Chapitre 2

Je m'assieds douloureusement sur le bord de mon lit. Je vais vomir. Mon corps est couvert de sueur. Mes pieds touchent le parquet froid. Je respire fortement pour essayer de me ressaisir mais je ne réussis pas à raisonner les larmes qui ravagent mon visage. Mon cœur tambourine tellement fort dans ma poitrine que j'ai l'impression qu'il va se décrocher.

Chaque nuit c'est la même chose. Chaque nuit, je revois son visage, je ressens ses lèvres sur les miennes, je repense à tout ce qu'on a vécu et je me dis que je suis trop conne, que j'aurais dû voir que quelque chose n'allait pas. Chaque nuit, je me répète les dernières choses qu'il a dites et j'essaie de trouver quelle phrase je n'ai pas comprise comme je l'aurais dû. Chaque nuit, je revois le moment où il est parti, le pire jour de ma vie, et chaque nuit, c'est encore plus douloureux que la veille.

Pourtant, je commence à avoir l'habitude de ces cauchemars et je ne peux pas m'empêcher de me demander si c'est bon ou mauvais. Ils sont devenus comme ces vieux amis qu'on aime pas tant que ça mais dont la présence nous fait nous sentir nostalgique et vivant. Parce que c'est ce qu'ils me font. Ils me font souffrir, plus que jamais, mais ils me ramènent à lui. Ils me permettent de retrouver ce temps où tout allait bien et où je pensais encore naïvement que ça durerait. Ils m'autorisent à me rappeler que cette époque là a vraiment existé. Ça ne fait presque que deux ans, mais elle semble tellement lointaine que j'en doute parfois.

Ma respiration est plus lente mais toujours un peu saccadée.

Je remarque un fin rai de lumière sous ma porte fermée et j'entends des pas dans le couloir. Qui sera le premier à venir me réconforter ce soir ? Le plus courageux, j'ai sûrement réveillé tout le monde avec mes cris.

Ma porte s'ouvre et je vois mon grand frère, Caspar, apparaître dans l'embrasure de la porte, un verre à la main. Il entre précipitamment en refermant la porte derrière lui.

Il vient directement s'asseoir à côté de moi et m'attrape par les épaules.

- Toujours le même cauchemar, je suppose ? souffle t-il, la voix pleine de sommeil.

J'acquiesce en attrapant le verre qu'il me tend. Je prends une gorgée d'eau glacée qui apaise un peu la boule dans ma poitrine.

-Qu'est-ce que j'ai mal fait, Caspar ?  Où est-ce que j'ai manqué un épisode ? désespéré-je de ma voix encore pleine de sanglots en me rallongeant sur le matelas.

-Je ne sais pas, sœurette. Ce n'était pas de ta faute. Je sais que quelque part au fond de toi, tu essaies de comprendre tout ce merdier, mais il y a certaines choses qu'on ne peut pas empêcher ni comprendre. C'est simplement le destin. Arrête avec cette culpabilité. N'importe qui aurait réagi comme toi.

Je vois qu'il me couve du regard à la lumière de la Lune qui transperce les volets et j'imagine ses cheveux châtains en épi à cause de son réveil précipité.Une vague de sécurité m'emplit le cœur quand il me recouvre du drap.

Je ne l'ai jamais avoué à ma famille, mais je préfère largement quand c'est Caspar qui vient me réconforter la nuit. Pas seulement parce qu'on a toujours été proches tous les deux, et qu'on s'est toujours tout dit, mais aussi parce que mes parents ne savent jamais comment réagir, ils se confondent en «Ça va ?» et même si je sais qu'ils s'inquiètent parce qu'ils tiennent à moi, j'ai envie de les flanquer à la porte au bout de dix secondes. Contrairement à eux, Caspar a compris que je vivais avec mes cauchemars que je le veuille ou non, et que ça ne changerai pas. Il a accepté le problème alors que mes parents cherchent encore des idées inutiles pour me faire changer, comme par exemple m'envoyer chez un psy - ridicule. Malheureusement pour moi, Caspar n'est à la maison que pendant les vacances. Il étudie la biologie à Columbia donc il vit là-bas le reste de l'année. J'aimerais tellement qu'il soit ici plus souvent.

-Il est le seul coupable, ajoute t-il en grognant.

Je sens qu'il se tend et qu'il serre les points en disant ça. J'ai envie de croire qu'il a raison mais j'en doute encore. J'ai envie de répliquer mais je sais que je ne peux pas lui en vouloir de détester Harry. Il m'a abandonnée du jour au lendemain sans explication, hormis ce vulgaire bout de papier qu'il a dû mettre dix secondes chrono à gribouiller. Mon cœur se serre un peu quand la forme de cette lettre danse dans ma mémoire.

Je l'ai plusieurs fois imaginé entrain de l'écrire. Il faut dire que je me pose tellement de questions depuis son départ. Est-ce qu'il pleurait ? Est-ce qu'il a frôlé le papier une dernière fois avant de le poser dans le sac,comme dans un élan de regret ? Ou est-ce qu'il avait un regard satisfait en marquant mon nom au dos de l'enveloppe, finalement heureux de se débarrasser de moi ?

Je soupire en me disant que je ne le saurais probablement jamais.

Un silence un peu gênant s'installe et je remercie Caspar. J'essaie de le convaincre que je vais me rendormir, et même si moi-même je ne suis pas capable de croire un seul de mes mots, il finit par sortir sans poser de question.

Je reste un long moment sans bouger en fixant les différents éléments qui composent ma chambre. Je m'efforce de ne penser à rien mais quand mon regard rencontre la chaise près de mon bureau, je n'arrive plus à l'en détacher. Je le revois m'attirer contre lui et passer sa main rugueuse dans mes cheveux comme si c'était hier. C'est douloureux. Comment c'est possible qu'une personne responsable de votre plus beau souvenir soit aussi l'objet de votre pire ?

Je me retourne sur le côté pour couper court à mes pensées et j'implore le sommeil de m'emporter loin de tous ces souvenirs.

*

Je suis encore étourdie en descendant les escaliers le lendemain matin. Je porte toujours l'énorme sweat-shirt rouge d'Harry, une des dernières choses qu'il me reste de lui. J'ai un peu trop chaud, mais ça ira. Il l'a oublié chez moi un jour et je ne lui ai jamais rendu. Même si c'est malsain, je m'en félicite encore. Je l'ai enfilé hier dans un moment de faiblesse, je n'arrivais pas à me rendormir et son odeur dont il est encore un peu imprégné a fini par m'apaiser. C'était un sommeil lourd et sans rêves. Ce n'était pas agréable, mais je sais que je n'aurais pas pu faire mieux après mes cauchemars.

En arrivant dans la cuisine, j'aperçois directement ma mère affairée autour du grille-pain et de la machine à café. Elle me sourit timidement.

- Tiens, je t'ai fait tes toasts, dit-elle en posant devant moi une assiette chaude. Avec du beurre de cacahuètes, comme tu les aimes.

Je souffle un bref «merci» et ma voix cassée me surprend autant qu'elle. Je m'assieds à table et elle me rejoint.

Je n'ai pas très faim mais je veux lui faire plaisir et manger m'évite d'avoir à me concentrer sur la lueur d'inquiétude qui emplit ses yeux quand elle me regarde. Je sais qu'elle ne dira rien, mais elle meurt d'envie de me demander comment s'est passée ma nuit.

Elle prend son café fumant dans ses mains et un large sourire fend tout à coup son visage.

- Alors, c'est enfin le grand jour?

Elle tape dans ses mains en signe d'excitation. Ça ne peut pas être bon.

- Quoi ?

Mon incompréhension se lit clairement parce qu'elle s'empresse d'ajouter :

-Oui, le bal de promo chérie.

Seigneur, sauvez-moi.

-Tu verras, ce sera le plus beau jour de toute ta vie. Nous allons passer la journée à te chouchouter et tu seras absolument parfaite pour ce soir. J'ai tellement d'idées de coiffures à essayer, continue t-elle, toute fière.

Avec ma nuit agitée, j'en avais presque oublié ce stupide bal de promo. Ça fait des mois que ma mère m'en parle comme un événement clé de ma vie. Je ne vois vraiment pas pourquoi elle en fait tout un flan. C'est juste une soirée où les dernières années dansent ensemble, boivent trop et essayent de se conforter dans l'idée que c'est bien de finir le lycée, alors qu'en vérité ils sont nostalgiques et ont peur de quitter leur zone de confort.

Évidemment, j'ai fait ce que j'ai pu pour essayer de m'en dispenser mais ma mère est formelle, je ne dois manquer ça pour rien au monde.

J'ai envie de lui dire que je ne veux pas y aller et m'enfermer dans la chambre toute la journée mais elle aime tellement ce genre de futilités, je ne veux pas gâcher son enthousiasme.

J'essaie de feindre un sourire et elle jette un coup d'œil à sa montre.

- Il est déjà dix heures, nous n'avons pas une minute à perdre jeune fille, il faut te trouver une robe parfaite avant l'arrivée de Hanna.

Hanna est ma meilleure amie. Elle a emménagé à Charleston l'année dernière suite au divorce de ses parents, et comme elle ne connaissait personne, on a vite sympathisé. Je n'ai pas beaucoup d'amis à part elle. J'en avais avant, j'étais populaire parce que Harry était populaire, moi je suis plutôt du genre timide et pas très sociable. Alors forcément, après son départ, les gens m'ont laissée tomber petit à petit. Je n'étais plus intéressante sans lui, comme si je n'étais plus rien. Ça aussi ça m'a fait mal. Mais Hanna n'est pas comme eux, elle m'a acceptée comme je suis, avec mon passé un peu trop étouffant.

On a conclu il y a quelques semaines qu'on irait au bal toutes les deux, parce qu'on est toutes les deux célibataires. J'espère qu'on va quand même profiter un minimum au milieu de tous ces amoureux. Je vois d'ici tous ces petits couples niais qui se tiendront la main et s'appelleront par des noms puérils toute la soirée. Ce que je donnerai pas pour être malade aujourd'hui...

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Bonjour tout le monde !
Voilà pour ce chapitre 2, j'espère vraiment qu'il vous a plu.
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Merci infiniment d'avoir lu, je vous aime fort et à bientôt pour la suite, des bisouuuuuus, Anne. ♡

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