Chapitre 35

Point de vue de Madison

J'aperçois enfin une petite lumière au loin, tout au fond de ce long tunnel noir devant mes yeux. Une voix imperceptible et presque sourde me ramène à la réalité après le chaos, et je la laisse m'emporter, me délivrer du silence.

La première chose que je ressens en reprenant petit à petit possession de mon corps est une immense douleur qui parcourt tout son long. Depuis mon front comme martelé par de violents coups jusqu'à mes pieds dont je ne sens même pas le bout, j'ai l'étrange sensation que mon être tout entier est endolori. Je sens avec justesse tout son poids en suspension comme une lourde masse inanimée depuis longtemps, trop longtemps.

Mes doigts frêles et encore légèrement endormis caressent difficilement quelque chose d'épais et de pelucheux. Sûrement une couverture. J'essaie de caler ma respiration, mais quelque chose m'en empêche et mon cœur s'accélère dans la surprise, enflammant ainsi ce qu'il reste de ma cage thoracique. Quelque chose obstrue mon nez et j'ouvre précipitamment la bouche pour happer l'air, les yeux toujours fermés dans le sommeil.

Une masse chaude se pose sur mon bras et remue le long de ma peau.

J'entends de nouveau cette voix, et distingue à présent quelques-unes de ses nuances : elle est posée et calme, continue et rythmée dans son ruissellement. Elle me semble familière et mon cœur se stabilise alors que les va-et-vient sur mon bras se poursuivent, me tirant peu à peu hors du repos.

Une douce chaleur s'empare bientôt de mon être et estompe un peu ce mal qui m'entoure et m'oppresse jusqu'aux entrailles. Mes yeux papillonnent, et une étendue de blanc flou tacheté s'agite devant moi. Les coups de marteau s'accentuent sur mon crâne mais je ne renonce pas. Les va-et-vient s'arrêtent soudain et un visage aux traits indistincts s'immisce dans mon champ de vision.

Un visage clair encadré de cheveux blonds brillants. Un visage que je reconnaîtrais sûrement parmi des milliers. Le premier visage à m'avoir accueilli sur cette Terre. Le visage de maman.

- Hé, souffle t-elle alors que mes yeux s'habituent doucement à la lumière terne dans laquelle nous baignons.

- Hé, lancé-je d'une voix étouffée avant d'être entraînée dans une quinte de toux qui arrache chaque parcelle de ma gorge et brûle dangereusement mes poumons emprisonnés dans mon torse pris de sursauts. Ma tête rebondit plusieurs fois sur l'oreiller mou qui la soutient. Coup de marteau sur coup de marteau, elle vibre.

Je distingue à présent le petit grain de beauté sur la joue droite de ma mère et la teinte exacte de ses yeux bleus qui me sondent et m'analysent d'un air au-delà de l'inquiétude.

- Comment tu te sens, ma chérie ?

Derrière la voix douce et rassurante de ma mère se faufile soudain un petit bruit strident et dangereusement proche. Un bip régulier et médical.

Qu'est-ce que c'est que ça ?

La question qui vient de m'être posée meurt inévitablement dans l'atmosphère alors que j'examine ce qui m'entoure : des murs ternes, un mince écran de télé en hauteur, une fenêtre fermée, un petit néon en mauvais état. Inutile de rester dans l'incompréhension face au décor, mais pourquoi une chambre d'hôpital ?

J'essaie de pivoter sur moi-même pour comprendre la provenance du petit bruit mais quelque chose de très dur me stoppe. C'est là que je remarque les bandages qui compriment tout mon torse et le kilo de plâtre vulgairement amassé autour de ma jambe. Des millions de questions relancent mon insupportable mal de tête et je me sens de plus en plus mal.

Maman s'est rassise sur une chaise posée près du lit et elle se tient prête à intervenir. Sa bouche s'ouvre légèrement à plusieurs reprises, sans pourtant qu'aucun son ne parvienne jusqu'à mes oreilles. Est-ce qu'elle va éventuellement se décider à parler ?

- Maman, qu'est-ce qui s'est passé ? osé-je demander quand ses yeux s'emplissent de larmes.

Elle prend ma main au creux de la sienne et je remarque quelques tuyaux accrochés à celle-ci ainsi que plusieurs bleus qui maculent ma peau de manière aléatoire.

De mieux en mieux.

- Tu as eu un accident de voiture, Madi. Tu nous as fait très peur mais ça va aller maintenant, murmure t-elle dans l'unique but de se rassurer elle-même. Tu as une côte cassée, la jambe aussi, et l'arrière de ta tête est dans un sale état. Mais tu vas guérir maintenant, ça va aller, répète t-elle.

J'essaie de remettre les éléments en place dans ma tête pour comprendre ce bazar mais ils me fuient et s'emmêlent tels des déserteurs bruyants dans tous les recoins de ma mémoire. Je dois arborer un air d'incompréhension totale parce que la voix de ma mère retentit à nouveau.

- Tu ne te souviens vraiment de rien ?

- Non, avoué-je avec désarroi. Non, ça ne me dit rien.

Je vous laisse imaginer ma surprise lorsque ma mère prend tout à coup un air franchement agacé. Je devine qu'elle le dévoile enfin parce qu'elle est incapable de le réprimer plus longtemps et d'autres questions sans réponses me parcourent l'esprit. Une seule certitude : cela n'annonce rien de bon.

- Madison, ne fais pas exprès de feindre l'ignorance s'il-te-plaît, les médecins m'ont tout dit tu sais, déclare t-elle ensuite sur un ton inquisiteur que je ne saisis pas. Pourquoi faire une chose aussi stupide, Madi ?

OK, deux minutes je comprends, mais c'est plus drôle là. À quoi joue t-elle exactement ?

- Maman, je...

- Pourquoi as-tu tenté de te suicider, Madison ? demande t-elle d'un air à la fois désespéré et énervé.

- Pardon ? lâché-je immédiatement comme si elle me parlait en chinois. Qu'est-ce que...

Je regarde le visage de ma mère s'empourprer et la conversation tourne à un absurde sans nom dans lequel elle patauge avec entrain.

- C'est à cause de lui, c'est ça ? À cause de ce garçon qui a pourri ta vie tout ce temps, c'est ça ? Je le savais, continue t-elle sans même considérer ma présence et sans aucune réponse quelconque de ma part. Mais ne t'inquiète pas, ajoute t-elle, nous allons tout faire pour qu'il paie durement chaque larme que tu as versé.

Pourquoi me parle t-elle d'Harry maintenant ?

- Maman, tenté-je de l'interrompre.

- Je savais que son retour ne t'attirerait que des ennuis, quel petit...

- MAMAN ! hurlé-je pour qu'elle reporte - enfin - son attention sur moi. Je n'ai pas essayé de me suicider d'accord, lancé-je d'une voix assurée. Je n'aurais jamais fait ça, qui t'a raconté une chose pareille ?

Elle se lève d'un bond et je sens que la scène tourne franchement au vinaigre. Je ne pourrais peut-être pas sauver le frêle cœur qui bat encore à peine au creux de ma poitrine.

- Non, bien sûr ! clame t-elle, furieuse. Tu as juste pris la voiture de ton frère au milieu de la nuit en annonçant à tout le monde que tu ne reviendrais plus, sans aucune raison ! Madison, je t'en prie, n'essaie pas de le protéger une fois de plus ! Es-tu donc aveugle à ce point-là pour ne pas comprendre que ce garçon est toxique pour tout ce qui l'entoure ! Admets-le ou je ne pourrais rien faire, conclut-elle en se positionnant à nouveau devant le lit.

Je ne suis pas folle pourtant, elle dit n'importe quoi. Et d'où ça sort, ce rapport incongru avec Harry ?

Non mais, c'est quoi cette histoire ?

- Mais maman, je te dis que...

Ce n'est pas elle qui m'interrompt cette fois-ci. Mes paroles restent d'elles-mêmes en suspens lorsque je remarque un gros bouquet de fleurs posé sur ma table de nuit dont le pot porte l'inscription violette "Gros bisous, Hanna".

Le poids des souvenirs me submerge telle une grosse vague alors que les événements de cette soirée reconstituent petit à petit un solide puzzle dans ma tête. La pièce reste quelques instants plongée dans un lourd silence que je romps avec la certitude de ne pas avoir voulu mettre fin à mes jours.

- Maman, assieds-toi, qu'on reprenne depuis le début, déclaré-je fermement en désignant la petite chaise.

*

Je finis un pudding au chocolat insipide pour clôturer mon infect déjeuner lorsque quelqu'un frappe à la porte de ma chambre.

- Entrez, annoncé-je en reposant le petit pot marron sur le plateau gris.

La porte grince et quelques secondes plus tard, Hanna et Caspar avancent tous deux dans ma direction d'un pas hésitant, lui en arborant un visage aux traits fatigués et abattus et elle, des cheveux mal coiffés. Ma mère se lève immédiatement pour nous laisser et elle me jete un coup d'œil averti qui signifie "au moindre problème, je ne serai pas loin". Elle fusille ensuite Caspar du regard avant de disparaître derrière la porte.

- Madi, ça fait plaisir de te...

Mon sang bout dans mes veines et si je pouvais me lever, je lui arracherais les cheveux et lui mettrait la gifle du siècle. Comment ose t-elle encore m'appeler par mon surnom ?

- Oh non, on ne s'engagera pas sur ce terrain-là Hanna, la stoppé-je net d'un signe de la main. Asseyez-vous.

Caspar attrape immédiatement une seconde chaise et voilà à présent les deux menteurs en chef, assis prêt du lit dans lequel ils m'ont poussée volontairement par leurs conneries.

- Madison, je peux tout expliquer en ce qui me concerne, commence t-il en m'offrant un magnifique regard de chien battu.

- Non, déclaré-je d'un ton de marbre sans même leur adresser un regard. Vous n'êtes pas là pour vous exprimer, aucun de vous deux. Vous avez perdu ce droit dorénavant et vous ne pouvez vous en prendre qu'à vous-même. Maman était à peine d'accord pour que vous vous pointiez ici tous les deux, voyez-ça comme une chance que je ne vous accorderai pas deux fois. Alors à partir de maintenant, vous allez la fermer et m'écouter attentivement, compris ? C'est à mon tour de parler.

Hanna regarde fixement ses pieds et Caspar mâchouille sa lèvre.

- On va d'abord parler de toi, Caspar, commencé-je en ignorant son regard clair. Un jour, j'ai cru que je ne ferai plus jamais confiance à personne d'autre qu'à toi. Quand Harry est parti, c'était toi qui comptait le plus. Tu es devenu ce que j'appellerai "le seul". Le seul à pouvoir m'aider à me rendormir la nuit. Le seul à pouvoir préparer des pancakes acceptables. Le seul à qui je pouvais parler pleinement sans que la pitié hante tes yeux. Le seul à pouvoir me protéger de moi-même et de cette tristesse débordante. Et puis, tu m'as menti à foison. Tu ne m'as pas prévenue le jour du bal, alors que ça aurait été tellement facile de me dire ne serait-ce que trois mots, "Harry est revenu". Tu m'as fait suivre le jour de ma réconciliation avec Harry. Ces deux incidents, je pensais les avoir oubliés. Je pensais qu'ils ne signifiaient rien, qu'il y avait encore une chance qu'on redevienne ce qu'on était, le couple frère-sœur inséparable. Quand tu m'as aidée ce jour-là sur l'autoroute, en me débarrassant de mon portable, j'ai cru que tu pourrais être à nouveau "le seul".

Il se balance sur sa chaise, visiblement peu fier de lui. Les choses sont pourtant ce qu'elles sont, hideuses, et je ne paierai pas le prix de la confiance une fois de plus.

- Et puis, je me suis levée trop tôt, continué-je en essuyant les larmes qui ruissellent le long de mes joues. Je t'ai entendu parler dans la cuisine de cette fameuse petite amie avec Tina. Tu ne voulais pas que je le sache et quelques minutes plus tard, alors qu'on se réconciliait officiellement sur la plage, tu m'as menti encore, en me regardant droit dans les yeux. Ça t'aurait vraiment tué de me dire qu'Hanna était ta copine ? Je pensais avoir fait une énorme erreur en choisissant Harry quand tu m'as posé ton ultimatum, mais je t'assure que quand je t'ai vu embrasser Hanna en cachette, je n'ai jamais éprouvé autant de dégoût de toute ma vie. Oh bien sûr, tu resteras toujours mon frère, le sang sera toujours le sang et personne ne peut rien y faire. Mais sache que tu n'es plus qu'un inconnu, quelqu'un de vaguement familier que je n'admire plus. Et surtout, tu ne seras plus jamais "le seul". Alors bravo, conclus-je en lui jetant un regard noir. Bravo, tu as réussi à perdre le prix de ma confiance, malgré tout ce que nous avons toujours accompli ensemble.

Son visage est enfoui dans ses mains et je ne regrette aucun de mes mots. Le voir pleurer ne me fera plus jamais mal. Tant d'occasions de faire les choses bien, toutes gâchées par sa fierté.

- Tu peux sortir maintenant, annoncé-je en désignant la porte.

Il se lève rapidement en reniflant et la porte claque, me faisant légèrement sursauter. Mes yeux se tournent à présent vers Hanna, qui a l'air totalement pétrifiée. Si elle espère que sa bouille d'ange va lui épargner quoi que ce soit, elle m'a sous-estimée. Je n'arrive même pas à la regarder droit dans les yeux et j'ai la ferme intention de ne verser aucune larme pour cette pouf.

- Toi, la désigné-je du doigt. Le jour où tu es entrée dans ma vie, j'ai cru que tu étais un pur miracle. J'étais seule et au bout du rouleau, tu m'as portée et j'avais l'impression de mieux respirer grâce à toi. J'avais l'impression qu'on était réellement amies, que d'une certaine manière tu pourrais combler tout ce vide que son absence avait laissé. Finalement, personne ne me déçoit autant que toi dans toute cette histoire. Je sais bien qu'Harry n'a pas été tendre, mais toi, tu es vraiment la pire de tous. Cette petite embrouille après le bal est du passé, je te l'accorde, mais il ne t'a pas fallu beaucoup de temps pour me planter un nouveau couteau dans le dos. Entre ton arrivée soi-disant proposée par ma mère, un ramassis de mensonge parce qu'en fait Caspar était la raison de ton périple, et ta correspondance avec Alyssa, j'ai été servie. Quand je pense que tu as fait semblant de ne pas la connaître à deux reprises, au bar et chez Tina, alors que tu lui écrivais depuis deux ans ! Comment as-tu pu me faire un truc pareil ! hurlé-je sans pouvoir me retenir.

- À ce sujet...

- Non, je ne veux même pas entendre un début d'explication, fulminé-je. C'est trop tard ! Toutes tes chances sont grillées ! Je me souviens aussi d'avoir laissé un post-it pour toi avant de partie de Cape Cod le soir de l'accident, un post-it qui expliquait tout à fait les raisons de mon départ. Le fait que tu n'en aies parlé à personne alors que tu savais que ce n'était pas un suicide, c'est tout simplement dégueulasse. Tu as fait ça pour te protéger, me diras-tu. Mais pense à ma mère, pense à quelqu'un d'autre que toi-même une seule seconde dans ta petite vie. Comment peux-tu encore te regarder dans le miroir, Hanna Prince ?

La blonde gémit à travers un rideau de larmes et j'ai de nouveau envie de la gifler comme jamais.

- Si tu as quelque chose de pire à m'annoncer concernant toute cette histoire, c'est maintenant, continué-je sur le même ton glacial. Parce qu'une fois que tu sors de cette chambre, c'est terminé. Tu fais ce que tu veux avec mon frère, mais en ce qui me concerne, je fais une croix sur tout ce que j'ai vécu avec toi. Aucun des souvenirs que j'ai de nous deux n'a plus aucune valeur. Alors si t'as un truc à rajouter, fais-toi plaisir. Je t'écoute.

Son menton tremble et elle tripote ses mains nerveusement. Décidément, je ne suis jamais au bout de mes surprises avec cette fille.

- Alors il y a bien quelque chose, hein ? soupiré-je en me recalant sur mon oreiller. Accouche, le peu d'estime que j'avais pour toi est à des milliers de kilomètres de toute façon. Tu connais le secret d'Harry, c'est ça ?

- Non non, je... tente t-elle d'une voix enrouée et hésitante. Je savais juste qu'Harry allait au bal, Caspar m'avait prévenue par texto un peu avant son retour chez vous. J'ai aussi dit à Caspar que vous étiez au parc le jour de vos retrouvailles, il m'avait demandé de te suivre. C'est tout, conclut-elle en sortant un mouchoir.

- Parfait, alors au revoir. Prends soin de toi ou pas, je m'en moque. Bon vent Hanna.

- Madison, tu dois essayer de comprendre...

- Oh non, mais toi si ma grande, annoncé-je en lui lançant un regard assassin. Je t'ai demandé de sortir, je crois. Donc, tu sors, conclus-je en lui désignant la couleur fade de la porte.

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HELLO TOUT LE MONDE ! xx

Oui, j'étais censée avoir posté ce chapitre depuis longtemps, mais la semaine qui vient de s'écouler a été un peu chaotique, désolée. Je suis en vacances dans un petit trou paumé et la maison est dépourvue de Wi-Fi, donc difficile de m'occuper de la publication des chapitres en ce moment. Heureusement, j'ai enfin trouvé un café avec du réseau (yeaaaah). ;)

Ce chapitre est donc là aujourd'hui, et j'espère qu'il vous plaît ! Plusieurs problèmes s'y règlent, et ce chapitre m'a paru vraiment essentiel pour permettre le retour normal de Madison à la vie quotidienne.

Comme toujours, je serai vraiment ravie d'avoir votre avis. Que pensez-vous du retour de Madi ? De son comportement ? De sa mère ? De Caspar et d'Hanna (que vous êtes nombreux à détester hahaha) ?

Je posterai normalement le prochain chapitre dans la soirée, il est déjà prêt. Je ne vous promets rien, vu le Wi-Fi douteux, on ne sait jamais. Si vous voulez être informés des nouvelles publications, n'hésitez pas à me suivre, je poste souvent des infos par rapport à ça.

J'espère que vos vacances se passent bien, si vous êtes dans des endroits insolites n'hésitez pas à m'en parler en commentaire. Moi je suis dans un petit trou au fond de la montagne, c'est vraiment sym-pa-thi-que, donc faites moi rêver hahaha. :D

Merci pour tous vos votes et commentaires sur le dernier chapitre, vous êtes des amours, et à très bientôt pour la suite de cette histoire ! ;) Gros bisous, Anne xx

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