4. Folie

En média "Crazy" de Gnarls Barkley

Après que Paul m’ait déposée à la brasserie fétiche de notre fine équipe, je m’installe dans un box intérieur, près de la baie vitrée qui offre une large vue sur la rue piétonne. J’opte pour cette place car le temps frisquet de cette fin de janvier ne donne pas envie de s’attarder sur la terrasse.

Il est 10h et je sais pour avoir reçu quasi instantanément leurs réponses, que mes coéquipiers ne vont pas tarder.

Oui coéquipiers, parce chacun de nous quatre endosse un rôle qui nous permet, ensemble, d’atteindre le but que l’on s’est fixé depuis que notre premier orteil a foulé Le Corbusier : finir le lycée sans trop de bleus, physiquement et psychologiquement parlant. 

C’était une idée de Loly qui après un dernier trimestre désastreux en classe de troisième, s’est vue obligée de poursuivre son cursus avec des cours à distance parce que ses nombreuses absences pour raison médicale la pénalisaient, et les peaux de vache qui nous servaient de profs ne faisaient rien pour arranger les choses. Elle nous a alors demandé d’expérimenter le monde du lycée pour elle.

C’est comme ça que lors d'un après-midi de karaoké party chez les Sarault, les rôles avaient été distribués.

Fanny, petite rousse pimpante qui sous ses airs de vilain farfadet est une stratège hors norme. Elle nous a évité à maintes reprises de nous faire avoir par les PPHC, retournant, l’air de rien, leurs manigances contre eux-mêmes.

Suzelle, notre psy et coach en gestion d’émotions, a toujours le mot qu’il faut pour nous rebooster quand on se sent débordés et prêts à craquer.

Stan, armoire à glace au tempérament de bisounours, est notre nounours à nous qui, de par sa seule présence dissuade quiconque de nous importuner.

Moi, avec ma chevelure et ma grande gueule, j’étais toute pressentie pour endosser le rôle du fauve : je fonce dans le tas et je réfléchis après.

Et Loly, petite poupée angélique, douceur incarnée chez qui nous faisions le plein d’amour, gardait soudé et uni notre clan hétéroclite.

C’est Suzelle qui arrive la première. Les deux autres arriveront plus tard puisque que contrairement à la brune qui habite dans les parages, Stan devait passer récupérer Fanny à scooter.

A peine est-elle installée que je me sens comme observée à la loupe sous son regard scrutateur. Je n’ai même pas le temps de trouver une parade pour esquiver qu’elle démarre les hostilités :

— Alors ?

— Alors quoi ? lui réponds-je l’air de rien. Je t’ai connue bien mieux élevée jeune fille ! Bonjour Mel ! Comment vas-tu Mel ? Quel plaisir de te voir en ce bon samedi ! Qu….

Mon trait d’humour tombe comme une pierre au fond de la rivière, quand elle me coupe la chique.

— A d’autres Mel ! On sait bien toutes les deux que ça ne te ressemble pas. Un samedi matin en plus ? Toi qui vénère les grasses mat autant qu’un pèlerin, le Mur des Lamentations ! Ça n’aurait pas à voir avec un certain beau mâle qui se pavane en sweatshirt dans ton jardin ?

— Pfff. N’importe quoi ! Je me fous total de ce mec et de ce qu’il peut bien faire. Si ça se trouve, il vient juste pour piquer la nourriture du lapin…

— Mel…

— Ou peut être qu’il s’emmerde grave avec son groupe de nuls et que depuis peu il a développé une fascination pour les p’tites vieilles. Faudrait que je dise à Mamie de se méfier. On ne sait jamais, finis-je avec un sourire digne du chat du Cheshire, fière de ma répartie.

— Arrête un peu tes bêtises, Mel, me reprend-elle comme on parle à un gosse de 5 ans qui s’entête, tu as beau faire la maligne, toi et moi savons bien que ce qui l’attire dans ton jardin, c’est justement toi.

— Conneries ! J’y suis jamais de toutes façons. Trouve autre chose, rétorqué-je aussitôt de mauvaise foi.

— Tu as bien compris ce que je voulais dire. Maintenant, le tout est de savoir comment toi tu le vis ? me demande-t-elle sincèrement.

— Comment je vis quoi ? Le fait qu’un parasite aussi sournois qu’un incube traîne sous ma fenêtre chaque semaine ? Ou le fait que je me dis que lui et sa bande préparent un sale coup dont je suis la malheureuse destinataire ?

— Eh ben, tu vois qu’on avance quand tu veux ! Faut juste réussir à te sortir les vers du nez en fait, acquiesce-t-elle satisfaite. Alors, on va laisser à Fanny le soin de trouver un angle d’attaque pour parer à d’éventuels machinations des PPHC. Mais d’abord, tu vas me dire ce qui t’effraie le plus. Beaucoup en profiterait pour se rincer l’oeil et se pavaner au bahut. Soit tu fais comme d’hab et tu fais semblant de l’ignorer… Ou, m’empêche-t-elle de l’interrompre, tu en profites pour mieux apprendre à le connaître. Je suis sûre qu’éloigné des quatre autres, il ne doit pas être si terrible que ça.

— C’est bien là que tu te trompes, il est encore pire, lui confié-je d’un ton fataliste. Il est comme un virus. Voilà c’est ça, une vilaine grippe ! Avec les microbes qu’il sème partout, j’ai bien peur de finir par la chopper si je ne me badigeonne pas de solution hydroalcoolique.

— Ah la la ! Toi et tes métaphores ! lève-t-elle les yeux au ciel. Tu sais, on peut toujours guérir d’une grippe, aussi coriace soit-elle. C’est de s’empêcher de vivre ou de s’enfermer qui est néfaste.

— Sauf si le virus atteint le coeur, et là c’est carrément mortel !

— Qu’est-ce qui est carrément mortel ? nous interrompt Stan qui vient de nous rejoindre, une Fanny échevelée sur les talons.

— Le temps qu’il nous a fallu vous attendre, esquivé-je en faisant comprendre d’un clin d'oeil à Suzelle que je tiens à ce que mes états d'âmes concernant Manoé restent entre nous, enfin pour le moment. C’est que j’ai la dalle, moi !


— Peut-être que si tu avais lancé l’invit’ hier soir, on aurait pu être au taquet aux aurores ce matin, me vanne gentiment Fanny.

— Eh attention ! Vous devenez vieux avant l’âge si vous n’arrivez même plus à suivre le rythme d’une sortie improvisée ! les nargué-je. 

Et c’est ainsi que, dans une ambiance bonne enfant, nous commandons les mets nécessaires à notre brunch improvisé. Nous discutons de tout et de rien. Mais le sujet Manoé Beauchamp, jardinier chez les Legrand/Dicken reste la principale préoccupation. Tous, sauf Suzelle, soupçonnent un pari perdu. Mais comme à son habitude, Fanny me conseille de prendre le beau gosse à son propre jeu en feignant me laisser séduire puis de voir comment il gérera au bahut. 

Je ne leur dis pas mais je ne sais pas si à la longue ma tête et mon coeur arriveront à se souvenir que ce n’est qu’un jeu. Quoiqu’il en soit, un plan d’attaque est mis en place pour le samedi suivant, et en dépit de mes appréhensions, je ressens une certaine forme d’excitation à l’idée de ce qu’il m’attend.

Pendant que les autres rigolent, élaborent toutes sortes de plans et théories aussi farfelues les unes que les autres, je ressens un léger picotement persistant sur ma nuque, pile poil au niveau de mon tatouage qui, si jusque là passait inaperçu sous ma tignasse, est des plus visibles depuis ma coupe de cheveux. La sensation, sans être désagréable, est semblable à une piqûre. Drôle, non, quand justement le tatouage en question représente une abeille !

Caressant ma nuque du bout des doigts, je me retourne lentement et me fige, un bref instant, quand je repère Manoé sur le trottoir d’en face, son regard océan braqué sur moi, prêt à m’engloutir.

Et là, je prends conscience qu’à ce jeu de dupes, j’y risque mes ailes, et bien plus encore...

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Coucou !

Me revoici pour le chapitre du jour !

Ne sont-ils pas géniaux, les "coéquipiers" de notre abeille? Disponibles en toutes circonstances !

Je ne sais pas vous, mais moi je pense qu'on devrait tous avoir une "Suzelle" dans notre entourage. Quelqu'un capable de nous tirer les vers du nez afin de nous alléger de ce qui nous pèse !

Mélissa décide de contre-attaquer et d'entrer dans la partie que Manoé a lancée.
Bonne ou mauvaise idée ?

On se retrouve samedi, jour de jardinage, pour découvrir la suite !

Bisous mielleux !
Namsra

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