Chapitre 24
Je fixe pendant de longues minutes la petite valise rouge posée au pied de mon lit. Je l'ai bouclée ce matin, sans entrain, sans enthousiasme, sans excitation particulière. J'avais autant envie de rassembler mes affaires pour le voyage que de me morfondre dans mon lit toute la journée ou de m'abrutir pendant des heures devant une série télé. Ce n'est pas que je n'ai pas envie de partir, c'est juste que ça m'est égal.
Ici, ailleurs, au bout du monde... Depuis une semaine, la vie n'a plus aucune couleur.
- Madison, chérie, tout est prêt ! crie ma mère au rez-de-chaussée.
Ce n'était pas mon idée, mais la sienne, naturellement. Ce genre d'initiative pour me sortir de mon trou vient toujours d'elle. Et comme toujours, c'est uniquement dans le but de lui faire plaisir que j'ai accepté. J'en ai assez de la voir se ronger les ongles parce que depuis la remise de diplômes, je n'ai plus mis un seul pied dehors. Même si c'est l'été, même si il fait beau et chaud. Comme je l'ai dit, je ne verrais certainement pas de différence. Alors je m'isole une fois de plus dans cette bulle d'incommunicabilité qui m'aspire au moindre fracas dans le bon déroulement de ma vie. Je me demande si je ne finis pas par l'aimer, cette bulle, même si elle n'est clairement pas assez résistance face au souvenir d'Harry. Ça paraîtrait si simple de fuir les problèmes, de se dire que rien ne nous touche parce qu'on éprouve rien, de ne plus être constamment dans la peur d'une autre mauvaise nouvelle. J'aimerais pouvoir trouver ce repos-là.
Peut-être que maman a finalement raison et que tout ce dont j'ai besoin, c'est de m'éloigner pour respirer un moment, pour réapprendre à vivre.
Sur cette pensée positive, j'attrape la poignée en cuir de ma valise avant de la soulever difficilement jusqu'au palier de ma chambre. Evidemment, mon père déboule en trombe pour m'aider comme si il attendait que je sorte enfin de la pièce depuis des heures et je me dis que lui aussi a motivé mon choix.
- Je m'en occupe ma puce, c'est lourd, déclare t-il en me couvant du regard.
"Je m'occupe de tes problèmes matériels ma puce, tu dois déjà porter tous tes problèmes de cœur et on voit bien que ce n'est pas facile".
Ça me crève d'être considérée comme aussi fragile mais je ne fais aucune remarque en descendant l'escalier derrière lui, consciente qu'il fait ça uniquement pour me soulager.
- Dépêche toi Daniel, susurre ma mère quand nous arrivons dans l'entrée, sinon les enfants ne seront jamais à l'hôtel avant la tombée de la nuit.
- Oui chérie, je sais, souffle mon père en levant les yeux au ciel.
Ma mère appelle Evelyn une dernière fois du bas des escaliers et je me dirige vers la voiture. Réaliser que je vais passer 18 heures dans cet espace restreint entourée de mon frère et de ma soeur me donne envie de fuir en courant et mes bonnes résolutions en prennent un coup.
- Maman, est-ce que je suis obligée de partir ? pleurniché-je sur l'instant comme une gamine de six ans qui ne veut pas aller dormir. Je pourrais rester ici, je ne vois pas pourquoi tu tiens tant à ce qu'on aille chez Tina.
Mes réflexions la prennent au dépourvu alors qu'elle finit de remplir le coffre et elle me gratifie d'un air sérieux et déterminé.
- Madison, c'est peut-être le dernier été que tu passeras en famille et je voudrais que tu t'amuses un minimum, c'est tout.
- Mais je m'amuse ici, tenté-je immédiatement tout en sachant pertinemment qu'elle n'en croira pas un traître mot.
Elle se contente d'ignorer mon mensonge et me fais signe de prendre place au creux de ses bras.
- Tout ira bien chérie, tu as juste besoin d'un peu d'air frais, c'est tout. Ça fait une semaine que tu n'es pas sortie, maintenant il est temps de te reprendre en main. Je ne veux pas que tu passes tes vacances à ruminer à propos de ce garçon, hors de question, après tout ce qu'il t'as fait !
J'ai envie de lui dire que ce n'est pas qu'un simple "garçon" mais je me retiens pile au bon moment. Parce qu'il faut que j'arrête d'imaginer que ça puisse changer après ma dernière décision, parce que je dois accepter qu'à partir d'aujourd'hui c'est exactement ce qu'il est, un simple "garçon" et rien de plus. Même si l'idée me donne envie de vomir et que son odeur flotte dans mon âme à longueur de journée.
- Et tu as toujours adoré ta tante, ajoute ma mère, ça fait très longtemps que tu n'as pas été la voir à Cape Cod. Je suis sûre que vous allez faire des trucs géniaux ensemble, conclue t-elle en relâchant son étreinte. Ce sera bien, tu verras. Daniel, Evelyn est prête ? demande ma mère en retournant à l'intérieur, toujours sur les chapeaux de roues.
Je pars m'installer sur le siège passager avec mon sac à dos qui contient les deux choses fondamentales à ma survie : mon portable et des écouteurs pour pouvoir m'évader à tout moment d'une discussion un peu trop gênante pendant le trajet ou m'épargner la musique country qu'écoute Caspar à longueur de journée.
Après quinze minutes d'agitation générale, au moins une bonne dizaine d'aller-retours empressés entre le coffre et la maison et un au revoir collectif assez long à cause de ma mère qui fait toujours les mêmes recommandations évidentes, nous sommes enfin prêts à partir.
Évidemment, Evelyn proteste parce que j'ai réservé la place avant et je choisis d'ignorer ses réflexions de gosse pourrie gâtée. Je crois bien qu'on ne s'entendra jamais toutes les deux et il lui aura fallu quinze secondes chrono pour me dégoûter de ce long trajet.
Je sens qu'on va bien s'amuser.
- C'est parti, annonce Caspar en mettant le contact.
Nous entrons sur l'autoroute quelques minutes plus tard et je mets mes écouteurs dans mes oreilles pour me plonger dans mon refuge. Je commence à m'assoupir délicieusement jusqu'au moment où la chanson Let It Be des Beatles raisonne dans mes oreilles, faisant remonter ainsi à la surface un souvenir bien douloureux : le bal de promo et la remarque que je m'étais faite en passant devant la maison d'Harry ce soir-là tout en ignorant ironiquement qu'il s'agissait en fait du début de la fin.
Je retire mes écouteurs sur l'instant et comme prévu, Caspar écoute de la country. J'augmente sensiblement le volume pour faire taire ma mémoire définitivement.
- Je croyais que tu n'aimais pas la country, souligne t-il en me jetant un coup d'œil malicieux.
Je me contente d'hausser les épaules et il ricane légèrement.
Je l'imiterais bien mais j'ignore si je peux me le permettre. Notre situation actuelle est un peu floue, et j'espère que ce voyage sera l'occasion de régler ce problème-là. Depuis mon discours, j'ai pu constater nettement du progrès, et même si bien sûr, la complicité d'avant n'est plus là, un bonjour, un merci, des petits signaux comme ce sourire me montrent que je n'ai pas perdu absolument toutes mes chances de me racheter. De ce côté-là, je peux presque apercevoir le bout du tunnel.
Enfin un peu de lumière.
Je finis par m'endormir au bout de quelques heures à admirer le paysage et c'est la sonnerie stridente de mon portable qui me tire brutalement hors de mes rêves.
Inutile de regarder le nom de la personne qui essaie de me joindre. C'est la même que tous les jours, environs six fois par jour depuis une semaine. Et à chaque fois, je ne décroche pas.
Comme un réflexe, je ne réfléchis même plus aux éventualités qui se présentent à moi et verrouille l'écran du portable en soupirant.
À quoi bon l'écouter ? Tellement d'occasions se sont présentées à lui auparavant, tellement d'occasions de me dire la vérité pour éviter de me perdre, tellement d'occasions gâchées pour finir dans la triste situation dans laquelle nous sommes coincés aujourd'hui, une impasse.
Même si je commence à avoir l'habitude, impossible de retrouver le sommeil après ça et j'envie tout à coup Evelyn, affalée sur les trois sièges arrières telle une véritable loque.
Et là, le temps commence à passer extrêmement, terriblement lentement. Je regarde environ deux fois par minute le tableau de bord avec déception et la radio me vrille les oreilles. Il reste encore six heures avant d'arriver à l'hôtel, notre point de pause pour la nuit.
Je tripote inlassablement mon téléphone dans mes mains moites et décide finalement qu'il serait intelligent d'effacer tous les messages d'Harry puisque la liste doit être assez longue. Ma boîte vocale va finir par être saturée si je ne fais rien. Je n'aurais pas à les écouter de toute façon, merci la technologie.
Je remets mes écouteurs et compose le numéro de la messagerie avant de flancher. Une voix mécanique commence à parler dans le vide et comme ce à quoi je m'attendais "vous avez 34 nouveaux messages", annonce le robot avant de passer le premier, qui date de la nuit de la remise des diplômes.
Je ne réagis pas assez vite et le clavier pour me permettre de passer au message suivant ne veut pas s'afficher. La voix étranglée d'Harry résonne bientôt dans mes oreilles, me coupant brusquement le souffle. Impossible de revenir en arrière après les premières syllabes, je suis totalement hypnotisée.
"Madi, je savais que tu ne répondrais pas mais j'avais juste besoin d'entendre ta voix. Est-ce que tu vas bien ? Ne pleure pas à cause de moi, s'il-te-plaît, ne pleure pas. Je ne veux pas te rendre malheureuse encore une fois. On s'en fout du fait que je ne puisse pas dormir en te sachant loin de moi ou que je jubile en entendant rien que ta messagerie dans mes oreilles, ça n'a aucune importance. La seule chose qui compte, c'est toi, ça a toujours été toi mon amour. Et si je t'impose ça aujourd'hui, c'est parce que je veux que tu sois heureuse et loin de tous mes secrets, c'est mieux comme ça. Je voulais te protéger et je comprends que tu te sentes trahie ou que tu ne veuilles plus rien avoir à faire avec moi. Mais je sais que ce n'est pas ce que tu veux et peu importe le temps que ça prendra, je t'attendrai. J'attendrai le temps qu'il faudra pour obtenir ton pardon mais ça viendra mon bébé. J'ai juste besoin d'un signe de ta part, un seul pour me montrer que ce n'est pas terminé, et que tu ne pensais pas ce que tu m'as dit il y a quelques heures. On ne peut pas oublier, on ne peut pas s'oublier. Je sais que tu m'aimes et que je t'aime aussi, tellement mon amour, tellement. Je voudrais que tu sois là, que je puisse te serrer fort contre mon cœur pour que tu constates à quelle vitesse hallucinante il bat quand tu es là. Je me fais peur des fois. Madi, ne me laisse pas. Je t'en supplie, quand tu auras ce message, rappelle-moi."
J'enlève mes écouteurs, totalement abasourdie par ce que je viens d'entendre. Une petite partie de moi a envie d'être déchirée en entendant ça, de réaliser qu'effectivement j'y ai peut-être été un peu fort et que j'aurais dû lui laisser plus de chances de s'expliquer. Mais je ne peux pas parce que c'est tellement facile de raconter n'importe quoi. C'est tellement facile de cacher la vérité en se servant de bonnes excuses. "Je voulais te protéger". Il ne sait même pas ce que je suis capable d'endurer, qu'est-ce qu'il peut y avoir de pire dans ce monde pour moi que son départ ? Que la lettre que m'a confiée Evelyn ce soir-là pour me descendre de mon petit nuage ? Et pourtant j'ai réussi à surmonter ces deux épreuves.
Pourquoi ne pas me faire confiance pour une fois ? Pourquoi ne pas arrêter de me considérer comme trop fragile pour gérer ça ?
Je remets mes écouteurs pour passer au message suivant qui date du lendemain matin. Harry renifle dans le combiné et je mords dans ma lèvre.
"Bébé, je sais que tu m'en veux, mais tu dois me laisser une chance. Je ne sais pas quoi faire, je tourne en rond sans toi, laisse moi au moins te voir une dernière fois. Rien qu'une dernière fois Madi. Je vais me laisser crever sans toi, tu m'entends, je vais perdre pied mon amour. Je veux juste être avec toi ou alors que tout s'arrête. Mon amour, reviens moi."
Mon cœur hurle littéralement et impossible de me contrôler.
- Caspar, il faut qu'on s'arrête, tout de suite, bégayé-je en me séparant du contact brûlant de mon téléphone. Je dois sortir de cette voiture.
Il me regarde d'un air paniqué et ses mains se crispent sur le volant.
- Qu'est-ce qui se passe ?
- Laisse moi sortir, répété-je en me tordant dans tous les sens.
- Calme toi, Madi, respire. On va faire une pause, ok ? Reste tranquille.
- Non, maintenant, laisse moi sortir Caspar. Laisse moi sortir de cette bagnole ! hurlé-je en frappant la portière.
Des larmes de rage dévalent mes joues et Evelyn grogne de mécontentement à l'arrière. Je jette un regard noir à Caspar qui ne réagit pas et il prend la direction d'une aire d'autoroute quelques secondes plus tard.
À peine sommes nous à l'arrêt sur le parking que je fonce dehors en ignorant les cris inquiets de mon frère. Je pars m'enfermer dans les toilettes et tout le contenu de mon estomac me monte subitement à la gorge. Toute ma haine et toute ma peine se déversent au fond de la cuvette et je les regarde passivement se noyer, vidée de toute émotion humaine.
- Madison, tu es là ? aboie Caspar à l'extérieur quelques secondes plus tard.
- Oui murmuré-je d'une voix étouffée. Je vais bien, juste... Accorde-moi deux minutes.
- Qu'est-ce qui vient de se passer là ? Tout allait bien et tu as pété un câble tout à coup. Ouvre cette porte Madison.
- Non, je t'assure que je vais bien. J'en ai pour un instant.
- Sois pas bornée, sors, répète t-il à plusieurs reprises.
Je finis par m'avouer vaincue et Caspar se rue sur moi en m'apercevant.
- Qu'est-ce que... Madison, qu'est-ce qui ne va pas ? Tu as vomi, constate t-il.
Je hausse les épaules et sous le coup de la lueur d'insistance dans son regard, mes yeux se remplissent à nouveau de larmes, mais ce ne sont plus des larmes de révolte. Ce sont des larmes de fatigue, des larmes de faiblesse.
- Je ne vais jamais y arriver, pas vrai ? avoué-je tout haut. Je ne vais jamais pouvoir me passer de lui, ce n'est qu'une illusion permanente cet apaisement, en réalité je suis au bord du gouffre. Un seul message un peu larmoyant et je replonge la tête la première. J'ai peur, Caspar, j'ai tellement peur. Je sais que je ne mérite pas de me plaindre, et surtout à toi, mais tu es le seul à m'entendre. Aide moi, s'il-te-plaît aide moi.
Sa mâchoire se contracte et il tend une main vers moi.
- Ton téléphone.
Je le sors lentement de mon gilet, indécise, et il l'agite devant mes yeux.
- Tu as besoin de vacances et ça, ça c'est non maintenant. On arrête les dégâts. Le passé, c'est le passé. Alors ce qu'on va faire, c'est qu'on va s'en débarrasser, définitivement.
Je hoche la tête et il pose mon portable par terre délicatement.
- À trois, ton pied écrase cette chose, ok ?
- Comment ça ? lancé-je sous le coup de la surprise. Tu veux que je le détruise ?
- Exact. Crois-moi ça te fera beaucoup de bien. À trois. Un, deux, trois !
Et je me retrouve là, dans les toilettes de cette aire d'autoroute, à sauter sur mon écran de téléphone comme Harry a sauté sur mon cœur à de multiples reprises. Et je saute, je saute, je saute avec détermination jusqu'à ce qu'il n'en reste plus que de misérables miettes.
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HELLOOOOOOOOOOO ! xx ♥
Comment allez-vous ? La semaine (courte et tant mieux) s'est bien passée ? Vous avez prévu des trucs cools demain j'espère ? Les jours fériés, on aime... En ce qui me concerne, j'ai prévu d'écrire donc je pense que je vais accumuler pas mal d'avance sur les prochaines publications ;)
Je poste ce chapitre-ci seulement aujourd'hui, et j'en suis désolée parce que vous me réclamez tous beaucoup la suite depuis l'épisode fracassant de la semaine dernière... Je n'ai pas eu le temps de terminer cette partie avant à cause de mes devoirs, mais aujourd'hui, elle est enfin là et j'espère qu'elle vous plaît ;)
Que pensez-vous de ce voyage ? Des messages d'Harry ? De l'attitude de Caspar ?
Je suis bien consciente que ce n'est pas une des parties les plus palpitantes de l'histoire mais maintenant que le ton est donné, on va pouvoir s'amuser et croyez-moi, vous n'êtes pas au bout de vos surprises ;)
Merci pour tous vos commentaires et vos votes qui sont là pour me soutenir à chaque nouvelle publication et merci infiniment à ceux qui m'ont souhaité de réussir mon bac de français, vous êtes des amours ♥
Gros bisous à tous et à bientôt, Anne xx ♥
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