Chapitre 3

Après quatre heures de shopping déterminé pendant lequel ma mère s'est comportée comme un enfant dans un magasin de jouets avant Noël, nous sommes enfin de retour à la maison.

Alors que je m'écroule sous le poids de tous mes sacs dans l'entrée, j'aperçois Evelyn, ma sœur, affalée dans le canapé, les yeux rivés sur un bol de céréales.

Je pousse un long soupir et elle me jette un regard mauvais.

J'avais presque fini par oublier qu'elle vivait ici, elle aussi. Il faut dire qu'on la voit si rarement à la maison. Elle passe ses journées dehors chez son petit ami gothique, Zayn, que je ne peux pas supporter, et ses nuits à faire la fête dans le premier bar qu'elle trouve.

Elle a beau avoir deux ans de plus que moi, je me considère comme largement plus mature qu'elle. Elle ne sait pas ce qu'elle veut faire de sa vie, et après avoir été refusée à Columbia, elle ne s'est plus inscrite ailleurs. Elle ne fait que traîner de petit boulot en petit boulot et «profiter», comme elle le dit si souvent à mes parents qui sont morts de peur pour son avenir. Je me demande d'ailleurs comment elle peut profiter en étant ivre la moitié du temps qu'elle passe éveillée.

La vérité, c'est qu'il y a toujours eu un immense fossé entre elle et moi.Elle est plus froide que la glace et elle ne m'adresse jamais la parole en général, sauf lorsqu'il s'agit de critiquer, évidemment. J'ai essayé plusieurs fois d'apaiser cette tension qui plane entre nous, mais ça n'a pas fonctionné. Je n'ai jamais su pourquoi mais j'ai depuis toujours l'impression qu'elle me déteste, et le mot est faible. Je n'ai rien fait pourtant. Et pour une raison qui m'échappe, le départ d'Harry n'a fait qu'empirer les choses.

Je reste quelques instants là, à la considérer. Elle pourrait être belle si elle ne mettait pas des tonnes de maquillage autour de ses yeux bruns en amande et si elle s'habillait avec plus de tissu. C'est fou comme je la regarde comme une étrangère, même si elle fait partie de ma famille.

Quelque part, au fond de moi, je voudrais tellement qu'on s'entende bien toutes les deux. Qu'on ait des choses sans intérêt à se raconter, qu'on se dispute parfois mais qu'on puisse encore rire de notre vie et s'échanger nos vêtements,comme deux sœurs normales.

Je me demande un instant si je ne dois pas engager la conversation, puis je me rappelle vite que ça ne servirait à rien. Ça ne sera jamais simple entre nous.

Je monte les escaliers toujours chargée de mes sacs et me dirige vers ma chambre pour aller me préparer. Je ressens comme une vague de froid et un pincement au cœur en enlevant le sweat d'Harry que je n'ai pas quitté de la matinée. Je sais, je suis pathétique.

Je prends peur en m'observant dans le miroir. J'ai une mine de fantôme et d'épaisses cernes violettes se dessinent sous mes yeux. Je soupire longuement. Et dire que je suis sortie comme ça, heureusement que je n'ai croisé personne. Je me demande comment je vais faire pour avoir l'air présentable pour ce soir.

*   

Je jette un dernier coup d'œil dans le miroir. Je suis enfin prête. La robe longue rose pâle et noire que j'ai choisie tombe parfaitement sur moi et le décolleté parsemé de quelques brillants met en valeur ma poitrine, sans que ce soit vulgaire. Ma mère voulait absolument partir dans quelque chose de farfelu et de complètement imprévisible avec mes cheveux, une sorte de chignon tressé et bouclé avec une rose d'après ce que j'ai compris. J'ai bien fait finalement de la couper dans son élan pour lui proposer une coiffure plus simple. Mes cheveux bruns meurent sur mes épaules dans de larges boucles et une tresse large traverse tout l'arrière de ma tête. C'est élégant, sans en faire trop, pile ce qu'il me faut pour me sentir à l'aise. Le maquillage a bien fonctionné aussi. On ne voit plus une seule trace de l'existence de mes vilaines cernes grâce à un peu de fond de teint et mes yeux sont agrandis par un joli smokey eye auquel je ne tenais pas au début mais que je suis en fin de compte heureuse d'avoir accepté. Une légère couche de gloss d'un rose très doux recouvre mes lèvres et réussit à cacher leurs gerçures. Je devrais vraiment arrêter de me mordre les lèvres constamment.

Ma mère se tient derrière moi, les mains posées sur mes épaules. Elle a l'air tellement heureuse et fière que je me demande si elle ne va pas se mettre à pleurer.

-Tu es absolument sublime ma puce, souffle t-elle la voix pleine d'émotion.

Et pour une fois, je sais qu'elle a raison. Je suis canon dans cette tenue et c'est agréable de l'admettre. Peut-être qu'aller au bal ne sera pas si terrible, finalement.

Ça fait vraiment trop longtemps que je ne me suis pas trouvée aussi belle. Ça me rappelle que j'adorais bien m'habiller avant. Mais ces deux dernières années, je me suis laissée aller, sûrement parce que je n'avais plus personne pour me trouver belle... Je chasse le visage d'Harry qui flotte dans mon esprit.

-Merci maman, pour tout ça, finis-je par répondre en désignant ma robe.

-C'est normal ma chérie, tu as été tellement courageuse cette année et nous sommes si fiers de toi. Tu mérites cette soirée plus que n'importe qui.

Elle essuie de sa manche une larme qui brille dans ses yeux bruns. Sans réfléchir, je me retourne et la prend dans mes bras alors qu'elle commence à renifler. Ça faisait un moment que je ne lui avais plus fait de câlin, et cette sensation de chaleur m'a manquée.

Je commence à être un peu angoissée quand on sonne à la porte. Ma mère relâche son étreinte et dévale les escaliers en criant qu'elle arrive. J'attrape mon téléphone, il est six heures. C'est sûrement Hanna.

Je décide d'enfiler mes talons hauts noirs en attendant qu'elle monte. En me relevant, je ne tiens pas très bien debout et je comprends désormais pourquoi certaines femmes appellent ces chaussures des instruments de torture. Mais c'est joli et ça allonge drôlement mes jambes, alors je suis prête à souffrir pour ça.

Lorsque Hanna entre dans le pièce, elle pousse une petit cri d'étonnement tout en s'approchant de moi, l'air très excitée.

- La vache Madison, tu es parfaite, crie t-elle presque en scrutant le moindre des détails de ma tenue.

Hanna aussi est magnifique. Elle porte une robe longue bleue ciel avec un jupon en tulle et des talons noirs plus hauts que les miens. Son épaisse crinière blonde est regroupée vers l'arrière en une coiffure très sophistiquée et ses magnifiques yeux bleus sont surmontés d'un fin trait d'eye liner, ce qui lui fait un regard irrésistible. C'est dans ces moments là que je me demande pourquoi elle n'a pas de copain, c'est sûrement la plus belle fille du lycée.

-Oui ça change hein, ris-je en la complimentant à mon tour.

Nous nous asseyons sur mon lit et continuons à rire quelques secondes, heureuses de pouvoir partager cette soirée ensemble.Nous n'en parlons pas, mais je sens bien que nous sommes toutes les deux angoissées. Une boule oppressante se forme petit à petit au creux de mon estomac.

Hanna s'arrête de rire brusquement quand ses yeux se posent sur mon cou.

- Madison, ne me dis pas que tu vas porter ça, dit-elle en désignant la chaîne de Harry.

- Si, je, je...

Je ne sais pas quoi répondre. Elle se lève d'un bond et commence à faire les cent pas dans la pièce en me jetant des regards accusateurs.

-Madison, tu n'es pas une petite chose fragile, et tu n'es sûrement pas SA petite chose fragile. Et je te rappelle que ce gars t'as fait souffrir comme personne d'autre, cette chaîne ne fait que te le rappeler tous les jours. Il est hors de question que tu la portes ce soir, cette soirée est très importante. Tu dois être forte et l'enlever, tout de suite.

Mon cœur se serre à ses mots et je dois me retenir de ne pas m'effondrer en larmes. Le pire, c'est que je sais qu'elle a raison, mais je ne peux pas m'y résoudre. Elle était si importante pour lui et il m'a demandé d'en prendre soin. Je n'ai d'ailleurs jamais compris pourquoi il me l'avait laissée. Tout ce que je sais, c'est que je n'ai jamais pu m'en séparer après son départ. Je me demande si je suis totalement prête à ne plus la sentir caresser mes clavicules. La réponse se bouscule dans mon esprit. Non,évidemment.

-J'ai besoin d'elle, soufflé-je avec honte.

Elle s'apprête à répliquer en levant ses mains comme pour rendre l'instant encore plus dramatique - elle adore faire ça -, lorsque nous entendons la porte d'entrée claquer violemment.

Coupée dans son élan, elle fronce les sourcils, incrédule, et nous nous taisons pour essayer d'entendre autre chose, mais rien ne parvient jusqu'à nos oreilles.

Quelques secondes plus tard, je vois Caspar passer la porte de ma chambre comme une tornade et m'attraper par le bras. Il a le visage livide. Qu'est-ce qui lui prend?

Sa mâchoire est contractée et ses lèvres sont pincées.

- Il faut qu'on parle, dit-il d'un air sévère qui me choque un peu en m'attirant hors de la chambre.

Je l'ai rarement vu aussi tendu, j'espère que ce n'est pas grave. Je le suis sans répliquer en jetant un dernier coup d'œil à Hanna, qui hausse les épaules et se rassied sur mon lit en nous regardant partir.

Je manque de trébucher dans le couloir, fichus talons.

Arrivés dans la chambre de mes parents, il ferme la porte derrière lui et me regarde avec fermeté.

- Madison, il faut que tu me promettes que tu vas faire vraiment très attention au bal, déclare t-il d'un air les plus sérieux.

Ouf, je m'attendais à un truc horrible. J'essaie de réprimer mon sourire en le voyant essayer d'être le grand-frère ultra protecteur et autoritaire, ce rôle ne lui va pas très bien. Ma réaction ne semble pas le faire rire et ses mâchoires se crispent de nouveau.

-C'est pour ça que tu fais tout un cinéma ? Tu sais bien que je ne suis pas inconsciente Caspar. Arrête de te mettre dans des états pareils pour des choses aussi stupides.

Il va s'asseoir sur le lit, pose ses coudes sur ses genoux et prend sa tête entre ses mains. Il hésite un instant avant de reprendre :

-Je sais bien, grogne t-il. Ce n'est pas de toi que j'ai peur, c'est des autres.

Son expression s'est un peu radoucie. Les autres ? Quels autres ?

-Tu n'as pas à t'inquiéter des «autres», comme tu dis, je n'ai pas d'amis à part Hanna. Les gens ne me remarquent même pas la plupart du temps.

Alors que j'essaie de le rassurer, mes paroles ont tout à fait l'effet inverse. Il devient de plus en plus blême. Il passe nerveusement sa main dans ses cheveux châtains. Qu'est-ce que j'ai dit ?

- Qu'est-ce qui te prend, merde ? pensé-je tout haut.

- Rien du tout Madi. C'est juste que, écoute, je, j'ai...tu as, je...

Quoi ? Je commence à m'inquiéter. J'ai des raisons de m'inquiéter ?J'ai l'impression qu'il ne veut pas tout me dire là.

- Finis ta phrase, ordonné-je.

Mais au lieu de m'écouter, il se lève, déterminé, pose un baiser sur mon front et plonge son regard impassible dans le mien. C'est la première fois que je remarque unetelle lueur sombre dans ses yeux doux. Ça me déstabilise, parce que je ne sais pas ce qu'elle veut dire ni pourquoi elle est là.

- Rien. Promets moi que tu feras attention.

Je suis de plus en plus angoissée par son comportement. Pourquoi ne répond-il pas ? Qu'est-ce qu'il ne dit pas ? La boule dans mon estomac se fait omniprésente.

Je veux une réponse, ça ne peut pas se passer comme ça. Mais je cède finalement face à son expression insistante qui me trouble.

- Promis, bredouillé-je.

-Tu es sublime au fait, sourit-il, changeant complètement d'humeur. Appelle-moi si tu as le moindre problème, j'insiste, le moindre problème, ajoute t-il.

Sur ce, il quitte la chambre sans me laisser le temps de dire quoi que ce soit. Pourquoi était-il si nerveux et mystérieux sans raison ? Pourquoi n'a t-il pas répondu à ma question ? J'ai tout à coup l'impression qu'une information capitale m'échappe, et je déteste ça. Qu'est-ce qui puisse être si grave pour qu'il ne me le dise pas, lui qui me dit tout d'habitude ? Pourquoi part-il comme ça ?

Je suis partagée entre lui courir après et exiger des explications ou retourner dans ma chambre et faire comme si de rien n'était. Je réalise vite que je ne peux pas m'obliger à ignorer ses paroles. Je décide finalement d'aller chercher des réponses, mais lorsque je sors de la chambre, j'entends le moteur de sa voiture démarrer dans l'allée et le temps que j'arrive en bas, il est déjà parti.

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Heyyyyyy everybody !
Voilà pour le chapitre 3, j'espère que vous l'avez aimé. :)
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Merci infiniment d'avoir lu, je vous aime fort et à bientôt pour la suite, Anne. ♡

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