Chapitre 22

Je sens mon cœur partir au quart de tour lorsque mon père se gare - trop tôt à mon goût - sur le parking déjà bondé du lycée. J'ai essayé de me concentrer le plus possible durant tout le mince trajet depuis la maison, de me convaincre que cette journée n'allait pas changer ma vie et que le ridicule ne tuait pas, rien n'y fait. Je suis toujours aussi stressée. Non seulement parce que je n'ai absolument aucune idée de ce que je m'apprête à dire devant des centaines de personne mais aussi parce que je suis totalement consciente de foncer droit dans le mur sans pouvoir y changer quelque chose.

Hier, je n'ai trouvé la force de rien faire. Je n'ai pas préparé le gâteau et je n'ai pas rédigé une seule ligne de mon texte si important car les seuls mots qui ont occupé l'intégralité de mon esprit ces dernières heures ont été ceux de Jayden, ces quelques syllabes qui m'ont révélé un énième mensonge d'Harry.

Après qu'il m'ait ramené, je me suis sentie incapable de quoi que ce soit à part m'enfermer dans ma chambre et regarder la journée défiler par la fenêtre. Je n'ai même pas remarqué que Caspar était rentré, je n'ai pas eu la force d'aller dîner pour l'affronter et c'est seulement quand nous nous sommes entassés dans la voiture ce matin que je l'ai enfin croisé.

Inutile de mentionner que l'atmosphère est extrêmement tendue depuis, personne ne parle à personne, et ce n'est pas parti pour s'arranger. Mais bon, je ne suis pas capable de gérer plus d'un problème à la fois, alors je reste en retrait.

Lorsque nous sortons de l'habitacle, je remarque directement les centaines d'étudiants habillés exactement comme moi qui convergent vers l'accueil d'un pas ferme et déterminé, tels une grande armée prête à partir au combat, ce qui ne fait que réveiller la boule qui remue presque constamment dans mon ventre.

J'aimerais vraiment pouvoir me défiler et passer la journée dans mon lit, exactement comme ça aurait dû se passer vu mon moral actuel, mais je ne peux pas décevoir mes parents. Ils veulent voir que je me comporte comme une ado normale et je n'ai aucune envie d'entendre maman parler encore de la perte de sa ''petite fille rigolote et pleine de vie''. Je me dois de faire cet effort pour eux et me rappeler que je vais probablement les décevoir énormément pendant mon discours me retourne l'estomac.

Ce lycée ne me manquera pas décidément, et c'est justement ça le problème. Le discours que je dois donner aujourd'hui est censé faire l'éloge de nos études, mais qu'est-ce que je pourrais bien dire ? Je n'ai jamais aimé cet endroit, encore moins quand Harry m'a laissé tomber en seconde, et je n'y ai vécu aucune expérience extraordinaire, seulement des tragédies en chaîne et des journées plus ou moins monotones. Je pourrais donner ma place à n'importe qui, ça me serait totalement égal.

À peine ai-je fait quelques pas sur le parking que le responsable du bureau des élèves, Stanislas, me tombe dessus.

- Madison, enfin tu es là, j'ai cru que tu n'arriverais jamais ! Monsieur et Madame Parks, salue t-il mes parents, toujours aussi diplomate.

Mon frère et ma sœur se tiennent derrière moi d'un air gêné.

- Euh... Stanislas, tu connais sûrement mon frère, Caspar, et voilà ma sœur, Evelyn.

Il serre immédiatement la main de Caspar des étoiles plein les yeux sans accorder le moindre regard à la traînée qui me sert de sœur. J'ai toujours su que Stanislas avait un faible pour mon frère, la star du lycée l'année dernière, et il faudrait vraiment être aveugle pour ne pas le remarquer. Pourtant mon frère lui fait un grand sourire totalement naïf et je me retiens d'exploser de rire pour ne pas installer un malaise.

- Je suis désolée, mais je dois vous la piquer quelques instants avant son grand moment, plaisante Stanislas avec mes parents avant de se tourner vers moi. Il faut y aller, on a encore du boulot et le temps presse, affirme t-il avec détermination en commençant à marcher vers le bâtiment.

Je jette un dernier regard à mes parents qui me sourient avec toute la fierté du monde et je me sens plus mal que jamais.

Comment je vais me sortir de là ?

- Qu'est-ce qu'on va faire exactement ? questionné-je Stanislas pour me rassurer.

- Alors attends, j'ai fait une liste, répond-il avec son entrain habituel.

Ça ne m'étonne pas, ce type est toujours sur la brèche, c'est dingue.

Il sort un petit papier de sa poche.

- Alors... Il nous reste à voir si tu as besoin de retouches au niveau du maquillage, à tester ton micro pour tout à l'heure et à répéter ton discours, bien sûr, énumère t-il calmement.

Mon sang ne fait qu'un tour quand le mot ''discours'' franchit ses lèvres. Il vaut mieux lui avouer la vérité tout de suite, tant qu'il peut encore m'aider à m'en sortir. Parce que si quelqu'un peut bien me sauver, je sais que c'est lui.

- Oh, à ce propos...

- Il y a un problème ? m'interroge t-il derrière ses lunettes rectangulaires d'intellectuel.

- Je... Je n'ai pas une idée très précise de ce que je vais dire en fait, articulé-je pitoyablement.

- Pardon ? dit-il spontanément en soulevant ses lunettes. Tu n'as rien préparé DU TOUT ? C'est une blague, j'espère ?

Je secoue la tête en regardant mes pieds et il pousse un long soupir de désespoir.

Je sais oui, je produis souvent cet effet-là chez les gens.

Il se frotte les yeux avant de déclarer :

- Bon, viens avec moi. J'ai peut-être une solution, mais on doit se dépêcher.

Il m'emboîte le pas et nous commençons à slalomer à travers les couloirs du lycée jusqu'à arriver au hall principal. Stanislas sort précipitamment une petite clé de sa poche et ouvre la porte du casier qui lui est attitré. Il fouille quelques instants à l'intérieur et je me demande bien ce qu'il y cherche. Il en sort enfin un bout de papier plié en quatre et me le tend.

- Tiens, c'est un truc que j'ai vaguement écrit l'année dernière, quand j'avais encore l'espoir d'être le meilleur étudiant de ce lycée. Je ne me rappelle plus de quoi il s'agit exactement, mais ça devrait passer sans problème. Il faut juste que tu l'apprennes. N'empêche, j'arrive pas à croire que tu n'ai rien préparé, c'est quand même un grand honneur d'avoir ce rôle tu sais, ce n'est qu'une fois dans ta vie !

- Je sais, je sais, bredouillé-je pour qu'il arrête de me reprocher mon manque d'enthousiasme.

Il ne sait rien de mes dernières vingt-quatre heures et j'aurais bien aimé savoir ce qu'il aurait eu le courage de faire à ma place.

- Suis moi, ajoute t-il en reprenant sa marche, infatigable. Je vais te trouver un endroit calme pour que tu puisses réviser.

Tout en déambulant derrière lui, je commence à lire quelques bribes de son discours et je réalise avec stupeur que jamais je ne serais crédible avec un truc pareil. « Ce lycée restera toujours mon endroit préféré » ou encore « Mon amour pour ces quelques années que j'ai passées ici est inconditionnel » sont des phrases qui sonneront terriblement fausses dans ma bouche. Tout le monde sait que j'ai subi mon temps passé ici comme un prisonnier purge sa peine. Je ne suis pas populaire, je ne suis pas enjouée de manière contagieuse, je ne suis pas excessivement accrochée à ma scolarité, je suis juste une fille discrète qui n'aime pas se faire remarquer.

Tu parles d'un discours adapté...

- Je ne suis pas sûre que je sois capable de dire un truc pareil, ça ne me ressemble tellement pas tout ce patriotisme pour un simple lycée, lancé-je sans réfléchir.

Stanislas se retourne juste pour me jeter un regard noir qui signifie « Ferme-là, on en serait pas là si tu avais fait ton boulot correctement » et je n'ose plus broncher. Après tout, c'est déjà mieux que d'y aller au talent.

Tout s'enchaîne très vite quand nous arrivons dans une salle info du deuxième étage.

Stanislas me fait répéter mon monologue avec détermination phrase après phrase et il me faut à chaque fois quelques secondes seulement pour tout oublier et repartir à zéro. J'ignore combien de temps nous y passons, mais je n'arrive toujours pas à assimiler ce tissu de mensonge avec lequel je bourre mon crâne.

Stanislas, toujours patient d'ordinaire, est sur le point de s'arracher les cheveux quand je remplace maladroitement le mot ''cursus'' par ''études'' pour la énième fois, et j'en ai assez.

- Bon, stop, on arrête les frais, déclaré-je. C'est très bien comme ça.

- Non, c'est une catastrophe, se lamente Stanislas. Minable.

Il jette un coup d'œil à sa montre et pousse un énorme cri qui fait trembler les murs.

- Oh mon Dieu, tu passes dans dix minutes et rien n'est prêt ! s'exclame t-il. OK, on a plus le temps, on a plus le temps, répète t-il en jetant un coup d'œil par la fenêtre. On doit descendre tout de suite.

Mon cœur bat à cent à l'heure pendant le trajet jusqu'à la cour et je ne sais même pas si je respire encore. Je m'en fiche à vrai dire, m'évanouir me paraît être un bon plan.

J'ai l'impression que je vais imploser quand nous découvrons dehors l'immense flot humain venu à cette cérémonie. Le pire, c'est que je vois partout autour de moi des étudiants enjoués rire avec leurs amis tout en sachant pertinemment qu'Hanna est là mais qu'elle doit sûrement s'en foutre de moi. Je vois aussi des couples s'embrasser, même un frère embêter sa sœur un peu plus loin, et j'ai juste envie de vomir.

Ah, vomir, une autre bonne idée.

Stanislas a un visage livide qui ne fait que m'angoisser davantage lorsqu'il m'escorte jusqu'en bas de l'estrade, et je ne préfère pas m'imaginer ce à quoi je ressemble.

- N'oublie pas, évite de regarder le papier trop souvent, fais-leur un immense sourire et ça devrait aller. Si c'est catastrophique, les gens l'oublieront vite, on a prévu de la bonne musique pour ta sortie.

J'ignore si ce qu'il vient de dire est censé me rassurer ou me descendre encore plus, alors je ne réponds rien, m'enfonçant doucement dans mon stress.

Le proviseur du lycée monte sur l'estrade et toutes les conversations cessent instantanément. Il souhaite brièvement la bienvenue à tout le monde puis annonce mon arrivée. Mon estomac se tortille dans tous les sens. Stanislas me fait signe d'y aller et je monte la première marche.

Ça commence.

Seigneur, ne me laissez pas tomber.

J'essaie d'avoir une démarche normale et parfaitement confiante jusqu'au pupitre, quand j'y arrive je ne peux pas m'empêcher d'être tétanisée par la peur en constatant la taille de l'assemblée qui a ses yeux braqués sur moi, et sur moi seule.

Je déplie mon papier en tremblant. Courage, courage, courage.

- Bonjour à tous, commencé-je, je m'appelle Madison Parks et c'est un honneur pour moi d'être devant vous qui êtes tous réunis aujourd'hui pour une occasion bien spéciale. Je...

J'aperçois subitement une tignasse brune dans les premiers rangs, et son propriétaire me fixe avec des yeux verts émeraudes étincelants.

J'ai envie de mourir sur place. Est-ce que je suis dans un cauchemar ?

Je croise le regard d'acier de Stanislas et m'aperçoit que je me suis brutalement arrêtée dans mon élan.

Et non, réalité.

- Je... essayé-je de reprendre. Je...

Je ne vois plus ce qui est écrit sur mon papier tout froissé que j'agite frénétiquement devant mes yeux. Je ne vois que la lettre qu'Harry a écrite à Caspar ce jour-là. Je ne vois que le regard de Jayden quand il m'a annoncé hier qu'Harry était bien parti pour cette fameuse Alyssa. Et là, je comprends enfin que c'est une occasion en or que m'accorde la vie et que personne d'autre ne mérite plus de prononcer ce foutu discours que moi.

L'heure de la revanche a sonné.

Je déchire mon texte discrètement derrière le pupitre et lâche les morceaux sur le sol en ignorant le regard outré que me jette Stanislas qui n'a pas perdu une miette de la scène.

- Un jour, j'ai lu quelque part que les souvenirs sont la destination la plus lointaine que l'on puisse explorer. J'ignore qui est le premier à avoir dit une chose aussi intelligente, mais j'ai la conviction que personne n'a jamais réussi à lire plus clair en l'homme. Les souvenirs sont l'essence même de qui nous sommes. La première fois qu'on a mangé du chocolat, la première robe de princesse qu'on a enfilé, le premier lego qu'on a réussi à construire, tant de choses que l'on aime et sans lesquelles on ne pourrait pas vivre, sans lesquelles on ne se sentirait pas totalement complets, pas tout à fait nous-mêmes. Les souvenirs sont toujours là pour nous rappeler que la vie peut-être belle et pour nous remonter le moral. Mais parfois, il arrive qu'on oublie des souvenirs, juste comme ça, en un claquement de doigts, ça arrive, tout n'a pas la même importance. Dans notre vie, on est souvent confrontés à divers problèmes qui nous obligent à nous séparer de choses ou de personnes qu'on aime. Avec les souvenirs, c'est pareil. Il faut en laisser partir certains pour mieux continuer sa route. Je ne vais pas vous mentir, le lycée n'a pas été une expérience palpitante pour moi, mais elle m'a faite énormément grandir. J'y ai appris beaucoup de choses, mais la plus essentielle est que, comme a dit une autre personne extrêmement sage un jour « se souvenir ranime, mais vouloir se souvenir détruit ». On ne peut pas toujours retrouver tout ce que l'on voudrait retrouver. Et souvent, les choses dont on se souvient le plus et qui ont le plus d'impact sur nous sont celles qu'on ferait mieux d'oublier. Vous pouvez me faire confiance, je sais de quoi je parle. Mais à présent je sais distinguer le vrai du faux, le mal du bien, et les bonnes personnes des mauvaises. Tout ça grâce à ce lycée. Je sais ce que je veux maintenant, et je vous souhaite de vouloir exactement la même chose : du neuf, du neuf et encore du neuf. De nouveaux souvenirs pour remplacer ceux que je croyais importants mais qui en réalité n'avait aucune valeur, aucune. Je sais qu'aujourd'hui on en est tous là, et je nous félicite, parce que la vie nous attend et qu'à présent on sait comment la dompter. Merci beaucoup.

Des applaudissements, des sifflements, et dans les premiers rangs, un visage déchiré par les larmes.

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HELLO HELLO ! xx
Comment ça va ? Vos vacances se passent bien ? Courage à ceux qui ont cours comme moi, le weekend arrive vite, plus que deux jours !
Je suis hyper heureuse de pouvoir vous poster le chapitre 22 aujourd'hui, je suis plutôt en avance et c'est assez rare. Je voulais le poster demain ou samedi à la base mais je pouvais pas attendre de connaître vos réactions, surtout en ce qui concerne la fin.
Comment trouvez-vous le discours de Madi ? Auriez-vous changé quelque chose à sa place ? Qu'imaginez-vous pour la suite ? Vos petits commentaires sont juste géniaux et vos théories me font beaucoup rire, merci infiniment :D
Begin Again est passé à 7K et c'est juste incroyable, si vous saviez comme je vous en suis reconnaissante, ça a toujours été un rêve pour moi et savoir que tout ça vous plait, c'est juste indescriptible comme sentiment
On se retrouve au plus vite pour la suite, je vous aime fort et je vous fais de gros bisous, Anne xx

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