Chapitre 4

Les paroles de Caspar tourbillonnent et s'entrechoquent encore dans mon esprit quand je remonte dans ma chambre. J'ai essayé de questionner ma mère en la rencontrant dans le salon, mais elle semble aussi incrédule que moi. Quant à Evelyn, tant qu'il ne s'agit pas d'elle, elle ne s'intéresse à rien.

Je ne peux pas m'empêcher de penser que le comportement de mon frère était vraiment déroutant. Son arrivée fracassante, le ton de sa voix, son regard froid et son départ précipité, tout ça ne lui ressemble tellement pas. Je le connais par cœur, il est calme, doux et posé. Et plus important encore, il me dit tout.

Une petite voix dans ma tête me rappelle soudain que peu importe à quel point on croit connaître ceux qui nous entourent, il nous arrive parfois de nous tromper. Et je ne peux pas m'empêcher de penser à quelqu'un en particulier qui est la preuve même de cette leçon de vie. Harry.

Mais merde, là il s'agit de mon frère, mon sang. Je n'ai pas à douter de lui. Je lui fais confiance, il faut que j'arrête avec ma parano. Si ça avait été vraiment grave, il m'en aurait parlé, j'en suis sûre. Il se fait juste du souci pour moi, comme n'importe quel grand frère le ferait dans la même situation, et il avait peur de montrer son inquiétude. Il est parti parce qu'il avait une course à faire, ou qu'il avait rendez-vous avec quelqu'un, et puis qui suis-je pour avoir toujours besoin de savoir où il se trouve ?

Je ne sais pas tout à fait si je me dis ça pour me convaincre que je dois abandonner mes angoisses parce qu'elles sont ridicules ou juste pour enterrer ce doute en moi qui me hurle que mes angoisses ne sont justement pas si ridicules que ça.

Quoiqu'il en soit, j'essaie de chasser toutes ces pensées qui torturent mon esprit. Je vais profiter de ma soirée avec ma meilleure amie et tout ira bien.

Je retrouve Hanna dans la même position que celle où je l'ai laissée, les yeux rivés sur son téléphone. Elle le verrouille quand elle me voit entrer dans la pièce.

- Alors, qu'est-ce qu'il voulait ?

-Rien de spécial, en fait. Il a juste fait le petit discours traditionnel du grand-frère protecteur et j'ai promis de faire attention à moi ce soir, dis-je en haussant les épaules.

Ma voix est posée, mais suis-je vraiment sûre de moi ?

-Ok, un peu flippant quand même, remarque t-elle en souriant.

Je sursaute quand un cri de ma mère retentit dans les escaliers.

-C'est l'heure les filles, il faut y aller!

Hanna bondit du lit et part dans la salle de bain. Ses talons claquent sur le parquet. J'attrape ma pochette noire et y glisse mon téléphone en la rejoignant.

Nous nous inspectons une dernière fois devant le grand miroir et je suis soulagée en me trouvant aussi jolie que tout à l'heure. Hanna retouche légèrement sa coiffure et adresse des petits bisous à son reflet. Vous avez dit narcissique ?

Elle voit que j'ai remarqué son geste et nous rions de bon cœur. Je m'apprête à quitter la salle de bain mais elle me retient par le bras. Elle considère l'incompréhension qui se lit clairement sur mon visage et tend une main ouverte devant moi.

-La chaîne. Tout de suite.

Mince. Je croyais qu'elle aurait oublié notre discussion grâce à l'intervention de Caspar. J'aurais dû savoir qu'elle serait trop perspicace pour abandonner si facilement. Je ne veux toujours pas m'en séparer, mais c'est évident qu'elle ne me laissera pas m'en tirer cette fois-ci. Et puis c'est juste pour une soirée. Mes doigts effleurent les maillons en argent et caressent les pendentifs qui pendent à mon cou, une croix et une étoile de David.

Est-ce que je suis vraiment capable de faire ça ?

Elle me regarde avec insistance et je m'oblige finalement à défaire l'attache dans ma nuque en grognant. Je lui tends la chaîne et mon cœur se serre. Quand la sensation de froid que procure le métal quitte la paume de ma main moite, je ressens comme un vide en moi, comme si on venait de m'enlever quelque chose de très précieux sans lequel je ne respire pas pleinement.

C'est juste pour une maudite soirée, me répété-je pour combattre le manque qui m'envahit.

Je la vois refermer sa main sur le collier et le glisser dans la petite poche intérieure de son sac blanc Gucci. Elle me regarde d'un air compatissant et pose ses mains sur mes épaules.

- C'est pour ton bien, souffle t-elle. Un jour, tu n'auras même plus besoin de porter cette chose, tu verras, et ce jour là tu me remercieras.

Je ne peux rien faire d'autre que hocher la tête en silence pour retenir les larmes qui menacent de dévaster mon maquillage. J'aperçois en même temps le pull de Harry posé à côté du lavabo et je dois me forcer pour ne pas aller le chercher et le serrer fort contre moi.

- Les filles, dépêchez-vous un peu ! s'impatiente ma mère en bas.

- On arrive ! répond Hanna pour nous deux. Allez viens, on va bien s'amuser !

Seigneur, faites qu'elle ait raison.

*

Ça va bientôt faire un quart d'heure que la voiture a quitté la maison et je n'ai pratiquement pas écouté la conversation passionnée entre ma mère et Hanna qui partagent manifestement le même enthousiasme ridicule pour le bal de promo. Alors forcément, je suis un peu à l'écart.

Le regard posé sur les bâtiments qui défilent à travers ma fenêtre, je me pose encore beaucoup de questions à propos de cette soirée. Est-ce qu'on va vraiment s'amuser tant que ça ? Est-ce que c'était une si bonne idée d'y aller alors que nous sommes célibataires ? Vers quelle heure on va rentrer ? Autrement dit vers quelle heure je pourrais me blottir contre le pull de Harry et sentir enfin son odeur ?

Perdue dans mes pensées, je remarque soudain que nous empruntons une rue que je déteste, et c'est vraiment un euphémisme. Ça fait longtemps que je ne l'emprunte plus parce que je n'ai pas besoin de ça pour me rappeler à quoi elle ressemble, même si j'aimerais bien. Je la vois dans tous mes cauchemars, c'est la rue de Harry.

Je me demande pourquoi ma mère passe par là d'ailleurs. Je me retourne vers le siège conducteur pour la questionner du regard et comme si elle lisait dans mes pensées, elle coupe brutalement la parole à Hanna.

- Désolée chérie, c'est le chemin le plus rapide.

- Pas grave, grogné-je en me tournant de nouveau vers la fenêtre.

Hanna ne recommence pas à parler et je m'en veux un peu d'avoir interrompu leur conversation.

Mais cette pensée s'envole vite de mon esprit quand je vois que nous approchons de la maison de Harry. J'ai envie de détourner les yeux, mais ma curiosité est plus forte que ma raison.

Tant pis pour toi, se moque ma conscience.

La première chose que j'aperçois est le morceau de trottoir au bord duquel je m'assois toutes les nuits sans savoir pourquoi je suis là. Je déplace mon regard rapidement pour essayer de trouver quelque chose de plus agréable à regarder. Mais rien n'est agréable à regarder en fait, la maison semble à l'abandon depuis des mois. Mes yeux s'attardent sur la boîte aux lettres rouillée pleines de vieux journaux que personne ne lira jamais, on peut encore clairement lire en lettres noires «Styles». L'herbe du jardin est complètement sèche et jaunie par la chaleur du mois de juin. L'allée qui mène à la porte est couverte de terre que le vent a dû amener là et les deux géraniums de chaque côté de la porte sont desséchées depuis longtemps. Quelques plantes grimpantes et sauvages recouvrent le mur frontal et écaillent la peinture blanche de la maison.

Quand je repense à la jolie petite maison accueillante et chaleureuse où je trouvais parfois plus ma place que chez moi, constater ce qu'elle est devenue aujourd'hui me fend le cœur.

Comme les souvenirs que je garde avec la famille qui l'habitait, cette maison a été assombrie et rongée par le temps. Rien ne lui redonnera l'éclat qu'elle avait autrefois et même le soleil ne fait que l'abîmer davantage.

Alors que nous nous éloignons de plus en plus de la petite bâtisse, je remarque soudain quelque chose d'étrange, une lumière est allumée à l'étage. Je pousse un petit gémissement de surprise que j'étouffe rapidement. Je sens le regard inquiet de ma mère posé sur moi, mais je décide de l'ignorer.

À en juger par l'état de la maison, elle ne doit certainement pas avoir été vendue, ou alors les nouveaux propriétaires font tout ce qu'ils peuvent pour vivre dans une ruine. Pourtant, une voiture noire est garée sur la place de parking à côté et c'est loin d'être un taudis, une berline Mercedes noire. J'espère qu'il n'y a pas de squatteurs ou un truc dans le genre.

Nous tournons à l'angle de la rue et je vois la maison de mon ancien meilleur ami disparaître dans le rétroviseur, coupant cours à mes pensées.

Ma mère et Hanna recommencent à papoter quelques minutes plus tard et je ne me joins toujours pas à leur conversation dont j'entends juste quelques bribes.

Nous serons bientôt au lycée et je sens le stress retourner mon estomac. Mes mains sont de plus en plus moites et je dois me retenir pour ne pas me ronger les ongles et écailler tout le vernis bordeaux dont ils sont recouverts.

Je décide d'allumer la musique pour me relaxer et je tombe sur Let it be des Beatles. Parfait.

L'air de piano emplit immédiatement tout mon esprit, comme si je venais d'être happée dans une bulle coupée du monde réel. C'est fou ce pouvoir que la musique peut avoir sur moi. Ça me détend tellement que je chante presque lorsque le refrain arrive et je ferme les yeux pour profiter de chaque note de musique. J'en ai la chair de poule. J'aime tellement les Beatles. Ils ne vieilliront décidément jamais.

Lorsque la musique s'arrête, je rouvre les yeux et la mélodie résonne encore dans ma tête comme un écho lointain.

Juste à ce moment-là, nous nous garons sur le parking du bahut. Retour brutal à la réalité.

Le stress revient d'un coup comme une vague dévastatrice et je supplie silencieusement mon cœur de ralentir. Si ça commence comme ça, on est mal partis.

- Enfin, on y est ! s'exclame Hanna depuis la banquette arrière.

Le visage de ma mère se fend d'un large sourire et Hanna et elle sortent de la voiture d'un même mouvement.

Avant de sortir à mon tour, je jette un coup d'œil au miroir au dessus du pare-brise et je dessine sur mes lèvres le sourire le plus faux du monde. Je ne sais pas comment va se dérouler cette soirée, mais je suis bien déterminée à faire semblant de m'amuser. Il faut toujours sauver les apparences.

Le résultat est plutôt pas mal et moi-même je suis presque convaincue de sourire avec foi. Il faut dire que j'ai toujours été très douée pour «faire semblant» et je ne peux pas m'empêcher de me demander si c'est bon ou mauvais.

J'inspire un grand coup avant d'ouvrir la portière.

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Hello !
Le chapitre 4 est là, j'espère que vous êtes satisfaits. :)
Il ne se passe pas grand chose dans ce chapitre mais le prochain sera nettement plus fort en émotions. Comment imaginez-vous le bal de promo ?
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Merci infiniment d'avoir lu, je vous aime fort et à bientôt pour la suite, Anne. ♡

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