Chapitre 34
Point de vue d'Alyssa
Je suis de moins en moins sûre de mes choix en pénétrant à nouveau dans le hall de l'immense Massachusets General Hospital. Je ne sais pas bien ce que j'espère en me pointant ici quelques heures après ma dispute avec Harry. Au mieux, le retrouver et pouvoir m'excuser encore une fois, au pire, si il n'est pas là, convaincre Mme Parks ou tout autre membre de sa famille de le laisser rendre visite à Madison. Ce qui n'est pas gagné vu le texto que Caspar m'a envoyé vers midi, "Harry ne sera jamais le bienvenu auprès de ma sœur, pas après tout ce qu'il lui a fait. Dis lui d'arrêter de nous appeler, on ne changera pas d'avis."
J'imagine qu'Harry a essayé de joindre Caspar pour tout lui raconter au sujet d'Hanna et moi, et je me demande pour la millième fois de la journée si la blonde a été assez intelligente pour tout dire à son petit-ami avant que quelqu'un d'autre ne s'en charge. En ce qui me concerne, j'ai fait ma part du boulot.
Lorsque l'ascenseur fade par sa blancheur excessive s'arrête enfin à l'étage des urgences, j'essaie de me redonner confiance en moi en me promettant que la prochaine fois que je rentrerai dans cette cabine, Harry aura le droit de voir Madison. Je dois l'aider, de tous les moyens possibles. Hors de question de le décevoir pour la énième fois. On va fonctionner selon mes règles et tout se passera bien.
Avant de m'adresser à la réception, je jette un coup d'œil à la salle d'attente de la dernière fois, totalement vide, et remarque avec amusement que le même dessin animé défile toujours sur l'écran dans le coin. Les infirmières ne se donnent vraiment aucun mal.
Je m'annonce rapidement auprès d'une d'entre-elles et elle m'indique le numéro de la chambre de Madi sans même me demander si je fais partie de la famille. Finalement, peut-être qu'Harry n'aurait même pas besoin de mon aide pour rentrer, les infirmières semblent encore plus laxistes que dans mon souvenir.
J'emprunte ensuite un long couloir vide maculé de peinture bleue glacier et suis les différents panneaux jusqu'à arriver à la porte qui indique en lettres grises "215".
Avant même de rentrer dans la chambre de Madison, un son familier et particulièrement désagréable arrive jusqu'à moi, le bip continu d'une machine. Je ne peux pas empêcher mon estomac de se comprimer à ce moment-là, foutu hôpital. Je colle mon oreille contre la porte pour déterminer sa provenance et à ce fond sonore insupportable s'ajoutent bientôt des gémissements.
Merde, quelqu'un pleure à l'intérieur. Et si c'était Harry ?
Je pivote sur moi-même, tout à coup proche du départ face à cette éventualité. Si il est là-dedans, c'est qu'il est forcément seul, et je ne veux pas l'interrompre. Je commence à m'éloigner de la chambre dans laquelle se trouve Madison lorsque mon portable vibre dans ma poche. "Appel entrant : Inconnu".
- Allô ? entonné-je, une pointe d'inquiétude dans la voix.
- Alyssa, je ne savais pas qui appeler.
La voix de la personne au bout du fil est hachée de petits temps, comme saccadée de sanglots, et en revenant sur mes pas je comprends que ce n'est pas Harry dans cette pièce. Ce n'est pas lui qui pleure à seulement quelques mètres de moi.
Je raccroche et me faufile une bonne fois pour toutes dans la petite chambre éclairée au néon. Hanna lâche tout de suite son téléphone en m'apercevant avant de se redresser sur le dossier de sa chaise installée près du lit de la patiente.
Elle a vraiment l'air pitoyable, bien loin de cette fille aux allures de perfection que j'ai feint de ne pas connaître la semaine dernière. Ses cheveux blonds forment un espèce de gros nid en pagaille, deux poches de fatigue violettes se dessinent sous ses yeux et en m'approchant un peu plus, je remarque même que son mascara a coulé.
Depuis combien de temps est-elle là, à veiller sur celle qui la considérait comme sa meilleure amie ?
- Je... Je voulais juste parler à quelqu'un, souffle t-elle d'une voix éraillée comme si se justifier était tout à coup douloureux. Je vais devenir folle à force d'attendre toute seule qu'elle se réveille, ajoute t-elle sur le même ton vide de toute émotion.
Je tire une chaise posée dans le coin et la rapproche de celle d'Hanna. J'ose enfin poser les yeux sur Madison, enveloppée de multiples bandages, une jambe dans un plâtre et quelques bleus le long des bras et sur le visage. On dirait un enfant après une bataille sanglante, un ange mort au combat.
Voilà ce que j'ai fait à cette fille sur laquelle j'ai veillé pendant deux années.
Mon cœur se tord lorsque je la parcours des yeux plusieurs fois et le foutu bruit de la machine qui lui envoie de l'oxygène me rappelle malgré tout qu'elle est encore là, quelque part derrière ces blessures. Elle se réveillera bientôt, et tout rentrera dans l'ordre. Je lui expliquerai que je ne lui ai jamais voulu aucun mal, au contraire, Harry lui avouera son lourd secret, il me pardonnera mes erreurs et tout finira bien dans ce monde rose.
Je lâche un petit rire incontrôlé en pensant à cette vision absurde de l'avenir ancrée dans mon esprit, et Hanna me dévisage.
- Qu'est-ce qui est si drôle ? demande t-elle immédiatement d'un ton menaçant.
- Rien du tout, m'excusé-je doucement. Alors, quelles sont les nouvelles ?
- Une côte et une jambe cassées, traumatisme crânien, et on ignore quand elle se réveillera. Ni même si elle se réveillera un jour, ajoute t-elle d'une voix tremblotante.
Des larmes naissent au coin de ses yeux et je suis pleinement consciente de l'aberration de mon geste en entourant cette fille que je méprisais de mes bras. Je m'accroche à mes rêves avant de murmurer quelques paroles réconfortantes.
- Chuuut... Je suis sûre que ça va aller. C'est une battante. Je ne la connais presque pas mais j'ai rarement rencontré quelqu'un d'aussi courageux qu'elle. Tu sais, je crois même que...
- Non, rien n'ira plus jamais, me coupe violemment Hanna. Même si elle se réveille, elle va me détester. Je n'ai jamais été à la hauteur de son amitié, je ne l'ai jamais comprise.
- Je suis sûre que c'est faux. Tu as pris soin d'elle pendant deux ans, alors qu'elle était au plus mal d'après ce que m'a raconté Harry, ne te mets pas en tête des choses pareilles. Tu t'excuseras, et je suis sûre qu'elle comprendra que tu as fait le mieux pour elle en me donnant des nouvelles.
Elle essuie son visage sur mon épaule et je me retiens de ne pas partir en courant pour laver ce T-shirt gris. Je sors un mouchoir de mon sac avant de le lui tendre.
- C'est pas ça dont je parle. Je pensais savoir comment régler la situation et à chaque fois, son état empirait et sa vie dégringolait à cause de moi. J'ai fait des choses dont elle n'a même pas idée, et une fois qu'elle les connaîtra, je serai juste impardonnable. À commencer par le fait que je sois sortie avec son frère sans même lui dire. Le reste, j'ai pas envie d'en parler, conclut-elle après un petit silence.
J'essaie d'imaginer ce que la jolie blonde a bien pu faire pour être dans un état de culpabilité pareil. Qu'a t-elle pu cacher de si terrible à Madison, si ce n'est notre correspondance ?
- Tu as tout dit à Caspar ? osé-je enfin demander en reprenant ma place contre le dossier de la chaise bancale.
Hanna enfouit son visage dans ses mains et je comprends que je n'aurais pas dû poser cette question, précisément. De nouveaux sanglots viennent couvrir le bruit de fond des machines qui gardent Madison en vie.
- Je l'ai perdu, lui aussi, souffle t-elle en essuyant ses yeux. Je l'aime, et il pense que je suis de votre côté, avec Harry.
Un coup de froid envahit mes muscles lorsqu'elle évoque le meilleur ami que j'ai déçu, trahi et perdu.
- Il ne me reste plus rien, Alyssa. Si Madison ne se réveillait pas...
Oh non. Madison, je t'en supplie, réveille-toi et ne donne pas à Hanna l'occasion de finir cette putain de phrase.
Point de vue de Harry
C'est en traînant mon cœur tout cabossé derrière moi que je déambule dans l'hôpital aux alentours d'une heure du matin, lampe torche en main.
Ils ont tous passé la journée à ignorer mes multiples appels. Ils croient que je suis juste un sage petit garçon qui reste à sa place quand on lui dit non, ils croient que parce qu'ils ont je-ne-sais quel lien du sang avec Madison, ça leur donne le droit de décider de tout alors qu'elle est parfaitement inconsciente...
Quand je pense qu'Hanna et Caspar, cette garce et cet enfoiré, ont dû passer plusieurs heures auprès d'elle alors que je suis indésirable numéro un, ça me rend totalement fou. Même sa mère s'est retournée contre moi, elle qui sait tout !
J'aime Madison sûrement beaucoup plus que chacun d'entre eux, et il y a tellement de choses qu'ils ignorent. Ils ne savent pas ce que je serais capable de faire pour elle, ils ne savent pas à quel point mon cœur bat vite quand elle sourit, ils ne savent pas à quel point c'est douloureux de l'imaginer entre la vie et la mort alors que je ne peux même pas être là pour la voir de mes propres yeux.
Je les emmerde, tous. Et ils se fourrent le doigt dans l'œil si ils pensent que je vais m'en tenir à leurs foutues restrictions. Je ne peux pas passer une seconde de plus sans être dans la même pièce qu'elle. Il faut que je m'assure qu'elle respire, que son cœur bat encore quelque part, si ce n'est près de moi.
Alors je me suis débrouillé à ma manière et pour mon plus grand plaisir, le personnel médical est vite corrompu ici. C'était même plus facile que ce à quoi j'étais préparé. Je ne dois sûrement pas être le premier tordu à transgresser les heures de visites. Le seul inconvénient, c'est ces foutues lumières qui ne sont pas éclairées au niveau des chambres des patients, ce qui m'oblige à inspecter chacune des innombrables portes pour trouver la bonne.
J'ai déjà dû perdre une bonne vingtaine de minutes lorsque je me retrouve enfin devant celle qui indique le numéro "215". Je devrais être soulagé que cette petite promenade nocturne soit enfin terminée, pourtant mon estomac se comprime de toutes ses forces et un instant, je me demande si je ne vais pas juste vomir au milieu du couloir. Je m'assieds contre le mur quelques secondes pour reprendre mes esprits et en ouvrant enfin la porte qui m'intéresse, je ne cesse de me répéter la même chose.
Elle n'est pas morte, elle n'est pas morte, elle n'est pas morte...
La petite pièce est mal éclairée au néon et un bruit strident retentit dans mes oreilles dès que j'y mets un pied, le bip incessant d'une de ces machines qui conservent la vie intacte en balançant leur dose d'oxygène régulièrement.
Je piétine mon cœur à mesure que je m'approche de son lit pour la voir, et même si ça fait atrocement mal, rien ne peut m'arrêter. Jusqu'au moment où je dégringole. Je m'assieds à la dernière seconde sur une chaise près d'elle alors que mes pieds se dérobent sous moi.
Ma Madi est dévastée. Son visage a une bosse recouverte d'un gros bleu, le haut de son corps est entouré de sparadrap et sa jambe, d'un plâtre imposant. Ses magnifiques yeux bleus sont fermés, sa peau est blanchâtre et ses lèvres ont une teinte violette dans le sommeil.
Elle est toujours belle, elle le sera toujours. Mais on dirait qu'elle est partie et qu'elle ne reviendra jamais, comme quelqu'un qui s'est vaillamment battu contre la vie mais que la vie a quand même massacré. Que j'ai quand même massacré.
Mes yeux se remplissent de larmes et je m'accroche à sa main pour ne pas oublier qu'elle est encore là, ce qui me fait davantage de mal parce que sa peau est glacée. Elle ne peut pas m'entendre, je le sais bien, et me voilà pourtant là, collé à son lit, à lui parler à travers mes larmes comme l'abruti que je suis sans elle.
- Je suis désolé Bébé, tellement désolé, arrivé-je à peine à articuler. J'aurais dû te le dire comme c'était prévu, ce jour-là quand on déjeunait ensemble toi et moi, j'aurais dû te le dire en revenant, dans ce bureau le soir du bal ou au milieu de ce parc plein de nos souvenirs d'enfants, j'aurais dû te le dire au moment-même où on me l'a annoncé, en fait. Seulement je ne l'ai jamais pu. Je ne l'ai jamais pu, putain.
Je dégage une mèche de son front en m'essuyant les yeux pour ne pas que ma vue se floute.
- Je n'ai jamais pu te raconter ce truc énorme qui m'est arrivé, et je n'ai jamais pu te dire "je t'aime" non plus. Je t'ai bousillée. Jusqu'à la dernière parcelle d'espoir et de positivisme qu'il y avait en toi, j'ai tout détruit. Comme tout ce que je touche d'ailleurs. Comme ce mug que tu m'as offert pour mes dix ans. Ce n'est pas ma mère qui l'a cassé, c'est moi. Et je n'ai jamais pu te le dire en souvenir de cette petite étincelle dans tes yeux quand j'ai ouvert le paquet trop bien emballé pour une merde comme moi. Je voulais faire les choses bien, mais je foire tout. Pourtant je t'aime tellement...
Je n'ai rien à ajouter. Je pousse un gémissement sourd lorsque le bip reste le seul bruit qui emplit la petite pièce. Je m'accroche de plus en plus à sa main et quelques-unes de mes larmes viennent mourir sur sa peau.
- Bébé, il faut que tu te réveilles, soufflé-je en rapprochant sa main au plus près de moi. Il faut que tu te réveilles, tu ne peux pas me laisser. J'ai tellement de choses à te dire, si tu savais comme le monde semble morne et dépourvu de couleur sans toi. Je veux revoir ton sourire encore et encore, admirer tes yeux bleus et te faire tournoyer dans mes bras. Je veux te dire toute la vérité et à quel point je t'aime. Je ne referai pas les mêmes erreurs deux fois. Madi, mon amour, je t'en supplie, réveille-toi, qu'on puisse enfin être ensemble. Tu ne peux pas me laisser comme ça.
Bip...bip...bip.
- Réveille-toi, supplié-je en recouvrant sa main de mes larmes.
Je décide de m'allonger à côté d'elle et trop de souvenirs remontent à la surface brutalement alors que je me fais une place sur ce matelas trop dur. Ses cheveux ont toujours l'odeur qu'ils avaient quand on était que deux gamins innocents qui se disaient les choses parce qu'elles étaient ce qu'elles étaient, simples.
J'entoure ses épaules de mes bras, contournant les tuyaux pour appuyer sa tête contre moi. Et je reste là, à guetter le moindre signe de vie de sa part, à écouter le signal continu de la machine.
Et lorsque je dépose un dernier baiser sur son front en quittant la chambre à cinq heures du matin, pour éviter les premières infirmières, mon cœur en lambeaux reste à ses côtés, allongé dans ce lit.
Et je promets de revenir le chercher.
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Hello tout le monde ! xx ♥
Aujourd'hui, le chapitre 34 est enfin posté ! Je sais que vous l'attendez tous depuis longtemps et, pour des raisons évidentes, j'ai mis beaucoup plus de temps que prévu à le poster. Je suis vraiment désolée d'avoir mis aussi longtemps et merci beaucoup pour votre patience. :)
J'espère que ce chapitre vous plaît et que vous n'êtes pas déçus du déroulement des choses.
Comme d'habitude, j'aimerais bien avoir votre avis sur le chapitre en général. Que pensez-vous du comportement d'Alyssa ? Du comportement d'Hanna ? De la réaction de Harry ? De l'état de Madison ? Comment voyez-vous la suite à présent ?
Je comptais consacrer une partie entière à un sujet précis, mais les événements ont fait que je n'ai rien posté du tout la semaine dernière, du coup ce sujet m'est un peu sorti de la tête. Je tenais vraiment à vous remercier du fond du cœur parce que récemment, Begin Again a atteint les 20K au niveau des vues, et c'est juste un cap énorme pour moi.
Je n'aurais jamais pensé qu'en commençant à écrire cette histoire vous seriez tant à l'apprécier. Merci pour tous vos adorables commentaires, et pour tous vos votes à mesure que vous lisez les chapitres. Merci pour tous les bons retours que j'ai de cette histoire et merci d'être de plus en plus à me soutenir dès que je poste un chapitre. Merci aussi de me harceler souvent pour avoir la suite. ♥
En commençant à poster sur Wattpad, je pensais juste écrire brièvement une histoire et avoir quelques lecteurs. Au lieu de ça, j'ai vraiment gagné de merveilleux amis et vous me poussez toujours à aller encore plus loin et à me donner au maximum, ce qui vaut littéralement tout l'or du monde.
J'espère que vous passez d'excellentes vacances et je vous fais de gros bisous en attendant le prochain chapitre, qui normalement, devrait arriver d'ici la fin de semaine. :)
Je vous aime fort fort fort, Anne xx ♥
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