9. Se découvrir
En média "Chasing cars" de Snow Patrol
La semaine se poursuit dans un flottement. Je n’ai pas osé effacer la trace au marqueur que Manoé a apposée sur mon poignet. Elle s’est éclaircie au fil de mes douches, mais reste bien visible. Je la cache donc sous des pulls ou chemises à manches longues. Je n’ai pas envie de répondre aux interrogations de mes amis s’ils la remarquaient. Je me suis surprise à plusieurs reprises à la caresser inconsciemment. C’est comme une marque indélébile qu’il a gravé sur ma peau. J’ai beau chercher une signification plausible, mais toutes celles qui traversent mon esprit appellent à d’autres questions dont je ne trouve pas la réponse. Même mes discussions unilatérales avec Loly ne m’ont pas aidé à y voir plus clair.
M comme Marquée ? Même si c’est ce qu’il a fait au final, quel est son objectif ?
M comme Miel ? Il me surnomme Petite Abeille, donc ce serait logique. Mais pourquoi avoir embrassé mon poignet ? Et qu’est-ce que cela sous-entend ?
M comme Mienne ? Serait-il possible qu’il attende de moi quelque chose que je ne suis pas sûre d’accepter ? Quelque chose que je ne veux pas refuser ?
Je suis perdue, entourée par toute cette foule de lycéens qui s’affairent autour de moi, comme des ouvrières dans une ruche. Ça grouille, ça fourmille, ça butine, et moi je me laisse entraîner dans ce flot tourbillonnant.
Suzelle, notre experte en psychologie humaine, a même fini par remarquer que j’étais à l’ouest depuis lundi. Elle profite qu’on soit seules ce vendredi midi, du fait de l’entraînement de rugby de Stan et du rendez-vous dentiste de Fanny, pour me prendre entre quatre yeux.
— Douce ou forte ? me questionne-t-elle.
— Quoi ? C’est quoi ton nouveau délire ? lui retourné-je la question ne voyant pas où elle veut en venir.
— Je te laisse simplement le choix de la méthode pour te faire cracher le morceau. Alors, douce ou forte ? réitère-t-elle bien décidée à ne pas lâcher l’affaire.
— Je ne vois pas de quoi tu parles, chère amie, tu te fais des idées. Tu devrais arrêter ta lecture des bouquins de Schachter sur la psychologie sociale, ça te monte à la tête ma vieille ! Je vais bien, excellemment bien d’ailleurs. La semaine a été éprouvante, mais mon coeur et moi te remercions de ta sollicitude, lui réponds-je en enfournant une bouchée de mon hachi-bolo pour m’obliger à me taire et surtout couper court à toute discussion que je préfère éviter.
— Je ne sais pas ce qui m’épate le plus, me dit-elle faussement songeuse. Que tu connaisses le travail de cet éminent psychologue ou que tu en dévoiles tant en disant si peu ? Mais si tu préfères, je vais te dire, moi, ce que tu essaies maladroitement de cacher. Tu te retrouves dans le rôle de l’arroseur arrosé. Tu voulais anticiper le mauvais coup que Manoé et sa bande auraient supposément orchestré contre ta personne, en te rapprochant de lui. Cependant, tu découvres que finalement, lui et les autres ne sont pas les diables que tu t’es toujours imaginée. Tu te surprends même à apprécier leur côté tête à claques, n’est-ce pas ?
— Tu racontes n’importe quoi ! tenté-je vainement.
— Ah bon ? Parce qu’à te voir le bouffer des yeux comme tu le fais chaque fois qu’il est dans ton viseur, j’aurais parié que ce mec s’est transformé en délicieux gâteau au chocolat. Et j’ai une news pour toi, ma belle, il te regarde exactement pareil ! Alors c’est quoi le plan ?
— Je ne fais que ce que nous avons convenu avec Fanny et Stan. Je me laisse juste approcher, rien de plus. Je te rappelle que toi aussi tu étais ok pour ce plan.
— Oui c’est vrai, et honnêtement ça ne me gênerait pas si tu étais réellement détachée. Mais je vois bien qu’au fond, tu es prête à craquer. Comme tout le monde, Manoé a ses défauts, mais il a aussi des qualités. Tu devrais peut être accepter qu’il te les montre, finit-elle convaincante.
— Mouais… tu as peut être raison. D’ailleurs, il m’a proposé une sorte de rencard demain après-midi. Mais chut ! Pas un mot aux autres s’il te plaît ! Je ne voudrais pas que Fanny monte une opération commando juste pour nous pister avec un Stan prêt à intervenir au moindre faux pas du Châtain, lui révélé-je.
— Petite cachotière va ! Mais t’inquiète, motus et bouche cousue. Tu as aussi le droit de t’ouvrir au bonheur, Mel. Loly n’est plus là, mais ça ne veut pas dire qu’il faille mettre nos vies en stand bye. Prenons ce que la vie nous donne, le temps qu’elle nous l’accorde, me dit-elle, attrapant ma main qu’elle serre fort dans la sienne dans un geste de soutien mutuel.
Je refoule la larme orpheline qui s’invite au coin de mon oeil. Comme si j’avais entendu son appel silencieux, mes yeux trouvent ceux de Manoé dont l’expression interloquée face à ma mine certainement défaite révèle qu’il se soucie de mon état. Je lui adresse un petit sourire vacillant auquel il répond par son éternel clin d’oeil. Puis, je reviens à une discussion beaucoup plus légère avec Suzelle qui me fait part de ses nouveaux échanges de mail avec son correspondant Italien, sur lequel elle craque carrément.
***
Ça y est, on est samedi, il est 14h30 et Manoé devrait arriver d’une minute à l’autre. Ce matin, avec Mamie, ils ont convenu que son travail était fini dans notre jardin qu’il a parfaitement remis en état. Apparemment, il ne reste plus qu’un simple entretien que Mamie pourra gérer toute seule jusqu'à l'arrivée du printemps. En cas de besoin, il s’est quand même proposé à repasser mais dans l’ensemble, le nécessaire a été fait. Moi qui étais plutôt sceptique lors de sa proposition, je dois reconnaître qu’il est vraiment doué et qu’il s’y connaît plutôt pas mal.
Je suis un peu triste de savoir que notre rituel-chocolat du samedi matin, auquel je commençais à prendre goût, va s'arrêter. Cela me manquera sans aucun doute. Il a dû le ressentir quand il m’a dit qu’il saura dorénavant où venir boire le meilleur chocolat chaud. Puis il a fixé le rendez-vous à 14h30 en me précisant de m’habiller chaudement mais confortablement. Je ne sais pas ce qu’il me réserve, mais j’ai hâte de le découvrir.
Manoé est un personnage complexe et il me tarde d'en apprendre davantage sur lui. Peut être que cet après-midi sera l’occasion de lui poser toutes les questions qui me trottent dans la tête. Mais y répondra-t-il ?
Il n’a même pas le temps de toquer que j’ouvre la porte à la volée lui signalant que je suis prête et qu’on peut y aller. Surpris de prime abord, il se met à rire et je l’accompagne dans son amusement, en prenant conscience de mon approche cavalière. Nous nous reprenons quand il acquiesce et me prend par la main pour nous conduire jusqu’à l’arrêt du bus le plus proche.
Une fois installés dans le bus, nous parlons peu mais les silences sont confortables. Contrairement à ce que je pensais, il n’y a pas de gêne entre nous.
Manoé, qui n’a pas lâché ma main depuis le début, refuse de me révéler notre destination. Ça ne me dérange pas, je suis assez aventurière et j’aime bien les surprises. Je le découvre plutôt tactile car il dessine de petits cercles concentriques sur ma paume tandis que son autre main bat la mesure d’une musique que lui seul entend. Je décide donc de profiter du paysage qui défile durant le trajet.
Nous descendons à l’arrêt du Parc Meissonier de Poissy. Je suis surprise, je ne l’imaginais pas m’emmener dans un… parc. Je le voyais plutôt du genre à traîner au cinéma pour tenter de me galocher dans le noir, ou aux arcades. Là, il m’en bouche un coin. Il s’en rend compte car il se rapproche de moi, se penche à mon oreille et me dit:
— Je veux te montrer l’un des endroits que je préfère ici. Viens !
Puis, c’est toujours main dans la main qu’il m’entraîne à sa suite. Au passage, nous passons près de parterres fleuris, joliment agencés. Il y a de nombreuses espèces végétales : cyprès chauves, platanes… dont Manoé me cite chaque nom. Il me raconte l’histoire du parc et celle du peintre qui lui a donné son nom. Je découvre un lieu chargé d’histoire. Il semble si passionné et je prends plaisir à voir cet aspect de sa personnalité. Nous poursuivons notre promenade le long de la rivière qui traverse le parc. Enfin, nous arrivons dans un espace plus reculé, où un ensemble floral nous fait face. On y distingue différentes variétés de plantes et de fleurs de diverses couleurs. L’ensemble aux teintes chatoyantes surprend en ce début de mois de février.
Manoé me lâche la main pour se placer juste derrière moi et m’encadre de ses bras. Il inspire mes cheveux comme s’il humait un délicieux parfum, pose sa tête dans le creux de mon épaule, et je me sens instantanément bien.
— Depuis tout petit, commence-t-il, j’ai toujours eu une fascination pour les fleurs. Tu me diras, avec un grand père jardinier, j’étais un peu obligé. C’est lui qui m’a tout appris. Quand ma mère et moi nous sommes installés à Carrières à mes 5 ans, c’était un peu dépaysant pour les Niçois que nous étions. Chaque fois que mes grands-parents nous rendaient visite, Papi m’emmenait visiter ce parc. Je le connais comme ma poche maintenant. L’année dernière, la municipalité a ouvert un concours pour trouver des graines de talent. Il fallait proposer un projet de réaménagement pour une petite zone du parc. J’ai posé ma candidature et avec l’aide de mon grand-père j’ai monté un projet. J’ai fini lauréat et cette parcelle que tu vois, est celle de mon projet. J’ai participé à la plantation de certaines des espèces présentes. Depuis, c’est mon coin préféré, le lieu où j’aime me ressourcer.
Je penche légèrement la tête et admire ses yeux qui brillent de fierté. C’est beau ce qu’il a réalisé ; IL est beau.
— Donc, le jardinage, ce n’est pas qu’un passe-temps ? lui demandé-je curieuse.
— Non, c’est plus une passion, me répond-il. J’ai décidé d’en faire mon métier. En plus de celui de ta grand-mère, le mercredi après-midi et le weekend je m’occupe de cinq autres jardins, appartenant tous à des personnes trop âgées pour leur donner toutes leurs lettres de noblesse. C’est ma façon à moi de me rendre utile, tout en faisant mes armes pour les études que j’envisage.
— Sérieux ? C’est surprenant ! Je peux te poser une question ? tenté-je.
— C’en est déjà une mais vas-y, me taquine-t-il, frottant son nez contre ma nuque, ce qui me distrait agréablement.
— Cette partie de toi que tu me montres aujourd’hui est tellement à l’opposé de ce que tu es au lycée. Pourquoi jouer un tel rôle ? Pourquoi tes amis et toi vous montrez-vous parfois si... arrogants ?
— Tu sais, quand comme moi on arrive dans un établissement dans lequel sa mère travaille, on devient vite le souffre douleur des autres. On est traité de chouchou, de balance et j’en passe. Pour Anne-So, c’est pareil. Avec son look décalé, elle s’est pris de méchantes vannes au collège. Quentin, lui non plus n’a pas été épargné. Donc tous les trois, on s’est mis d’accord pour ne plus se laisser faire et on a décidé que puisqu’ au bahut, c’est la loi du plus fort qui prévalait, alors nous serions les plus forts, ceux que l’on respecte plutôt que ceux dont on se moque, énonce-t-il en haussant les épaules. Seb puis Carla se sont greffés ensuite à notre trio. Mais les blagues que nous faisons ne servent pas à écraser les autres, on se marre un coup et si tu regardes bien, malgré les médisants, tout le monde s’amuse et on passe un bon moment ensemble.
— Ok, c’est vrai, j’ai pu en juger par moi-même. Et pourquoi moi ? Je veux dire, tu as toutes les filles qui tombent à tes pieds, donc je ne comprends pas, lui demandé-je alors que je me retourne pour me placer face à lui.
— Comme je te l’ai dit, j’ai toujours été passionné par les belles fleurs. Comme tout bon jardinier qui se respecte, on convoite toujours la plus rare, celle qui est unique. Je ne m’attendais simplement pas à ce que cette fleur unique pour moi, soit en fait une abeille prête à sortir son dard, ma Petite Abeille, me dit-il, les yeux dans les yeux.
Puis il se penche, et nous échangeons notre tout premier baiser, si bon, si délicieux, si intense, que je jure en moi-même qu’il n’est que le premier d’une très longue série…
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Bonjour à tous !
Quel bon début de semaine, n'est ce pas ?
Et quoi de mieux qu'un premier baiser échangé pour lui donner cette douceur agréable ?
Notre abeille s'est laissée prendre dans le filet du jardinier que l'on découvre sous un nouveau jour !
Cette petite visite "inattendue" du parc aura effectivement permis à Manoé de gagner de nombreux points ! Mais, seront-ils suffisants pour que Mélissa abaisse toutes ses barrières ?
Et que dire de Suzelle ?
Un magnifique "jiminy Cricket", n'est ce pas ?
Rendez-vous mercredi pour la suite de leur premier rencard !
Bisous collants
Namsra
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