Chapitre 32

Point de vue d'Alyssa

Plus le temps passe et plus l'état d'Harry semble empirer, je commence carrément à m'inquiéter. Depuis la seconde où les quelques infirmières du service nous ont gentiment demandés de nous asseoir dans la minuscule salle d'attente, son regard n'a cessé de faire des aller-retours entre sa montre, la réception et son téléphone. Ses pieds bougent dans tous les sens et il soupire à peu près une fois toutes les deux minutes en passant une main stressée dans ses cheveux bruns.

Je sais bien qu'il déteste les hôpitaux, mais personne ne nous laisse le choix. Il faut patienter longuement pour en savoir plus, et moi-même je commence à avoir du mal à rester en place sur ma chaise, face à Hanna et Caspar qui nous toisent comme si nous étions deux monstres sanguinaires. Même la sœur de Madison est là, une certaine Evelyn dont je n'avais jamais entendu parler auparavant, mais à la regarder on ne dirait pas qu'elle soit si proche que ça de la victime. Les magazines people amassés sur la table basse suffisent apparemment à faire son bonheur et sa tenue criarde témoigne d'une soirée bien arrosée la veille. Son comportement indifférent a le don de m'agacer tout particulièrement, et Harry l'ignore totalement, sûrement pour les mêmes raisons.

Ça va faire bientôt trois heures que nous sommes là, devant ce poste de télé qui diffuse en boucle le même dessin animé barbant et j'ignore combien de temps nous devrons encore poireauter avant d'obtenir ne serait-ce qu'une bribe de renseignements. Tout le monde nous répète de rester calmes, c'est usant. En plus, je connais bien Harry, rien qu'à l'observer je ne sais pas si il tiendra longtemps avant de péter un câble, et à vrai-dire c'est ce qui me fait le plus peur dans toute cette histoire. Je n'ai aucune envie qu'il rende la situation encore plus pénible, surtout qu'il serait le premier à se faire du mal. L'incertitude est quelque chose que nous connaissons bien tous les deux, mais cette fois-ci j'ignore si il sera capable d'y faire face avec recul, étant donné qu'il s'agit d'elle.

Lorsque la tante de Madison entre à nouveau dans la pièce, le téléphone pendu à l'oreille et les yeux rougis par les larmes, la tension monte encore d'un cran et je prie pour que les nouvelles soient bonnes.

- Tes parents sont dans le taxi, ils arrivent. Pourquoi on l'a laissée partir, Caspar ? C'est de notre faute tout ça, bégaie t-elle difficilement en s'affalant sur une chaise, de nouveau submergée par l'émotion.

Je m'apprête à me reconcentrer sur les petits personnages qui discutent sur l'écran plat pour fuir toute cette douleur qui rend l'air de la pièce irrespirable lorsqu'une voix m'interpelle.

- Alyssa, tu m'accompagnes prendre un verre d'eau ? demande Hanna en me décochant un regard que je n'arrive pas à saisir sur l'instant.

Qu'est-ce qu'elle me veut, celle-là ? Subitement, je l'intéresse ?

Harry me jette un coup d'œil intrigué et je hausse les épaules avant de me lever pour suivre la blonde dans le couloir. À peine sommes-nous hors de portée des autres qu'elle est envahie par un flot de panique.

- Alyssa, c'est notre faute si Madi a eu un accident, annonce t-elle précipitamment. C'est à cause de nous qu'elle s'est barrée cette nuit-là. Si jamais Caspar venait à l'apprendre, il me tuerait ! Qu'est-ce qu'on va faire ?

C'est quoi, cette histoire ?

- Quoi, comment ça, "c'est notre faute" ? Pourquoi tu m'impliques là-dedans, je saisis pas ? Et calme toi s'il-te-plaît, ou je demande à quelqu'un de t'interner. Respire, ça va aller.

- Non, ça va pas aller ! Comment peux-tu imaginer que ça puisse aller après ça ? Elle a découvert qu'on s'envoyait des mails toutes les deux, au beau milieu de la nuit. J'ignore comment c'est possible, mais j'ai retrouvé ce mot accroché sur mon écran après son départ.

Elle me tend fébrilement un post-it plié en dix fois qu'elle sort de sa poche et mon sang ne fait qu'un tour dans mes veines quand j'imagine l'ampleur de la colère de Madison lorsqu'elle en est venue à écrire des mots pareils.

- C'est à cause de nous, couine t-elle, les larmes aux yeux. Elle a dû boire, ou faire je-ne-sais-quoi, et puis elle a eu cet accident de merde ! À cause de nous, répète t-elle comme si cette révélation ne me stressait pas déjà suffisamment.

Oh mon dieu, Harry. Harry ne sait pas que je connaissais Hanna. Harry n'est au courant de rien, ni des mails, ni des causes de l'accident. Je comptais lui dire, mais maintenant... Lui aussi pensera que c'est de ma faute. Surtout que Madison ne me fera plus du tout confiance après ça, peut-être même qu'elle remettra en cause tout ce que je lui ai raconté à propos d'Harry... Je ne préfère même pas imaginer la pagaille. Il va me tuer si la culpabilité ne s'en charge pas avant.

Pour moi, c'est une véritable catastrophe.

J'attrape rapidement Hanna par le bras pour la traîner un peu plus loin, à l'abri des regards indiscrets, tout en me retenant de lui coller mon poing dans la figure pour son imprudence.

- Comment t'as pu la laisser mettre la main sur une chose pareille ? Je croyais qu'on avait un accord toutes les deux ? Merde, t'aurais pas pu faire plus attention que ça ? La laisser à quelques mètres d'un truc énorme, vu l'état dans lequel elle était, sérieusement t'es inconsciente ou complétement conne ! fulminé-je, verte de peur face à ce qui pourrait arriver par sa faute. On est dans de beaux draps, maintenant !

- Je sais bien, couine t-elle en plaçant ses mains des deux côtés de son visage livide. Que va penser Caspar, je ne lui ai rien dit de tout ça ! Si Madison lui en parle, je suis foutue et je peux faire une croix sur lui !

Je résiste plus que jamais à l'envie de décharger ma colère sur elle quand ces quelques mots parviennent jusqu'à mes oreilles.

Est-elle vraiment en train de se soucier de ce nul de Caspar alors qu'Harry est clairement en état de choc ? Et moi, dans quelle position merdique je suis maintenant, juste à cause de sa bêtise ? Une meilleure amie, tu parles ! Même pas foutue de faire les choses correctement ! Une blonde, rien n'est moins sûr !

- On y retourne, sinon ce sera suspect, annoncé-je en serrant les poings. Pas un mot sur cette histoire, compris ? Pour l'instant, on la ferme. On attend de voir la tournure que prennent les choses avant de dire quoi que ce soit. Si une fois de plus tu n'es pas capable d'être prudente, ne compte pas sur moi pour venir à ta rescousse, conclus-je en retournant d'un pas décidé vers cette foutue salle d'attente.

Nous croisons Caspar qui sort de la pièce, probablement à la recherche de sa tendre petite amie, et je garde les yeux focalisés sur mes pieds pour éviter tout geste maladroit.

Harry m'adresse un regard désespéré au moment-même où je m'assois prêt de lui, et ce poids qui pèse à présent sur ma poitrine rend mon silence encore plus pénible. Si les choses étaient faciles, je lui dirais tout, mais là, tout de suite, je préfère largement être lâche plutôt que d'affronter sa colère. Il ne s'en remettrait pas, c'est certain. Pas lorsque ses nerfs sont aussi tendus, et encore, c'est un maître dans l'art de la dissimulation, tout comme moi.

- Qu'est-ce qu'elle voulait ? me chuchote t-il lorsqu'Hanna prend place face à nous, seule, à ma plus grande surprise.

- Euh, rien du tout, marmonné-je rapidement en le fuyant du regard. Juste un peu de chaleur humaine, je suppose. Rien de grave, ajouté-je en lui prenant la main.

Et c'est reparti. Montre, réception, téléphone. Montre, réception, téléphone. Soupir. Mains dans les cheveux. Montre, réception, téléphone...

Point de vue de Harry

J'ai toujours détesté les hôpitaux, mais là, on peut vraiment dire que c'est le pied. J'étais pourtant sûr de pouvoir supporter n'importe quoi aujourd'hui, j'étais même hyper bien préparé : j'aurais pu regarder Madison me hurler dessus pendant des heures sans problème, peut-être même supporter un torrent de larmes de sa part ou son refus catégorique de me pardonner, mais rester assis dans cette foutue pièce à ne pas savoir si elle se trouve entre la vie et la mort ou si elle nous a déjà quittés me rend complétement fou et chaque seconde semble plus douloureuse encore que la précédente.

Le flou, c'est ce que j'ai toujours connu de pire de toute façon. Au moins, pendant ces deux ans, je pouvais presque imaginer qu'elle réussissait à tenir le coup, malgré la douleur terrible que ce connard que je suis lui infligeait à longueur de journée. Mais maintenant que sa vie est en danger, les règles sont différentes, et je suis à deux doigts de menacer une des infirmières pour enfin, comprendre ce qui est réellement entrain de se passer derrière ces "Merci de rester calmes, nous reviendrons vers vous plus tard" qui m'insupportent plus que n'importe quoi.

Ça fait trois heures qu'on attend sagement, et toujours rien ! Combien de temps cette mascarade va t-elle encore durer avant que je fasse une crise cardiaque ? C'est comme si ça leur plaisait de nous faire endurer ça, sérieusement !

Ça doit bien faire un quart d'heure que Caspar est parti après que sa tante lui a murmuré quelque chose à l'oreille et ça ne signale rien de bon. Je n'aime pas particulièrement le petit regard mauvais qu'il pose sur moi dès qu'il m'aperçoit, pourtant je préfèrerais largement qu'il soit parmi nous.

Merde, pourquoi est-il parti à la fin ?

- Pourquoi Caspar est sorti ? demande brusquement Alyssa à ma place, comme si elle pouvait lire dans mes pensées, quelque chose qui arrive de plus en plus souvent.

Tina lève les yeux vers nous et avant de repartir dans une énième crise de tristesse, elle parvient à murmurer "Ils avaient besoin de quelqu'un pour la reconnaître."

QUOI ?

- Comment ça, pour la reconnaître ? Qu'est-ce que... lâché-je en me levant précipitamment de ma chaise. Est-ce qu'elle...

Je n'arrive pas à finir ma phrase, je ne le pourrais jamais, une vision pareille me serait bien trop insupportable et je choisis de me défouler sur les infirmières plutôt que de rester planté là, à imaginer le pire qui n'est pas envisageable, ni maintenant, ni jamais putain.

Je m'apprête à crier de toutes mes forces sur la première personne en habit blanc qui se présente à moi lorsque je vois soudain Caspar au bout du couloir, manifestement anéanti et les yeux tellement gonflés qu'on pourrait avoir l'impression qu'ils vont exploser.

Non, ce n'est pas possible. Seigneur, faites que ce ne soit pas possible.

- Qu'est-ce qu'elle a ! hurlé-je un peu trop fort au milieu du couloir en me ruant sur lui, incapable de rester dans l'indécision plus longtemps.

- Elle est dans le coma Styles, et pousse toi de mon chemin, lâche t-il en m'écartant de son bras.

Dans le coma ? Il faut que je la voie, et tout de suite. Je ne pourrais pas supporter une seule seconde de plus sans m'assurer qu'elle est encore là.

- Excusez-moi, demandé-je à l'infirmière en chef, je voudrais voir Madison Parks. Elle a été admise il y a quelques heures, un accident de voiture.

- Monsieur, commence t-elle d'un air déjà agacé en me pointant de son stylo Bic à deux balles, c'est la quatrième fois que quelqu'un vient me demander de ses nouvelles. Attendez que le médecin arrive tranquillement dans la salle d'attente s'il-vous-plaît, vous en saurez plus dès qu'on en saura plus nous-mêmes.

- Et pourquoi son frère a eu le droit de la voir ? répliqué-je immédiatement. Je veux juste m'assurer qu'elle va bien, c'est pas la lune !

- Monsieur Styles, c'est la première et la dernière fois que je vous demande de vous calmer, lance t-elle ensuite sur une voix monocorde. Maintenant retournez vous asseoir immédiatement ou j'appelle la sécurité, c'est compris ?

Je sais que les menaces de ces gens-là sont sérieuses, donc je retourne gentiment vers la salle d'attente en gardant tout mon sac d'insultes pour moi-même. Le personnel hospitalier aime bien abuser de son petit pouvoir de rien du tout, surtout les infirmières qui n'ont rien d'autre à foutre de leur journée. Simplement parce qu'elles ont un foutu badge avec leur nom dessus, elles se croient capable de vous dicter votre conduite à la lettre, peu importe que la fille que vous aimez soit proche de la mort ou que vous ayez attendu pendant de longues heures sans succès.

Une demi-heure insoutenable s'écoule encore avant que les parents de Madison n'arrivent, plus paniqués que jamais et bien décidés à faire bouger les choses. Sa mère m'accorde un bref regard compatissant en m'apercevant - enfin quelqu'un dans cette famille qui ne pense pas qu'à me tuer - et son père, à ma grande surprise, ne relève même pas ma présence.

La tante de Madison fond dans les bras de sa sœur et le médecin ne tarde pas à annoncer qu'il veut s'entretenir seul avec les parents. Je commence à me dire que les choses se tassent pour moi et que peut-être, j'aurais la chance de me retrouver dans la même pièce que Madi d'ici quelques minutes.

Je remarque alors qu'Alyssa me couve du regard et même si je ne lui dis pas souvent, je ne sais pas ce que je ferais sans elle. J'ai beau ne lui avoir pratiquement pas adressé un seul mot durant les dernières heures, sa présence m'empêche d'être encore plus minable. Si elle n'avait pas été là, je me roulerais sûrement par terre comme un enfant de cinq ans envahi par la panique à l'heure qu'il est.

Malheureusement, je retombe de très haut lorsque la mère de Madison rentre dans la salle telle une furie quelques instants plus tard, le visage rougi par le sang. Elle pointe directement un doigt accusateur sur moi. Mon cœur cesse de battre.

Qu'est-ce qu'elle fout ?

- Tu sors d'ici ! hurle t-elle subitement de toutes ses forces en se jetant sur moi, rattrapée par son mari qui la retient manifestement de m'arracher les yeux. C'est ta faute ! ajoute t-elle en combattant les larmes qui se dessinent au coin de ses yeux. Ta faute ! Tu sors ! répète t-elle, me détruisant mot par mot.

Alyssa se redresse immédiatement sur sa chaise et je n'ose pas dire un mot, comme pétrifié par ce retournement de situation inattendue.

Qu'est-ce qui se passe ? Qu'est-ce que j'ai fait ?

- C'était une tentative de suicide ! lâche sa mère sans aucune préparation, et j'ai soudain envie de mourir. Ma petite fille a voulu se supprimer à cause de toi ! rugit-elle. Tu l'as détruite ! Tu finiras par la tuer avec tes mensonges ! Je veux que tu sortes !

Son mari essaie de lui murmurer quelque chose pour la raisonner, mais rien n'y fait et elle se laisse tomber par terre sous le poids de la douleur. Quant à moi, je ne suis même plus sûr d'être tout à fait vivant après ces quelques coups de poignards, ni même de vouloir encore l'être.

- Je m'en fiche de savoir pour quelle raison tu as menti, Styles ! reprend sa mère avec vigueur. Le fait est que tu l'as poussée vers la mort ! JE VEUX QU'IL S'EN AILLE ! hurle t-elle à son mari qui la retient toujours.

Alyssa se lève subitement et attrape ma main.

- Viens Harry, ce n'est pas le bon moment là, allons nous-en, déclare t-elle avec un sang froid que je ne comprends pas.

- Je...voulais...juste...

- Sécurité ! appelle soudain son père sans me laisser le temps de finir ma phrase.

Une troupe d'hommes musclés arrivent quelques secondes plus tard et je n'essaie même pas de résister lorsqu'ils s'emparent de mes deux bras pour me traîner de force hors de la salle d'attente.

J'entends à peine la voix de la mère de Madison crier comme une promesse "Plus jamais tu ne reverras ma fille". Je ne vois même pas Alyssa qui accompagne le cortège, ni les dizaines d'infirmières qui arborent un air outré sur notre passage.

J'ai enfin réalisé que ce n'est pas un foutu cauchemar et tout ce que je suis capable d'imaginer est Madison, sur l'autoroute, conduisant bien trop vite parce qu'elle en est venue à la conclusion qu'elle ne voulait plus de la vie. Je l'imagine se dire "de toute manière, c'est fini, lui et tout le reste" en appuyant de toutes ses forces sur l'accélérateur pour se supprimer, disparaître simplement de la surface de la planète, sans prévenir quiconque.

Adieu son rire, adieu sa voix, adieu ses yeux bleus.

Sa mère a raison en fait, je finirai par la tuer si je ne sors pas immédiatement de sa vie. Mon cœur saigne à flot quand nous entrons dans l'ascenseur, et je voudrais qu'il saigne à m'en faire perdre connaissance.

Seigneur, qu'ai-je fait de cette fille en voulant l'aimer ?

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HELLO tout le monde ! xx

Je reviens aujourd'hui avec le nouveau chapitre, j'étais censée le poster la semaine dernière mais je n'étais pas chez moi et j'avais une mauvaise connexion Wi-Fi, donc difficile de poster quoi que ce soit... :(

Désolée pour l'attente, j'espère que ce chapitre vous a plu car je sais que vous l'avez tous attendu avec impatience.

Que pensez-vous de la tournure que prennent les événements ? Que pensez-vous de la relation entre Hanna et Alyssa ? Que pensez-vous du comportement d'Harry et comment envisagez-vous la suite de l'histoire ? Aimeriez-vous avoir plus de points de vue d'Alyssa ? Comme d'habitude, je serais vraiment très heureuse d'avoir votre opinion sur le chapitre.

Ne vous inquiétez pas, à l'avenir je serai capable de poster au moins deux chapitres par semaine, et de plus en plus d'éléments de réponse vont arriver au fil du temps. On approche du moment fatidique et j'espère que vous êtes mentalement préparés... ;)

Autrement, j'espère que vos vacances se passent bien. Pour ceux qui ont passé le bac, j'espère que tout s'est vraiment bien passé et que vous avez eu la note que vous vouliez. Bravo à tout le monde ! :D Les autres qui doivent encore travailler, je suis de tout cœur avec vous et j'espère que vous allez bien quand même, gardez le sourire. :)

On se retrouve très rapidement pour la suite, probablement vendredi. D'ici là, soyez patients, je vous fais à tous de très gros bisous et à très bientôt, Anne xx

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