je peux avec mes mots. Inutile de la faire parler maintenant, elle semble exténuée autant que moi et je ne lui rendrais certainement pas service. En plus je ne tiens pas du tout à rester une minute de plus dans ce bahut. Le mieux est de foutre le camp d'ici une bonne fois pour toutes afin d'éviter toute aggravation.

- Allez viens, on rentre à la maison, chuchoté-je en relâchant mon étreinte.

Elle se recule mais écarquille les yeux et pose ses mains sur deux épaules.

- Ton maquillage... Pourquoi tu as pleuré ?

- Je...

- J'aurais pas dû partir avec lui ce soir, je suis vraiment désolée Madi, pardonne moi j'ai été totalement égoïste, me coupe t-elle. Tu n'es pas seule ma belle, je serai toujours là, et ce n'est pas parce que tu t'es retrouvée toute seule ce soir que tu ne rencontreras jamais celui qui te mérite. Allez, fichons le camp d'ici, finit-elle en attrapant ma main.

Je n'ajoute rien et me laisse entraîner avec soulagement par sa marche rapide et déterminée. Lui expliquer tout de suite serait vraiment beaucoup trop long, on serait sûrement là jusqu'à l'aube. Et je ne tiens vraiment pas à vivre d'autres drames tous plus inattendus les uns que les autres.

Le volume excessif de la musique est toujours d'actualité quand nous arrivons au rez-de-chaussée, même si la salle polyvalente s'est considérablement vidée depuis tout à l'heure.

Je suis bien contente de retrouver l'air frais de la nuit en atteignant la sortie. Nous arrivons sur le parking et je m'apprête à sortir mon téléphone pour appeler ma mère quand j'aperçois soudain la Toyota grise de mon frère foncer vers nous et s'arrêter en trombe sur une des places libres.

La portière s'ouvre et Caspar sort précipitamment de l'habitacle, visiblement sur les nerfs. Merde.

- Bordel Madi, à quoi sert ton portable ? hurle t-il en arrivant à notre hauteur. Ça fait presque une heure que maman est venue vous chercher, mais tu ne répondais pas ! Je te laisse imaginer le sang d'encre qu'elle est entrain de se faire ! Et pourquoi tu es dans cet état d'abord ? Et c'est quoi cette veste d'homme, putain ?!

- C'est vrai, c'est quoi cette veste Madi, renchérit Hanna qui la remarque à l'instant.

- Je, je...

- Tu quoi ! fulmine Caspar. T'es vraiment irresponsable ou quoi ? Comme si c'était pas assez dangereux de t'avoir laissée venir ici ! J'aurais dû t'en empêcher,je le savais putain, si seulement maman m'avait écouté !

J'en ai marre de son comportement étrange et de ses crises de colère pour rien, ça va bien deux minutes de jouer à se cacher des trucs et à me reprocher des choses dont il n'a même pas idée.

- Dangereux de quoi Caspar, merde est-ce que tu vas me dire ce qui se passe ?! Tu ne vois pas que je suis à bout de nerfs ou quoi ?!

Je me rends compte trop tard pour la énième fois de la soirée que crier n'est pas la bonne solution et je fonds en larmes de plus belle, beaucoup trop fatiguée pour repousser l'alerte que mon cœur m'envoie.

- J'ai passé définitivement une des pires soirées de ma vie ce soir alors s'il te plaît dis tout ce que tu as à dire ou tais-toi pour de bon, couiné-je en étouffant un sanglot.

Et là, alors que je m'attendais à ce qu'il me prenne dans ses bras comme il le fait toujours, je vois Caspar se crisper instantanément et serrer les points.

- Il a osé venir ce soir c'est ça? crache t-il, une haine infinie dans la voix.

Quoi?

- Comment tu...

- Montez dans la voiture.

Son ton est aussi tranchant qu'une lame de rasoir.

- Caspar, supplié-je.

- Monte, tout de suite, ordonne t-il, et je m'exécute sans chercher à discuter.

Hanna s'installe à l'arrière et mon frère prend la place du conducteur quelques secondes plus tard, après avoir fermé ma portière.

- Maintenant que je t'ai obéis, tu vas enfin me dire comment tu es au courant ? lancé-je, plus réveillée que jamais tout à coup.

- Vous parlez de quoi ? demande soudainement Hanna qui débarque comme une fleur.

Ni Caspar ni moi ne relevons sa question.

- Écoute Madi, j'ai beaucoup hésité à t'en parler, ne prend pas ce ton de reproche av...

- Attends une seconde, le coupé-je brutalement. Tu savais qu'il serait là avant que j'aille à la soirée, et tu ne m'as rien dit ?!

Finalement si, cette soirée peut être bien pire que ce qu'elle était déjà quand j'ai retrouvé Hanna.

- Laisse moi t'expliquer Madi...

- D'accord vas-y, justifie toi,répliqué-je sur un ton de marbre.

- Je l'ai croisé ce matin à la supérette, sans faire exprès. Il parlait avec son pote au rayon à côté du mien, et je l'ai entendu mentionner ton nom et le bal. Je n'ai même pas cherché à lui parler, la première à laquelle j'ai pensé c'était de te prévenir Madi. C'est pour ça que je suis revenu en trombe à la maison, dans le seul but de tout te dire. Seulement j'ai croisé maman dans le hall et elle m'a dit que c'était une très mauvaise idée de ne pas te laisser aller à cette soirée. Je l'avais appelée sur le chemin du retour pour l'avertir de ne pas t'amener au lycée, mais finalement elle m'a convaincu en quelques secondes de ne rien te dire, ce que j'ai fait. C'est là que j'ai décidé d'aller chez lui.

Je revois tout à coup en flash la lumière allumée au première étage de la maison de Harry et tout prend subitement sens, que je suis naïve.

- J'ai essayé de convaincre ce connard de te laisser tranquille, et quand je suis parti, je t'assure qu'il avait juré de ne pas y aller Madi, je te le promets, continue t-il. Je t'ai appelée au moins une dizaine de fois dans la soirée,et comme tu ne répondais pas, j'ai supposé que ça allait et que tu t'amusais bien finalement, conclut-il.

Je ne trouve rien à répondre et j'appuie passivement ma tête contre la fenêtre de la voiture.

Les larmes coulent sur mon visage,mais sans aucune agitation. Je n'ai plus qu'un souhait, me retrouver seule avec moi-même et dormir pour toujours. Je m'en souviendrai toute ma vie de ce bal de promo.

------------------------------

BONNE ANNÉE TOUT LE MONDE ! Je vous souhaite à tous le meilleur pour 2016, que tous vos vœux se réalisent
J'espère que vous avez passés de bonnes vacances :) de mon côté j'ai pris une grande résolution, je vais essayer de poster un chapitre toutes les semaines/deux semaines. Je ne peux rien promettre parce que c'est pas évident avec les cours en ce moment mais je vais tout faire pour essayer de m'y tenir.
Comment est-ce que vous envisagez la suite de l'histoire ?
Merci à tous de voter et de commenter toujours plus à chaque fois, vous êtes au top ! De gros bisous, Anne

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top